Le Code Civil (21 mars 1804) : naissance, principes et postérité > cours

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Révolution / Consulat / Ier Empire
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Le Code civil des Français fut promulgué le 21 mars 1804. Napoléon réussit là où tous les gouvernements avaient échoué avait lui : l’adoption d’un Code des lois civiles bien rédigé, facile à interpréter, triomphe du droit écrit sur les coutumes. Il fut le moteur de ce grand œuvre pensé et préparé par une cohorte des juristes de premier plan, auxquels il fournit les moyens de travailler.

Le Code Civil (21 mars 1804) : naissance, principes et postérité > cours
Code civil des Français, 1804 © Fondation Napoléon

Napoléon réussit là où tous les gouvernements avaient échoué avait lui : l’adoption d’un Code des lois civiles bien rédigé, facile à interpréter, triomphe du droit écrit sur les coutumes. Il fut le moteur de ce grand œuvre pensé et préparé par une cohorte des juristes de premier plan, auxquels il fournit les moyens de travailler, non sans parfois intervenir pour trancher certaines questions. L’entreprise était éminemment politique : plus qu’une conception du droit, elle contenait une vision de la société. On ne se contenta pas de compiler, mais on construisit autour de grandes options idéologiques.

Lancé le 12 août 1800, le projet mit près de quatre ans à aboutir. Le Code civil des Français fut promulgué le 21 mars 1804. Ce code fut le premier d’une longue série touchant à la fois le droit civil (droits et rapports entre les citoyens), le droit commercial (pour organiser le commerce) et le droit pénal (sanction des infractions).

LE DROIT ET LA LOI POUR ORGANISER LA SOCIÉTÉ

La règle de droit fut l’outil de structuration sociale et politique par excellence du Consulat et de l’Empire. Sur ce plan, le régime est à créditer d’une œuvre colossale et pérenne : l’unification du droit français, avec, bien sûr, le Code Civil (1804, rebaptisé « Code Napoléon » en 1807) mais aussi les Codes de procédure civile (1806), de commerce (1807), d’instruction criminelle (1808), pénal (1810), sans oublier l’ambitieux projet de Code rural qui, bien que prêt à la fin du règne, ne vit pas le jour. L’État fut au cœur de cette entreprise adaptée aux besoins du temps.

Pourquoi « codifier » ?

La volonté de codifier s’inscrivait parfaitement dans les principes -séculaires mais théorisés avec force par la Révolution- d’unité et d’indivisibilité de l’État en France, par simplification de l’ancien droit, qui avait fait dire à Voltaire que lorsqu’on voyageait, on changeait aussi souvent de lois que de chevaux de poste.

Sur le plan technique, le regroupement des textes en un seul livre en facilitait la connaissance et la publicité. Sur le plan de la philosophie juridique, il consacrait le triomphe du droit écrit sur les coutumes. Mais c’est sur le plan politique que l’entreprise prenait tout son sens : plus qu’une conception du droit, il imposait une vision de la société.

Avant Napoléon

Sous l’Ancien Régime, on avait déjà tenté de réunir les lois dispersées dans des codes, l’exemple le plus célèbre étant les ordonnances de Montils-lès-Tours faisant entrer les coutumes civiles et commerciales dans le droit écrit (1454). D’autres tentatives avaient eu lieu, sans succès,  sous le règne de Louis XV (1715-1774).

C’est la Révolution qui lança plus sérieusement les opérations de codification… mais sans grand succès. Aucune des expériences de la Constituante, de la Législative, de la Convention et du Directoire ne fut menée à son terme. L’œuvre avait besoin d’autorité, de calme et de temps, car, comme l’a noté Robert Badinter, dans un ouvrage consacré au Code civil : « Toute entreprise de codification, pour réussir, requiert trois conditions : un moment favorable, des juristes de talent, une volonté politique » (« Le plus grand bien… », p. 17). Ces conditions furent remplies sous le Consulat et l’Empire. Et dans cette vaste démarche, le rôle de Napoléon fut essentiel. Certes, il bénéficia des travaux antérieurs et de la collaboration d’immenses juristes (Cambacérès, Target, Treilhard, Tronchet, Bigot de Préameneu, Maleville, Portalis, etc.). Mais il paya aussi de sa personne lors des nombreuses séances de travail au Conseil d’État auxquelles il assista. S’il ne tint pas la plume, s’il ne rédigea presque rien lui-même, il fut celui qui rendit possible le vieux rêve codificateur. Sa volonté et son autorité furent déterminantes. A contrario, son absence d’implication dans l’avancée du projet de Code rural explique sans doute pourquoi celui-ci n’aboutit pas.

