Les campagnes à l’heure des mutations > cours, biblio, sources web

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IIe République / 2nd Empire
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Les campagnes à l’heure des mutations > cours, biblio, sources web
Bénédiction des blés en Artois, par Jules Breton, 1857 (détail)
© RMN-GP, musée d'Orsay

Des ruraux entre la charrue et l’atelier : les conditions de la survie

Le monde paysan, qui atteint son maximum démographique sous le Second Empire, connait des conditions de vie difficiles, dans un contexte dépourvu de toute législation sociale. En effet, la Constitution de 1848 a répudié la mention du droit au travail au profit d’une vague « assistance fraternelle » en vue d’assurer « l’existence des citoyens nécessiteux ». D’ailleurs, une proposition de loi relative aux indigents invalides de la campagnes, débattue en août 1848, a été rejetée au nom de l’égalité du lieu de résidence. La quête de ressources diversifiées est la condition de la survie dans les campagnes, et l’ouverture sur l’extérieur une nécessité. La perception d’une société paysanne immobile relève du mythe. Le territoire n’est nullement formé par la juxtaposition de micro-sociétés fermées, condamnées à l’autarcie. On se rend à la bourgade voisine pour assister à la foire ou aux comices agricoles à pied, à dos de mulet, à cheval pour les plus cossus. Gustave Flaubert décrit dans le chapitre de Madame Bovary (1857) consacré au comice d’Yonville, ces « fermières des environs (qui) retiraient, en descendant de cheval la grosse épingle qui leur serrait autour du corps leur robe retroussée de peur des taches ». Le propriétaire d’un lopin s’emploie comme journalier agricole, artisan, ouvrier, voire mineur (exemple de Carmaux). Les manufactures essaiment dans les villages, en quête d’une main d’œuvre abondante et peu organisée.

Les campagnes, cadre de la proto-industrie

Le textile fonctionne sur la base du travail à façon, sous la coordination de marchands-fabricants. La sidérurgie exploite, à travers de petites unités, la force hydraulique et le charbon de bois. Par exemple, les maîtres de forges du Périgord recrutent des paysans sans terre ou des petits propriétaires, peu exigeants sur les salaires. « Plutôt que des signes d’archaïsme, ces particularités (…) étaient des adaptations rationnelles à un environnement différent de celui de la Grande-Bretagne » (N. Sougy et P. Verley). Les usines installées à la campagne fonctionnent avec une main d’œuvre locale, en quête de revenus susceptibles de compléter les apports d’une parcelle de 5 ou 6 hectares. La fabrique est caractéristique de cette proto-industrialisation. Elle peut regrouper plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers, sans concentration urbaine (la fabrique de Reims compte cinquante mille ouvriers, dont les trois-quarts dans les campagnes alentours, même configuration dans la nébuleuse choletaise ou pour l’industrie du coton autour de Saint-Quentin). La délocalisation à la campagne déstabilise les revendications ouvrières : la grève d’ouvriers rubaniers de Saint-Etienne en 1848 est brisée par le transfert des ateliers dans les environs. La stratégie était fréquente à Paris, accentuée par la hausse constante des loyers chassant les productions de faible valeur : la passementerie est déplacée dans l’Oise et la chapellerie dans l’Aude. Les brodeuses des Vosges, les dentellières du Puy se livrent à ces travaux le soir et le dimanche, assurant à la famille une rentrée de numéraire qui facilite l’achat de terres, alors que les capitaux citadins sont attirés par les placements industriels. Les opportunités proposées par ce « système agro-industriel » permettent aux micro-propriétaires d’améliorer leur sort (G. Noiriel). Loin de relever d’une obéissance passive, le soutien des paysans au Second Empire se fonde sur un ralliement calculé.

