La chute de la monarchie de Juillet et l’instauration de la IIe République
Confrontée à une crise multiforme (politique, économique, sociale), après plusieurs mois d’opposition politique conduite par les orléanistes et les républicains, et trois jours d’émeutes marquées par la mort de centaines de personnes , la monarchie de Juillet instaurée en 1830 sombre.
Le renvoi du président du Conseil François Guizot n’apaise pas la situation, Louis-Philippe abdique et quitte le palais des Tuileries le 24 février 1848. La duchesse d’Orléans, veuve depuis 1842 du fils aîné du roi, Ferdinand-Philippe, ne parvient pas à faire accepter sa régence au nom de leur fils le comte de Paris Philippe, âgé de 9 ans, en faveur duquel le roi Louis-Philippe a abdiqué.
Après une première prise de position le 24 février, le Gouvernement provisoire proclame solennellement la République le 26 février.
L’un des enjeux fondamentaux pour le Gouvernement est désormais l’organisation des élections pour l’Assemblée constituante, afin de doter la République de sa constitution. Le décret du 5 mars prévoit l’élection de 900 représentants, au suffrage universel direct : sont électeurs tous les Français âgés d’au moins 21 ans (des extraits de naissance doivent être délivrés gratuitement si nécessaire), résidant dans la commune depuis 6 mois, et non frappé d’indignité ; et sont éligibles aux mêmes conditions les Français âgés d’au moins 25 ans. Avec la suppression des conditions censitaires de vote (200 francs sous la monarchie de Juillet, soit un quart du salaire annuel d’un ouvrier), le corps électoral est passé de 240 000 électeurs à près de 9,4 millions.
L’individu-citoyen ou l’apprentissage de l’élection de masse, au suffrage universel direct masculin
Les élections se sont déroulées dans un climat d’effervescence « républicaine ». Les républicains de la veille voient apparaître les républicains du lendemain. Des cérémonies sont organisées au cours desquelles des arbres de la Liberté sont plantés. La libéralisation de la presse et des clubs encourage un enthousiasme qui explique le succès de ces élections avec une participation de 84 % des inscrits.
Mais comment faire voter ? Comment voter ? À l’idéologie et aux valeurs républicaines, sont liées aussi les questions d’ordre pratique : constitution des listes électorales, délivrance de carte d’électeur (élections départementales), vote secret (hors isoloir qui n’apparaît qu’en 1913) avec un bulletin pouvant être apporté par l’électeur puis dépouillement, proclamation, professions de foi et actes de candidature, choix des candidatures. L’électeur se retrouve face au candidat.
Dans une circulaire du 6 mars 1848, le ministre provisoire de l’Instruction publique et des cultes Hippolyte Carnot encourage les recteurs à mobiliser les 36 000 instituteurs primaires pour défendre la République « contre l’ignorance et le mensonge », car la France « réclame des hommes nouveaux », instruits dans les nouveaux droits et devoirs du l’électeur et de l’élu. Le 17 mars, les républicains organisent une grande manifestation pour exiger le report de quinze jours des élections de l’Assemblée constituante, pour diffuser leurs programmes auprès d’un électorat en majorité rural, souvent illettré, attaché à l’Église et aux notables locaux. Des manuels républicains sont diffusés, comme celui du philosophe Charles Renouvier.
Fixées le 9 avril, les élections sont repoussées au 23 avril. Le jour de son ouverture, le 4 mai, l’Assemblée constituante proclame la République : le drapeau aux couleurs nationales, fixées par le décret du 7 mars, est acclamé par la foule massée devant le Palais de l’Assemblée. Ce sont les républicains de droite qui ont remporté le plus de sièges. La Commission exécutive rassemble cinq membres, et le Gouvernement provisoire est remanié, avec notamment l’entrée du général Cavaignac comme ministre de la Guerre.
