Les plébiscites, la difficile entrée dans la démocratie > cours, bibliographie et iconographie

Au lycée
IIe République / 2nd Empire
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Sous le Second Empire, le plébiscite est chargé d’exprimer la souveraineté du peuple, en soumettant par voie de suffrages « toute modification aux bases fondamentales de la Constitution ». Une vertu démocratique qui ne peut s’exprimer cependant pleinement qu’avec l’instruction des électeurs, un biais soulevé par les républicains. Ce cours analyse les plébiscites organisés entre 1851 et 1870, du premier qui eut lieu les 20 et 21 décembre 1851, moins de trois semaines après le coup d’État, au dernier organisé le 8 mai 1870, quatre mois avant la chute du régime.

Les plébiscites, la difficile entrée dans la démocratie > cours, bibliographie et iconographie
Ministère de l'Intérieur. Avis au peuple français, (Imprimerie nationale, plébiscite décembre 1851)
© BnF, (Gallica identifiant ark:/12148/btv1b53019218c)

Le peuple promu « maître de sa destinée » ?

Sous le Second Empire, le plébiscite est chargé d’exprimer la souveraineté du peuple, en soumettant par voie de suffrages « toute modification aux bases fondamentales de la Constitution » (article 32 du texte constitutionnel). Ce socle est énuméré en cinq points : chef d’État responsable, ministres dépendant du pouvoir exécutif, Conseil d’État préparant les lois, Corps législatif discutant et votant les lois, Sénat en pouvoir pondérateur et gardien des libertés publiques. Ces principes forment l’ossature de la constitution, intouchable à moins d’un plébiscite. Il s’agit de rendre le peuple « maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté ». Or, la sanction du peuple serait d’autant plus fiable qu’elle s’exprimerait hors de toute médiation. La presse, les partis, les réunions publiques formeraient autant d’influences subversives animant des « influences clandestines », selon le ministre de l’Intérieur Persigny, en 1852. La presse bonapartiste vilipende les députés de la Seconde République, traités de « bavards inactifs » se livrant à des « verbiages ». D’ailleurs, par une lecture rétrospective, les bonapartistes concèdent une dimension plébiscitaire à l’élection présidentielle du 10 décembre 1848 : le nom de Louis-Napoléon Bonaparte surgi des urnes aurait d’emblée impliqué l’Empire. La confusion est partagée par nombre d’électeurs convaincus d’une conspiration des puissants à l’encontre de leur favori. La désignation d’un Napoléon à la présidence est interprétée en plébiscite anti-républicain, « une protestation contre la forme républicaine du Gouvernement imposée à la nation, malgré elle », selon le conseil municipal du Puy, en Haute-Loire. Tout au contraire, les républicains jugent que l’alternative proposée entre « oui » et « non » biaise la consultation. Le mépris des corps intermédiaires, le contournement du Corps législatif susciteraient une dérive autoritaire dévoyant le vote en instrument de pouvoir personnel, à travers l’exploitation des masses ignorantes. À mesure que la presse se libère, une floraison de caricatures illustre ces critiques. Ainsi, Cham, montre un instituteur tentant vainement de faire épeler OUI et NON à un ahuri en sabots : « Où l’autorité comprend le besoin de l’instruction des masses. »

« Où l’autorité comprend le besoin de l’instruction des masses »,
par Cham (1818-1879), in « Le Charivari », 2 mai 1870
© BnF (Gallica, identifiant ark:/12148/btv1b530274050)

 

Absoudre le coup d’État : le plébiscite d’appel au peuple des 20 et 21 décembre 1851

Le premier plébiscite a lieu moins de trois semaines après le coup d’État. Il prolonge l’appel au peuple du 2 décembre, par lequel le chef de l’État dénonçait les manœuvres séditieuses de l’Assemblée. Il s’agit de ratifier le renversement de la légalité constitutionnelle, marquée par des résistances populaires à Paris (barricades du faubourg Saint-Antoine, fusillade sur les boulevards) et en province (troubles dans la Nièvre, l’Allier, le Cher, le Loiret, le Lot-et-Garonne…). L’approbation plébiscitaire vise à valider l’ordre, en réprouvant une jacquerie qui aurait menacé la société de dislocation (le « spectre rouge de 1852 » agité par l’ancien préfet Romieu). Les tenants du parti de l’Ordre ont dramatisé les enjeux du scrutin, métamorphosé en confrontation épique entre « la civilisation et la barbarie » selon le préfet de l’Oise, étayée par des récits horrifiés de bourgeois assassinés, de gendarmes massacrés, de réquisitions (Maurice Agulhon). Les 20 et 21 décembre 1851, 7 467 000 électeurs sur huit millions de votants approuvent la phrase suivante :