Quitter son village : les débuts modérés de l’exode rural

À la différence du cas britannique, l’accès à la propriété attache les paysans au sol, configuration des campagnes françaises jusqu’à l’exode agricole des années 1950. Ainsi, l’industrie, qui évolue au rythme des saisons, n’a pas suscité un exode massif, même si les villes industrielles (Le Creusot ou Mulhouse) connaissent une forte croissance. L’exode rural est modéré, avec des effets variables selon les espaces : dans le Haut-Languedoc, certains arrondissements perdent jusqu’à 16% de leurs habitants, tandis que la Côte d’Or gagne en population. La crainte entretenue par les contemporains quant à la dépopulation des campagnes est exagérée, même si les départs progressent de 50 000 par an à plus de 130 000. Le recours au terme biblique d’exode est discutable, suggérant des campagnes vidées de leurs habitants. Cette vision relève davantage du discours alarmiste de conservateurs, prompts à surévaluer des mouvements qui conduiraient à anéantir des sociétés dépouillées de leur « simplicité primitive » (Adolphe Blanqui). Il serait plus juste d’évoquer une émigration qui affecte les journaliers et les ruraux non-paysans. D’ailleurs, la migration peut être saisonnière. À Paris, on croise des colporteurs du Cantal, des cochers de fiacre de Corrèze. Vers 1866, 100 000 natifs du Massif Central sont attirés par l’embauche que procurent les grands travaux et les constructions ferroviaires. Les fonds envoyés aux familles servent à rembourser les créanciers. Le maçon creusois Martin Nadaud rapporte dans ses mémoires le désespoir de son père, endetté en 1833 à la hauteur de la valeur de sa petite propriété, et contraint d’accepter des taux usuraires de 30%. La scène est pathétique, où son père, étouffé de larmes, s’agenouille sur les tombes de ses aïeux : « La mort est cent fois préférable à l’existence. » L’usure, fléau sous la monarchie de Juillet, tend à disparaître. Le surplus de numéraire permet de régler la dot d’une fille ou de surmonter le renchérissement temporaire des subsistances. Cet argent sert surtout à agrandir le lopin, peu importe la pertinence du rendement et sans préoccupation des améliorations techniques : « Arrondir son patrimoine reste le but suprême de cet ouvrier resté profondément paysan qu’est le migrant limousin » (A. Corbin). Ce déraciné, souffrant du mépris des Parisiens à l’égard des « mangeurs de châtaignes », convoite de retourner au pays pour convoler avec le statut de propriétaire.

Vivre au village : les labours et les peines

L’exode modéré n’entame pas la cohésion des communautés. L’endogamie des campagnes l’atteste : en Ardèche, en 1863, on se marie avec un conjoint né à moins de 50 km de son domicile. Le village reste le cadre où se tissent des intérêts réciproques d’entraides (usages des communaux, groupes de jeunesse…). La culture paysanne conserve son originalité, d’autant que l’amélioration des conditions matérielles teinte d’un regain d’éclat les pratiques festives. Les identités restent fortes : veillées, chambrées du Midi, carnavals, charivaris. Il conviendrait d’ailleurs d’évoquer les paysanneries, plutôt que la paysannerie. Néanmoins, en dépit de fortes nuances entre régions, l’imprégnation religieuse est majoritairement ardente, entretenant des pratiques qui relèvent d’une « culture magique des campagnes » (Philippe Boutry). La dévotion envers des saints locaux, comme saint Viâtre en Sologne, guérisseur de la malaria, reste prégnant, de même que le culte des bonnes fontaines en Limousin ou la bénédiction des semailles en Artois (tableau de Jules Breton, Bénédiction des blés en Artois, 1857). Les processions des rogations illustrent la vivacité d’un catholicisme populaire, soucieux de se concilier la protection du Ciel. Peu importe si ces croyances sont regardées avec suspicion par la hiérarchie catholique. Certaines expressions de la foi sont favorisées par l’intrusion de la modernité : les voies ferrées favorisent l’essor des pèlerinages (La Salette et Lourdes). La vie est marquée par une extrême frugalité, puisque le moindre surplus est épargné pour combler la faim de terre (passion dévorante qui forme la trame de La Terre d’Émile Zola, paru en 1887). Selon une enquête administrative conduite en 1872 dans 46 départements, l’habitat se réduit la plupart du temps à une seule pièce, qui loge la famille entière, le bétail étant séparé par une simple cloison. La distinction entre l’habitation et l’exploitation est un signe d’aisance. Les enquêtes souvent teintées de misérabilisme tendent à sous-évaluer la réalité des améliorations (par exemple, les municipalités incitent à remplacer le chaume par la tuile, pour diminuer les risques d’incendie).

Bénédiction des blés en Artois, par Jules Breton, 1857 © RMN-GP, musée d’Orsay

L’imperceptible acculturation de l’univers quotidien

Les progrès sont insensibles : l’autoconsommation est enrichie d’une fraction de produits achetés, comme le café ou le sucre. Les populations migrantes, qui reviennent au pays de novembre à mars, introduisent des pratiques inédites : le maçon creusois développe une consommation plus fréquente de viande, au détriment de la bouillie de sarrasin ou de châtaigne. Par imitation des modes de vie urbains, la paysannerie aisée d’Île-de-France adopte la lampe à pétrole. L’accès à l’écrit progresse, sous l’effet de la loi Guizot de 1833 et de la loi Duruy de 1867 (toute commune de plus de 500 habitants doit se doter d’une école publique). Néanmoins, les plus pauvres considèrent l’école comme une gêne, ce qui explique un taux d’illettrisme supérieur à la moyenne nationale (même si les migrants saisonniers ont un taux d’alphabétisation supérieur, car l’écriture favorise l’intégration en ville, sans compter le soutien des contacts épistolaires). Des colporteurs continuent de vendre des ouvrages de la bibliothèque bleue, des images d’Épinal à la gloire de Napoléon Ier et des almanachs qui mêlent les saisons agricoles et les remèdes empiriques, lus à la veillée. Malgré tout, les cultures orales séculaires fléchissent. L’amélioration des chemins vicinaux assure « l’entrée en communication des campagne » (Maurice Agulhon). Les langues vernaculaires restent essentielles, même si le français progresse. Ainsi, les migrants du Limousin diffusent à leur retour les chansons à la mode, contribuant à l’extinction des chansons patoises. La francisation est engagée, même s’il est convenu d’attribuer « la fin des terroirs » aux premières décennies de la IIIe République, sous l’effet de l’école obligatoire, de la conscription, des transports, de la presse bon marché (Eugen Weber).