Ces élections ne résolvent pas le décalage entre les différentes composantes de la société qui se sont emparés du processus électoral. Les décisions d’un nouvel impôt de 45 centimes, la perspective de la suppression des Ateliers de travail pour les ouvriers relancent la contestation et des barricades sont dressées dans Paris dès le 23 juin, l’état de siège est décrété le 24, la Commission exécutive démise de ses fonctions et les pleins pouvoirs sont donnés au général Cavaignac qui fait donner le canon pour mater l’insurrection le 26 juin. Les journées de juin 1848 sont marquées par la mort de plus de 4 000 personnes et l’arrestation de 25 000 (4 000 déportations sont prononcées, 450 seront effectives). Cavaignac est nommé président du Conseil des ministres. L’état de siège est maintenu sur Paris jusqu’au 12 octobre.
La Constitution de 1848
Rédigée par un comité de 18 membres, puis votée par l’Assemblée après deux mois de débats, la Constitution est proclamée le 12 novembre 1848.
Après les journées de juin, les conservateurs prennent l’ascendant et orientent les débats. L’Assemblée vote pour un exécutif fort, d’inspiration monarchique, confié à un président élu pour quatre ans, chef de l’État et chef du gouvernement. Face à lui, le législatif est concentré en une seule assemblée de 750 députés, élus pour trois ans au suffrage universel masculin et au scrutin de liste.
Quatre hommes politiques et un « nom » candidats à l’élection présidentielle
L’élection présidentielle est prévue pour le 10 décembre 1848. Cinq candidats se présentent : Lamartine, Cavaignac, Ledru-Rollin, Raspail et Louis-Napoléon Bonaparte.
Fils de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais, né le 20 avril 1808, Louis-Napoléon Bonaparte est un enfant et un jeune homme de l’exil. À la chute de l’Empire, il doit accompagner sa mère la reine Hortense à Arenberg, en Suisse, où il est élevé dans le culte de l’Empire de son oncle Napoléon Ier.
Après avoir été impliqué dans la lutte des républicains italiens au début des années 1830, Louis-Napoléon s’aventure sur la scène politique française lors deux tentatives de coup d’État en 1836 à Strasbourg, soldée par un (court) exil aux États-Unis ; puis en 1840 à Boulogne, soldée par une condamnation à l’emprisonnement à perpétuité au fort de Ham, en Picardie. Convaincu de son destin politique, Louis-Napoléon Bonaparte construit sa réflexion politique et sociale, développe Des idées napoléoniennes (1839) visant « à concilier l’ordre et la liberté ; les droits du peuple et les principes d’autorité », publie L’extinction du paupérisme (1844).
Vivant alors à Londres depuis son évasion en 1846, le neveu de Napoléon Ier arrive à Paris le 28 février, prêt à se ranger sous le drapeau de la République. Mais sa présence sur le territoire français n’est pas la bienvenue, alors qu’il est toujours soumis à l’article 6 de la loi de bannissement de 1832 relatif aux Bonaparte. Il se résout à quitter Paris le 1er mars.
Lors des élections législatives partielles, il est élu dans trois départements le 4 juin (Seine, Yonne, Charente-Inférieure) et le 18 en Corse. Alors qu’il est toujours en Angleterre, c’est son ami et complice Jean-Gilbert Victor Fialin de Persigny qui a mené campagne pour lui. Complice… c’est bien le mot, car Persigny avait accompagné Louis-Napoléon dans ses deux tentatives de coup d’État ratées.
Neveu de Napoléon Ier, comploteur, Louis-Napoléon Bonaparte est un élu bien embarrassant pour la République. Après une longue discussion animée, l’Assemblée valide son élection : il y a désormais « un Français de plus et un prétendant de moins. » Mais l’élu démissionne le 15 juin, préférant se tenir loin des débats. Il est réélu le 17 septembre, dans les quatre départements précédents et en Moselle, lors de nouvelles élections législatives partielles. Le 26, il siège pour la première fois.
Entre méfiance, moquerie et soutien (« Sans lui, la République est perdue ; avec lui, la République est sauvée »), il se déclare officiellement candidat à la présidence le 26 octobre.
Il est élu avec plus de 5,5 millions de suffrages, soit 74 % des suffrages exprimés et 56 % des inscrits. Le 20 décembre, il prête serment devant l’Assemblée constituante.
L’opposition entre le pouvoir exécutif (le président) et le pouvoir législatif (l’assemblée) débutait, qui allait conduire au coup d’État du 2 décembre 1851.
Irène Delage, octobre 2019