« Le peuple français veut le maintien de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre 1851. »

Initialement, des registres devaient être ouverts, permettant l’inscription des « oui » et des « non » selon une procédure publique. Finalement, le scrutin secret est préféré, à l’aide de bulletins manuscrits ou imprimés préparés à l’avance, car l’État ne se charge théoriquement pas de l’impression. L’électeur, à l’appel de son nom, remet son papier plié au président de bureau, qui l’introduit dans une urne disposée sur le bureau (l’isoloir est inconnu avant 1913). L’adhésion doit être éclatante, afin d’affirmer la perpétuation des liens dynastiques noués au début du siècle. L’abstention est la crainte des autorités. Le crieur public, le garde-champêtre arpentent la commune pour la prévenir. Le maire de Clairac, dans le Lot-et-Garonne, met en garde ses concitoyens : « À quel signe ces indignes prédicateurs du meurtre et du sang doivent-ils reconnaître leurs adeptes ? Au signe de l’abstention. » S’abstenir, tempête le préfet du Morbihan, c’est « voter honteusement pour le drapeau rouge et les barricades ». Le plébiscite réussi se décline à travers un résultat unanime, traduction d’un décret populaire qui ne peut se fragmenter : la Nation est indivisible.

Rétablir la dignité impériale : le plébiscite césarien des 21 et 22 novembre 1852

Par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852, le Sénat, « gardien du pacte fondamental », avait voté le rétablissement de l’Empire. Mais l’idée napoléonienne impose de placer la mutation de la république décennale à l’Empire sous l’invocation du peuple-souverain. Ainsi, le sénatus-consulte inclut d’emblée le texte à soumettre aux votes, ratifié par plus de huit millions d’électeurs : « Le Peuple français veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis-Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive. » Le précédent historique est obsédant : même si, au début du siècle, le terme de plébiscite était absent du vocabulaire politique, l’article 95 de la Constitution de l’an VIII (décembre 1799) prévoyait la nécessaire « acceptation du peuple français » afin d’exprimer l’ancrage démocratique du régime consulaire. « On peut noter un certain parallélisme entre les plébiscites de 1800 et 1851 qui légalisent la conquête du pouvoir, ceux de 1804 et 1852 qui fondent l’empire et enfin les consultations de 1815 et 1870 qui le réforment » (Bernard Ménager). Deux nuances peuvent être apportées. D’une part, la validation par les urnes de la constitution est un héritage républicain, mis en œuvre en 1793 et en 1795. D’ailleurs, les feuilles bonapartistes reprochent aux constituants de 1848 d’avoir rompu avec cette tradition. D’autre part, Napoléon Ier mobilisait des légitimités composites, qui mêlaient au principe démocratique un faisceau de justifications matérielle, dynastique et providentielle propre à l’homme d’exception (Frédéric Bluche). Le plébiscite est, au contraire, au fondement de la restauration impériale de 1852, quitte à encadrer fermement l’onction populaire.

Une comédie de suffrage ?