Le « gigantesque paradoxe » des mutations françaises (Eric Hobsbawm)

Au cours des années 1860, on assiste à une transformation plus accentuée des modes de production. Les établissements industriels se concentrent davantage dans les espaces urbains, l’usine commence à former un univers à part entière. Le travail se mécanise lentement (par exemple, le textile des Vosges), l’itinérance de la main d’œuvre se réduit, à mesure d’un encadrement plus accentué du monde ouvrier. Le traité de libre-échange signé avec la Grande-Bretagne en 1860 conforte les usines intégrées aux circuits capitalistiques, alors que la petite sidérurgie est fragilisée. Le raidissement de la conjoncture, à partir de 1867, suscite de nouvelles formes de mobilisation dans les centres ouvriers, à Roubaix, à Saint-Étienne, au Creusot, où des comités de grévistes coordonnent les revendications. La virulence de la répression par l’armée (par exemple en juin 1869, 14 morts sur le bassin de La Ricamarie, provoquées par la riposte de l’armée à l’occasion d’une grève près de Saint-Étienne qui affecte 15 000 mineurs, ayant pour revendications la journée de 8 heures, le contrôle de leur caisse de secours et un salaire minimum) annonce le traitement impitoyable de la question ouvrière aux débuts de la IIIe République. Le paysan-artisan décline au profit de l’ouvrier soumis à la logique salariale. Sous la IIIe République, en 1888, Le Tisserand peint par Paul Sérusier, paysan breton qui tisse à domicile des étoffes de coton ou de laine, relève d’une survivance. Or, sous le Second Empire, l’expansion française reste soutenue par les secteurs traditionnels, l’agriculture et l’artisanat : « En dépit de ses avantages et de la précocité de son démarrage, la France ne devint jamais une puissance industrielle de tout premier ordre (…). L’épargne amassait les capitaux, mais pourquoi aurait-elle été les investir dans l’industrie nationale ? Le chef d’entreprise fabriquait des articles de luxe et non des articles de grande consommation » (Éric Hobsbawm). Les conséquences de cette voie originale de développement restent débattues, entre la suspicion d’archaïsme portée sur les paysans propriétaires, tenus responsables de l’étroitesse de débouchés du marché intérieur par leur faible consommation en biens manufacturés, et la transaction négociée par le peuple des campagnes, pour échapper à la prolétarisation suscitée par la grande industrie.

Auteur : Juliette Glikman, juillet 2019
Docteur en histoire, et chercheur associé à l’université de Paris-Sorbonne, Juliette Glikman enseigne à SciencesPo. Elle a été lauréate des bourses de la Fondation Napoléon en 2000 pour sa thèse Symbolique impériale et représentation de l’histoire sous le Second Empire. Contribution à l’étude des assises du régime (sous la dir. d’Alain Corbin), publiée en 2013 chez Nouveau Monde Éditions – Fondation Napoléon, sous le titre La monarchie impériale. L’imaginaire politique sous Napoléon III.

Sources
– Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, ancien maçon creusois, Bourganeuf, A. Duboueix, 1895 => à lire en ligne sur Gallica ici
– Émile Zola, La Terre, Paris, C. Marpon et E. Flammarion, 1889 => à lire en ligne sur Gallica ici

– Dossier de presse sur le drame de la Ricamarie => à consulter en ligne sur RetroNews/BnF ici

Bibliographie
– Alain Corbin, « Migrations temporaires et société rurale au XIXe siècle : le cas du Limousin », Revue Historique, t.246, 1971, p.293-334.
– Éric Hobsbawm, « Vers le monde industriel », L’Ère des révolution (1789-1848), Paris, Fayard, 1969
– Annie Moulin, Les Paysans dans la société française de la Révolution à nos jours, Paris, Seuil 1988.
– Gérard Noiriel, Histoire populaire de la France de la guerre de Cent Ans à nos jours, Marseille, Agone, 2018.
– Alain Plessis, De la fête impériale au mur des Fédérés (1852-1871), Paris, Seuil, 1979.
– Chantal Prévot, La loi Duruy (1867), une loi pionnière pour l’Enseignement primaire => à lire en ligne sur Gallica ici
– Nadège Sougy, Patrick Verley, La Première Industrialisation (1750-1880), Documentation photographique, dossier n°8061, janvier-février 2008.

Iconographie
– Jules Adolphe Breton, Bénédiction des blés en Artois => commentaire sur le site l’Histoire par l’image ici
– Paul Sérusier, Le Tisserand => commentaire sur le site l’Histoire par l’image ici

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