 

Les codes napoléoniens

Début des travaux Nombre d’articles Promulgation
Code Civil 12 août 1800 2 281 21 mars 1804
Code de procédure civile 22 mars 1802 1 042 24, 27 avril, 2, 8, 9 mai 1806
Code de commerce 3 avril 1801 648 20 septembre 1807
Code d’instruction criminelle 28 mars 1801 643 27 novembre 1808
Code pénal 28 mars 1801 484 22 février 1810
Code rural 19 mai 1808 273 Projet prêt en juillet 1814

 

NAISSANCE DU CODE CIVIL

Procédure d’adoption

1°) Le 12 août 1800, Bonaparte nomma une commission chargée de préparer un avant-projet. Elle était composée de François-Denis Tronchet (président), Jean-Etienne Portalis, Félix-Julien Bigot de Préameneu et Jacques de Maleville (secrétaire).

2°) Au début de l’hiver, un premier texte était prêt. On l’adressa au Tribunal de Cassation et aux tribunaux d’appel puis, une fois les avis des magistrats recueillis, le Conseil d’État fut saisi.

3°) Une nouvelle commission (Boulay de la Meurthe, Muraire et Treilhard) peaufinait des morceaux de textes et les soumettait à la discussion de l’assemblée générale. 107 séances y furent consacrées, 55 fois sous la présidence de Bonaparte.

4°) Une fois adopté par le Conseil d’État, le projet fut envoyé au Tribunat et au Corps législatif, les deux chambres chargées de voter les lois. On avait divisé le travail en 36 lois votées l’une après l’autre. Ces lois furent promulguées entre mars 1803 et mars 1804, avant que d’être réunies en un ouvrage unique appelé Code Civil des Français, promulgué le 21 mars 1804. Il sera rebaptisé « Code Napoléon » en 1807.

Que contient le Code Civil ?

Sur le plan formel, le nouveau texte était clair et écrit dans une langue simple. Il ne prétendait pas régler toutes les questions et laissait une grande place aux juges qui devraient interpréter le texte lors des procès.

Voici le plan du Code Civil de 1804 :

Titre préliminaire > De la publication, des effets et de l’application des lois en général

Livre premier > Des personnes

Titre premier : de la jouissance et de la privation des droits civils

Titre II : des actes de l’état-civil

Titre III : du domicile

Titre IV : des absents

Titre V : du mariage

Titre VI : du divorce

Titre VII : de la paternité et de la filiation

Titre VIII : de l’adoption et de la tutelle officieuse

Titre IX : de la puissance paternelle

Titre X : de la minorité, de la tutelle et de l’émancipation

Titre XI : de la majorité, de l’interdiction et du conseil judiciaire

Livre II > Des biens et des différentes modifications de la propriété

Titre premier : de la distinction des biens

Titre II : de la propriété

Titre III : de l’usufruit, de l’usage et de l’habitation

Titre IV : des servitudes ou services fonciers

Livre III > Des différentes manières dont on acquiert la propriété

Titre premier : des successions

Titre II : des donations entre vifs et des testaments

Titre III : des contrats ou des obligations conventionnelles en général

Titre IV : des engagements qui se forment sans convention

Titre V : du contrat de mariage et des droits respectifs des époux

Titre VI : de la vente

Titre VII : de l’échange

Titre VIII : du contrat de louage

Titre IX : du contrat de société

Titre X : du prêt

Titre XI : du dépôt et du séquestre

Titre XII : des contrats aléatoires

Titre XIII : du mandat

Titre XIV : du cautionnement

Titre XV : des transactions

Titre XVI : de la contrainte par corps en matière civile

Titre XVII : du nantissement

Titre XVIII : des privilèges et hypothèques

Titre XIX : de l’expropriation forcée et des ordres entre les créanciers

Titre XX : de la prescription

 

GRANDS PRINCIPES DU CODE CIVIL

1°) Égalité de tous les citoyens devant la loi. Tout Français devait jouir des droits civils, sauf à en être privé pour des motifs légaux. Cela ne signifiait pas que le Code était égalitaire : les codificateurs ne prétendaient pas mettre en œuvre un dispositif visant à rectifier les inégalités créées par la marche de la société, prolongeant ainsi l’esprit de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Égalité des droits n’était pas égalitarisme.

2°) La non-confessionnalité de l’État, point de départ de la laïcité française. Les actes d’état-civil étaient désormais établis par des agents publics et non plus par les paroisses, faute de quoi ils ne pouvaient produire d’effets juridiques. La nécessaire antériorité du mariage civil par rapport au mariage religieux était proclamée avec force. Même limité par rapport à la législation « intermédiaire », le divorce était reconnu, contre l’avis de l’Église : le mariage était un contrat qui, comme tel, pouvait être dissout.