Le contexte répressif, qui suivit le coup d’État (état de siège dans les départements affectés par les insurrections, presse censurée, interdictions des clubs…), rendait suspecte la sincérité des résultats. Ainsi, les préfets organisent des cérémonies afin de conforter l’adhésion autour de Louis-Napoléon, par exemple en commémorant l’anniversaire de son élection à la présidence. Les prêtres, les instituteurs sont mis à contribution. Les tournées militaires dans les municipalités rétives (dans l’Yonne, la Nièvre…) visent à susciter un effet d’entraînement. Les fonctionnaires locaux visitent leurs administrés afin de désigner le « bon » vote : ces relais sont indispensables, car les plébiscites ont lieu dans le cadre de la commune. Dans le même temps, certains citoyens, désireux ou non de soutenir Louis-Napoléon, ne se satisfont pas d’une participation limitée au dépôt d’un bulletin, geste qui restreint leurs implications à des formes jugées acceptables par les groupes dominants. L’ancien répertoire des actions politiques, pratiquées sous une forme collective, est qualifié d’archaïque, des saisies de grains aux charivaris (Vincent Huet). Ce discrédit n’empêche pas des bulletins surchargés d’aigles ou de commentaires affectifs (« Oui pour louis napoléon Bonaparte Mon na mi » sic). Des électeurs, soucieux de renforcer une relation personnelle avec le prince-président, y apposent leur signature ou leur adresse. Ces inscriptions signalent le désir de fortifier une dimension affective frustrée par l’anonymat du vote, tout en suggérant une insatisfaction plutôt qu’une méconnaissance de la pratique plébiscitaire. D’ailleurs, l’option du vote secret en décembre 1852 avait entraîné la déception de maires ruraux : « Les paysans étaient enchantés d’avoir à signer pour Louis-Napoléon. Les hommes d’ordre considèrent comme un acte de faiblesse le retour au vote secret » (préfet du Puy-de-Dôme).

Apprivoiser la pratique électorale

Des manuels électoraux fleurissent, afin de détailler les étapes du processus. Les membres du bureau de vote ont également pour tâche de dispenser des conseils, parfois détournés en relais d’influence. En effet, l’électeur est facilement intimidé par la gravité de la mise en scène, alors que le maniement du bulletin met en œuvre une démarche susceptible d’impressionner les populations illettrées. En octobre 1852, le conseil municipal de Roquefort (Landes) avoue la crainte d’un décalage entre la sincérité des ralliements et leur difficile transmission par l’entremise de l’écrit : « Le 10 décembre 1848, les hommes illettrés, pour ne pas être trompés par les bulletins qu’on leur remettait, avaient compté qu’il fallait vingt-deux lettres pour ceux qui portaient votre nom. » Entre information et encadrement, des affiches à l’en-tête du ministère de l’Intérieur étaient placardées, le OUI nettement visible. D’ailleurs, si des bulletins OUI étaient souvent imprimés à grands frais à l’initiative des préfets, les NON étaient rédigés sur papier libre. À Paris, quelques irréductibles détournent le procédé en surchargeant leurs papiers d’invectives, subvertissant le vote nul en déclaration d’hostilité. La provocation leur permet de faire consigner, en toute légalité, une hostilité par ailleurs réprimée dans l’espace public : « Quelle farce », « Vive la République », « Moi, je vous emmerde vous êtes tous des filous ! » (Vincent Huet). Peut-on interpréter 8 millions de voix à l’aune d’une manipulation, procédant par « pression déloyale » opérant par « la violence, le mensonge et la calomnie », selon la suspicion distillée par un Essai sur le suffrage universel paru en 1875 ? Les républicains ont jeté l’opprobre sur ces consultations, socle de la légitimité dont Napoléon III se prévalait. Ainsi, Gabriel Hanotaux jugeait, dans son Histoire de la France contemporaine, publiée au début du XXe siècle, que le plébiscite était « un bloc manié et soulevé par le cric de l’administration ». C’était nier l’émergence d’une culture politique autonome, dont témoigne l’ampleur de la participation qui suggère la satisfaction de saisir ce droit nouveau. La sincérité des ralliements était d’ailleurs admise à regret par George Sand qui, au printemps 1852, confie au patriote italien Mazzini : « On vous a dit que le peuple avait voté sous la pression de la peur, sous l’influence de la calomnie. Ce n’est pas vrai. Il y eu terreur et calomnie avec excès ; mais le peuple eût voté sans cela comme il a voté. »

