Napoléon dans son cabinet de travail aux Tuileries

Artiste(s) : DAVID Jacques-Louis
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Napoléon dans son cabinet de travail aux Tuileries
Napoléon dans son cabinet de travail aux Tuileries, par Jacques-Louis David
© National Gallery of art, Washington (site https://www.nga.gov)

Le 3 août 1811, un riche écossais, Alexander, marquis de Douglas – qui deviendra le dixième duc de Hamilton en 1819 -, adresse une lettre à David pour lui passer commande d’un portrait de Napoléon. « … vous avez daigné faire choix de mon Pinceau pour transmettre sur la toile les traits du Grand Homme, et le représenter dans un des événements qui l’ont immortalisé« , lui répond l’artiste le 20 septembre. David accepte d’exécuter un portrait en pied pour une somme oscillant entre 20 et 24 000 F qui, finalement, se montera à 1000 guinées soit 18 650 F. Achevé à la fin mars 1812, le tableau attire dans l’atelier du peintre, selon ses propres termes, « une foule innombrable de monde par son extrême ressemblance avec cet homme immortel… personne jusqu’à ce jour n’a encore fait un portrait plus ressemblant, non seulement par les traits matériels du visage, mais aussi par cet air de bonté, de sang froid et de pénétration qui ne l’abandonne jamais« .

La composition est en rupture avec la représentation traditionnelle du souverain en habits d’apparat. Elle s’apparente à une allégorie réaliste évoquant l’œuvre civile de l’Empereur. Napoléon porte l’uniforme bleu à larges revers blancs de colonel des Grenadiers à pied de la Garde, celui qu’il mettait ordinairement le dimanche, réservant l’habit vert des chasseurs à cheval à un usage quotidien. Dans une attitude passée à la postérité, la main droite dans le gilet, l’Empereur est traité sans complaisance. L’artiste ne cherche en rien à masquer la silhouette alourdie ou le visage presque bouffi. La plupart des portraits de David se détachent en buste sur un fonds nu ; le décor du cabinet de travail dans le palais des Tuileries, si précisément détaillé, joue ici un rôle fondamental. Les bougies consumées, l’horloge marquant quatre heures sonnées, la plume et les papiers épars sur le bureau, tout indique que le souverain a passé la nuit à travailler au Code civil. L’aube se lève et Napoléon s’apprête maintenant à passer ses troupes en revue. L’intention du tableau est claire : le chef militaire est aussi un puissant homme d’État, un administrateur et un législateur à la force de travail incomparable.

David exécute une répétition du tableau, un « second original », dès avril 1812, où Napoléon porte l’uniforme de colonel de chasseur à cheval (vert). Restée dans l’atelier de l’artiste et acquise en 1860 par le ministère de la Maison de l’Empereur pour être placée dans la salle des Maréchaux aux Tuileries, l’œuvre est rendue à l’impératrice Eugénie par décision de justice en 1880. Donnée à la princesse Mathilde, qui l’offre elle-même à son frère le prince Napoléon, la toile est acquise par l’État français sous réserve d’usufruit en 1979.

Karine Huguenaud, septembre 2006

=> télécharger le tableau et le voir en zoomant sur le site de la National Gallery of Art de Washington

Le point de vue de… Peter Hicks, historien, chargé des relations internationales à la Fondation Napoléon : « La propagande spontanée de Jacques-Louis David » (sept. 2016)
Nous connaissons tous le portrait de David figurant l’Empereur, ce travailleur insatiable, debout devant son bureau à 4h du matin. Mais savons-nous l’interpréter ? Est-ce de la propagande politique émanant du régime lui-même ? Oui… et non. Ce tableau était une commande du très fortuné Alexandre, 10e duc de Hamilton. Bien que membre du Parlement et un temps diplomate pour LE pays en guerre (totale) avec la France, ce noble écossais, whig, était un grand admirateur de Napoléon.
Paradoxal et vaniteux, il se considérait comme l’héritier légitime du trône écossais ; non sans raison, compte tenu de l’ancienneté de la famille Hamilton et de ses liens avec Marie Stuart. En demandant à David, en 1811, de mettre en scène Napoléon « dans un des événements qui l’ont immortalisé », sans doute Hamilton voulait-il une scène de bataille. Mais David, se sentant éloigné par l’Empereur, produisit tout autre chose, une composition qui reflétait son désir de revenir dans les bonnes grâces de son souverain.
Le peintre (régicide en 1793) semble présenter un Napoléon contemporain mais, en fait, il le transpose subtilement en 1804, du temps où le Consul-Empereur, plus républicain, vient de promulguer le Code civil, visible dans le tableau. Les vies parallèles sous le bureau rappellent l’ancien « héros à la Plutarque ». Lorsque le monarque absolu de la quatrième dynastie de France voit cette représentation d’un monarque républicain bourreau de travail nocturne, il est ravi et commande une copie.
Napoléon dans son cabinet de travail aux Tuileries est ainsi la forme la plus parfaite de la propagande : elle n’est pas commandée, mais spontanément proposée par l’artiste. David donne à Napoléon ce qu’il pense que Napoléon veut. Avant de l’envoyer en Écosse, il expose publiquement la peinture dans son atelier où elle connaît un grand succès public : la leçon a été apprise. Napoléon n’a même plus à dicter le message, comme il avait eu à le faire avec d’autres œuvres, par exemple Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau de Gros.

Date :
signé et daté en bas à gauche : Lud.ci David opus/1812
Technique :
huile sur toile
Dimensions :
H = 2,04 m, L = 1,25 m
Lieux de conservation :
Washington, National Gallery of Art
Crédits :
© www.artchive.com
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