3°) L’organisation de la famille était hiérarchisée, avec le mari ou le père au sommet. Le statut de la femme (qu’il s’agisse de la fille ou de l’épouse) était donc marqué par l’inégalité. Même lorsque la fille de la famille se mariait, elle était placée sous la tutelle de son mari. Elle ne jouissait de l’intégralité de ses droits que si elle restait célibataire ou devenait veuve.

Les enfants étaient assujettis à un régime semblable les obligeant, par exemple, à obtenir l’autorisation du père pour se marier, jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans.

En contrepartie, l’époux devait protection à l’épouse et à ses enfants.

4°) Le droit de propriété était déclaré « absolu ». Chaque propriétaire était libre de jouir et de disposer de ses biens comme il l’entendait, à condition de ne pas en faire « un usage prohibé par les lois et les règlements » (art. 544). Le droit de propriété ne souffrait que de très rares exceptions : en matière de successions avec la réserve et dans les cas d’expropriation pour cause d’utilité publique. Dans ce dernier cas, comme l’avait proclamé la Déclaration de 1789, le propriétaire devait percevoir une « juste et préalable indemnité ». Un chiffre illustre l’importance de la propriété dans cette conception : le Code Civil consacrait 1 570 articles (sur  2281) à la propriété.

 

CRITIQUE ET POSTÉRITÉ DU CODE CIVIL

Grand monument du règne de Napoléon, le Code a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des historiens. On ne peut ici en dresser un panorama complet. Notons cependant que pour Albert Soboul, historien marxiste, son adoption prouverait que le régime était entre les mains de la bourgeoisie, avec un « système de contrainte qui renvoyait à un contexte socio-économique précis : la société bourgeoise, la domination de la bourgeoisie et de son mode d’existence ». De son côté, s’il concède que le nouveau texte était « conçu pour une société de bourgeois et de paysans », l’auteur libéral Jean Tulard remarque qu’il « consacrait la disparition de la féodalité et le triomphe de la laïcité », confirmation solennelle de deux grands acquis de la Révolution. L’historien François Furet, quant à lui, estime qu’il s’agit d’un « compromis entre l’esprit du despotisme éclairé et le legs des idées de 1789 », ajoutant –et la remarque est essentielle- qu’il « ajuste la loi à l’état des esprits et des mœurs ».

On ajoutera que la reconnaissance de la liberté et de l’égalité civiles n’était pas rien non plus dans le contexte du temps, après quinze ans de débats doctrinaux, d’avancées et de reculades du droit révolutionnaire. C’est donc probablement dans un jugement nuancé et tenant compte des réalités du temps que l’on trouvera, sinon la vérité, au moins une appréciation équilibrée. On ne rappelle pas souvent que, dans son discours introductif, Portalis avait admis que le texte n’était pas parfait et qu’il devrait être adapté à l’évolution des mœurs par la sagesse du juge et de sa jurisprudence, message que n’entendirent pas beaucoup les critiques.

Pendant plus de soixante-dix ans, les régimes successifs réformèrent peu le Code. Après quelques modifications mineures sous le Second Empire (dont la loi de 1864 abolissant le délit de coalition), la IIIe République procéda à une véritable modernisation dont notamment celle concernant la capacité juridique des femmes mariées (lois de 1938 et 1942), tandis que la Cour de Cassation interprétait de plus en plus largement les dispositions d’origine. Depuis 1945, les changements ont été encore plus profonds et ont touché presque tous les domaines, notamment le droit des contrats, chamboulé par une réforme des années 2010. Quoiqu’il en soit, une petite moitié des articles actuels datent encore de 1804, preuve qu’au fond, l’empereur n’avait pas tort lorsqu’il déclarait, pendant son exil à Sainte-Hélène, que « son » Code resterait une des vraies gloires de son règne et ferait plus « que la masse de toutes les lois qui [l’avaient] précédé ».

 

Auteur : Thierry Lentz, historien, directeur de la Fondation Napoléon, avril 2019

 

À lire en ligne :
– un article issu de « Napoleonica.La Revue  » : La rédaction du Code civil, par Saman Safatian
– le texte du Code civil de 1804 > à consulter sur le site de l’Assemblée nationale

Ouvrages :
– Robert Badinter, « Le plus grand bien… », Fayard, 2004.
– Jean-Louis Halpérin, L’impossible Code civil, P. U. F., 1992 ;
– Thierry Lentz, Nouvelle histoire du Premier Empire. III. La France et l’Europe de Napoléon, Fayard, 2010.
– Xavier Martin, Mythologie du Code Napoléon Aux soubassements de la France moderne, éditions DDM, 2003.

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