Le plébiscite permanent ? Sous l’inspiration de la vox populi

La dynastie se vante de son origine plébéienne et se félicite d’un gouvernement « sorti des entrailles » du peuple, origine qui lui confère une « assiette plus large et plus grande qu’aucun autre régime » (Adolphe Granier de Cassagnac, Histoire de la chute du roi Louis-Philippe, de la République de 1848 et du rétablissement de l’Empire). Ainsi, l’assise nationale ne peut se satisfaire de rares plébiscites aux résultats possiblement transitoires. Les élections législatives prolongent, tous les six ans, la pratique plébiscitaire par l’intermédiaire du candidat officiel. Jusqu’en 1863, les candidats soutenus par l’administration avaient toutes facilités pour mener campagne. Le préfet désignait le favori du gouvernement, dont l’élection contribuait à reconduire la confiance dont l’empereur était investi. Il s’agit d’« éclairer » l’électeur, qui pourrait être abusé par les factions issues des régimes déchus. Persigny, ministre de l’Intérieur, confirme auprès des préfets, dans une Circulaire sur les élections législatives de 1863, une pratique qui assure des députés dociles : « Afin que la bonne foi des populations ne puisse être trompée par des habiletés de langage ou des professions de foi équivoques, désignez (…) les candidats qui inspirent le plus de confiance au Gouvernement. » Par ailleurs, la voix populaire dispense ses verdicts à travers de multiples canaux. La ferveur des foules agglutinées lors des voyages officiels et les actes souscrits en faveur du régime (vœux des communes, pétitions de groupements professionnels, poésies d’éloges, participation à un Te Deum lors d’une victoire militaire, maisons pavoisées à l’annonce de la naissance du Prince impérial…) sont évalués à l’aune d’une ratification. Ces ovations, jugées en plébiscite par acclamations, sont censées dévoiler la réalité du « sentiment public » par l’expression d’un irrépressible « instinct populaire », selon le juriste Raymond-Théodore Troplong.

Mettre aux voix l’Empire : le plébiscite référendaire de mai 1870

Le plébiscite est « la ressource suprême des mauvais jours, le dernier moyen de salut », confie Napoléon III en 1869. Au cours de cette décennie, le régime s’est libéralisé, au risque de multiplier les entorses au pacte constitutionnel. En effet, le Sénat dispose, depuis le sénatus-consulte de mars 1867, d’un veto suspensif, impliquant la possibilité de renvoyer pour délibération une loi approuvée par le Corps législatif. Par ailleurs, le sénatus-consulte de septembre 1869 a établi la responsabilité ministérielle, suggérant la dépendance des ministres à l’égard du Corps législatif (Francis Choisel). Ainsi, certaines des « bases fondamentales » approuvées en décembre 1851 étaient modifiées. La campagne électorale de 1869 en vue du renouvellement du Corps législatif a été particulièrement animée, l’étiquette de candidat officiel se muant en label embarrassant. Les résultats sont en demi-teinte, puisque le gouvernement recueille 4,4 millions de voix (érosion d’un million de voix par rapport à 1863). Le 2 janvier, l’empereur confie à Émile Ollivier, républicain rallié, le soin de poursuivre les réformes. L’ampleur des révisions apportées à la Constitution aboutit à un sénatus-consulte, le 20 avril 1870. Le régime adopte une tonalité semi-parlementaire, sans renoncer au gouvernement personnel. L’empereur, « responsable devant le peuple français », nomme et révoque les ministres, détient l’initiative de révision constitutionnelle… Le Sénat, dépouillé du pouvoir constituant, est transformé en seconde chambre (retour au bicamérisme). Il s’agit également de conforter le principe héréditaire, alors que le souverain, dont la santé décline, prépare la transmission de la Couronne en faveur de son héritier.

L’entrée dans l’ère de la politique des masses

La presse bonapartiste (Le Pays, Le Peuple français…) s’indignait des atteintes répétées à l’encontre de l’œuvre constitutionnelle validée par plébiscite, qui était sapée à coups de sénatus-consultes adoptés par des sénateurs nommés par l’empereur. En dépit d’une forte hésitation de la part de Napoléon III, un plébiscite est organisé le 8 mai 1870, décision politiquement risquée, mais juridiquement incontournable. La proclamation du souverain admet cette nécessité, qui aboutit à refonder l’édifice constitutionnel d’une France aussi « impériale » que « démocratique » : « Des changements successifs ont altéré les bases plébiscitaires qui ne pouvaient être modifiées sans un appel à la nation. » Officiellement, Émile Ollivier, l’homme fort du gouvernement, se félicite de la consultation, qui assurerait la meilleure des garanties aux avancées libérales, abritées sous le seing plébiscitaire : « De la sorte, la souveraineté du peuple (…) est toujours vivante et à tout instant peut devenir active. » À l’exception des plébiscites organisés localement lors du rattachement de la Savoie et de Nice en avril 1860, au nom du principe des nationalités, il s’agit du seul plébiscite réalisé sous le Second Empire. Néanmoins le mot désigne-t-il toujours la même chose qu’en 1852 ? Le texte ne commence plus par « le peuple veut… », mais par « le peuple approuve les réformes libérales, opérées dans la Constitution depuis 1860 par l’Empereur ». Émile Ollivier met en garde les procureurs et juges de paix contre tout abus d’influence. La réussite du vote affirmatif doit être la conclusion de « l’expression libre de la volonté nationale ». Dès le calendrier établi, les débats s’aiguisent : comités de campagnes, brochures, manifestes, presse, circulaires électorales, affiches animent les confrontations entre les camps adverses. La chanson en français et en patois, l’image décuplent l’intensité de la propagande dans les campagnes et les ateliers. La tenue de réunions publiques fut une vraie nouveauté, pouvant regrouper plusieurs milliers de personnes sur le modèle des meetings anglo-saxons (les républicains additionnèrent un demi-million de participants). Des élus partent à la rencontre de leurs concitoyens sur les foires. La campagne est émaillée d’un déchaînement verbal. L’empereur est traité de « voleur, filou, escroc, vieille botte éculée », son gouvernement de « fripons » et son fils de « marmot scrofuleux », selon les souvenirs d’Ollivier. Un seuil est franchi en termes d’organisation et de moyens matériels, « agitation sans précédent mêlant outrances démagogiques, calculs en tout genre et échanges de haute tenue » (Éric Anceau).

L’Empire refondé… à quatre mois de sa chute

Les observateurs avaient anticipé une victoire serrée du OUI, doublée d’une forte abstention. Or, 7 358 786 OUI (malgré l’hostilité des plus grandes villes ; le NON recueille 1 538 000 votes) approuvèrent les réformes constitutionnelles.

Dépêche télégraphique 9 mai, 11 heures Plébiscite du 8 mai 1870 Résultat de la France (moins 80 arrondissements) [estampe]
© BnF/Gallica (identifiant ark:/12148/btv1b53027411m)

Ou était-ce la reconduction du pacte souscrit entre le peuple et la dynastie ? C’est l’interprétation officielle : « Les adversaires de nos institutions ont posé la question entre la révolution et l’Empire. Le pays l’a tranchée », se félicite le souverain en recevant les résultats. La consultation reste nimbée d’ambiguïté. Les bonapartistes autoritaires (les « mamelucks ») voulaient distordre la procédure afin d’en tirer « un accroissement de la force dynastique » (Eugène Rouher). La consultation piège les libéraux, contraints de voter OUI dans le cadre d’une procédure qui sape l’influence parlementaire. Les républicains détournent la campagne du NON en procès contre le régime. Émile Ollivier a tenté en vain de dépersonnaliser les enjeux, soucieux d’envisager le plébiscite en ratification de l’Empire libéral. Or, le régime sort renforcé, sans dissiper l’équivoque : victoire de la libéralisation ? Soutien renouvelé au souverain ? Accord tacite en faveur de la transmission héréditaire ? À la chute de l’Empire, ses adversaires perçoivent dans l’exercice plébiscitaire une menace contre la République. Jusqu’en 1958 (voire au-delà), la consultation du peuple sur une question constitutionnelle souffre d’un discrédit qui participe de la mise en place de la République absolue, qui ne saurait être mise aux voix sous peine de risque mortelle (Odile Rudelle). Daumier signe de quelques traits ce traumatisme, en novembre 1871 : deux femmes (symbolisant la République ? la liberté ?) ont leur tête prise dans un étau, la souricière étant apprêtée pour la prochaine victime : 1851, 1870, 18… Afin de conjurer la menace, les lois constitutionnelles de la IIIe République stipulent, lors d’une modification intervenue en 1884, que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision ». Tout en sacralisant le peuple souverain, les pères fondateurs placent la République renaissante hors d’atteinte de la procédure électorale.

Le Marronnier du 8 mai
par André Gill (1840-1885), in « L’Eclipse », 8 mai 1870
© BnF (Gallica, identifiant ark:/12148/btv1b53027424c)

 

Auteur : Juliette Glikman, août 2019
Docteur en histoire, et chercheur associé à l’université de Paris-Sorbonne, Juliette Glikman enseigne à SciencesPo. Elle a été lauréate des bourses de la Fondation Napoléon en 2000 pour sa thèse Symbolique impériale et représentation de l’histoire sous le Second Empire. Contribution à l’étude des assises du régime (sous la dir. d’Alain Corbin), publiée en 2013 chez Nouveau Monde Éditions – Fondation Napoléon, sous le titre La monarchie impériale. L’imaginaire politique sous Napoléon III.

Document
– Proclamation et constitution du 14 janvier 1852 > à consulter sur le site du Conseil constitutionnel

Dossiers
– « Le Sénat sous l’Empire de Napoléon III » > à consulter sur le site du Sénat
– Julien Ebersold, « La cession de la Savoie et de Nice à la France », avril 2018 > à consulter sur RetroNews (pour abonnés)

Site internet
Association 1851. Pour la mémoire des résistances républicaines > à consulter ici

Sources
– Émile Ollivier, « Le plébiscite – la lutte – le triomphe », L’Empire libéral, t.XIII, p.332-405 > à consulter ici sur Gallica
– Jean Gilbert Victor Fialin Persigny, « Circulaire sur les élections législatives de 1852 » et « Circulaires sur les élections législatives de 1863 », Le duc de Persigny et les doctrines de l’empire, Paris, H. Plon, 1865, p.37-38 et p.146-156 > à consulter sur Gallica
– A. Romieu, Le Spectre rouge de 1852, Paris, Ledoyen, 1851 > à consulter sur Hathi Trust Digital Library

Iconographie
– Estampe « Louis-Napoléon Bonaparte rétablissant le suffrage universel, Le 2 Décembre 1851 » > à consulter et télécharger sur napoleon.org
– Affiche Au peuple français, Paris, Imprimerie nationale, décembre 1851 > à consulter et télécharger sur Gallica
– Affiche du Comité libéral conservateur, Du Plébiscite de 1870, Bordeaux, A. Perey, 1870 > à consulter et télécharger sur Gallica
– Cham, Où l’autorité comprend le besoin de l’instruction des masses, Le Charivari, 2 mai 1870 > à consulter et télécharger sur Gallica
– Honoré Daumier, M’sieu l’maire quoi donc que c’est qu’un bibiscite ?, Le Charivari, 3 avril 1870 > à consulter et télécharger sur Gallica
– Honoré Daumier, Avis aux amateurs, Le Charivari, 22 novembre 1871 > à consulter et télécharger sur Gallica
– André Gill, Le Marronnier du 8 Mai, L’Éclipse, n°120, 8 mai 1870 > à consulter et télécharger sur Gallica

Articles
– Maurice Agulhon, « La résistance au coup d’État en province. Esquisse d’historiographie », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t.21, janvier-mars 1974, p.18-26.
Francis Choisel, « La procédure de révision constitutionnelle (1852-1870) », Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2008/3 (n° HS 4), p. 50-68.
– Juliette Glikman, « Consacrer l’Empereur : les plébiscites par acclamation du Second Empire », in L’entre-deux électoral. Une autre histoire de la représentation politique en France (XIXe-XXe siècle), dir. Adeline Beaurepaire-Hernandez, Jérémy Guedj, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 83-96
– Vincent Huet, « Le bulletin nul : une forme de résistance à la normalisation de la vie politique (Paris, 1851-1870) », Amnis, 2010/9.

Bibliographie
Éric Anceau, « Enjeux, déroulement et conséquences du plébiscite du 8 mai », L’Empire libéral, t.I, Paris, SPM, 2017, p.641-711.
– Frédric Bluche, Le Bonapartisme. Aux origines de la droite autoritaire, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1980.
– Frédéric Bluche (dir.), Le Prince, le peuple et le roi. Autour des plébiscites de 1851 et 1852, Paris, PUF, 2000.
– Patrick Lagouyete, Le Coup d’État du 2 décembre 1851, Paris, CNRS Éditions, 2016.
– Bernard Ménager, « Les plébiscites du Second Empire », L’Élection du chef de l’État en France de Hugues Capet à nos jours, Paris, Beauchesne, 1988, p.121-130.
– Odile Rudelle, La République absolue. Aux origines de l’instabilité constitutionnelle de la France républicaine, 1870-1889, Paris, Publications de la Sorbonne, 1982.
– Pierre Rosanvallon, La Démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard, 2000.

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