J.O. Boudon : Trois questions sur son ouvrage le Roi Jérôme, le frère prodigue de Napoléon (2008)

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Jacques-Olivier Boudon, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, est professeur d'histoire de la Révolution et de l'Empire à l'université Paris-Sorbonne et président de l'Institut Napoléon. Il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages, parmi lesquels Napoléon et les cultes (Fayard, 2002), La France et l'Europe de Napoléon (2006), Ordre et désordre da,s la France napoléonienne (Napoléon 1er éditions 2008).
J.O. Boudon : Trois questions sur son ouvrage le Roi Jérôme, le frère prodigue de Napoléon (2008)

1) Monsieur Boudon, vous venez de publier chez Fayard, dans la prestigieuse collection des grandes biographies, un portrait du roi Jérôme. À l’inverse des autres membres de sa famille, peu d’ouvrages avaient été consacrés au dernier frère de Napoléon. Pourquoi s’être particulièrement intéressé à lui ?

Le choix s'est imposé de lui-même, dans la mesure où précisément Jérôme est le plus méconnu des frères de Napoléon. En même temps, sa vie est pleine d'aventures. Elle commence par l'épisode romantique du mariage américain avec Elizabeth Patterson, la Belle de Baltimore, se poursuit sur mer, mais aussi sur les champs de bataille de la campagne de 1806, en Silésie, avant que Jérôme soit propulsé à la tête du royaume de Westphalie. Il n'a alors que 23 ans ! Mais l'intérêt pour le personnage est aussi né de sa longévité. Jérôme est le dernier survivant de l'épopée, puisqu'il meurt en 1860. Il connaît donc la naissance du Second Empire et participe à l'évolution du nouveau régime. Il est intéressant aussi par la destinée de ses enfants, notamment la princesse Mathilde et le prince Napoléon, dit Plon Plon. Enfin il est le fondateur de la branche qui porte encore aujourd'hui l'héritage de Napoléon.

2) Cette grande biographie paraît à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée à Fontainebleau. Le regard change-t- il aujourd’hui sur ce personnage, qui a pourtant traversé les deux empires ?

L'exposition de Fontainebleau qui fait suite à celle qui fut organisée à Cassel met l'accent sur le souverain, roi réformateur, amoureux des arts. J'ai de mon coté voulu montrer les diverses facettes de ce jeune roi, qui aime les femmes et les plaisirs. Sa réputation de « König lustig », de « roi joyeux », n'est pas usurpée. En même temps, il a été attentif à son royaume, soucieux d'y introduire les réformes, en particulier l'égalité civile ou la liberté religieuse. Il a supprimé le servage, accordé des droits aux juifs, introduit le Code civil. Il est aussi à l'origine de réformes de l'administration, de la justice, des finances, qui transforment en profondeur le pays. Il a enfin favorisé le développement des arts et de la culture.
J'ai aussi voulu insister sur la troisième partie de sa vie, la plus longue, celle de l'exil d'abord, en Autriche, puis en Italie, d'abord à Rome puis à Florence. Cet exil dure 33 ans ! C'est une période très intéressante pour comprendre comment s'organisent les Bonaparte après la chute de Napoléon, comment se prépare la restauration de l'Empire. De ce point de vue, les relations entre Jérôme et Louis Napoléon sont fort éclairantes, depuis l'épisode de l'insurrection des Romagnes en 1831 jusqu'au coup d'état du 2 décembre. Elles sont complexes, car l'ancien roi de Westphalie trouve son neveu trop remuant et craint qu'il ne compromette la cause des Bonaparte. Même en 1848, le soutien est mesuré, car Jérôme n'a jamais complètement abandonné l'idée qu'il aurait pu se trouver à la place de Louis Napoléon. Il va dès lors rêver que son fils Plon Plon puisse assumer ce rôle.

3) Parmi les nombreuses archives consultées, quelles furent les principales découvertes que vous avez faites, les zones d’ombre laissées par la postérité que vous avez éclairées ?

Le livre que je publie est la première biographie de Jérôme à s'appuyer de façon systématique sur le très riche fonds des archives privées de la famille Napoléon, déposé aux Archives nationales depuis 1979, le fonds 400 AP. Ce fonds éclaire particulièrement les relations personnelles entretenues par Jérôme avec une foule de correspondants, ses frères et soeurs en premier lieu, mais aussi ses hommes de son entourage, les souverains étrangers. J'ai aussi consulté le fonds plus classique consacré au royaume de Westphalie au archives du Quai d'Orsay et ai pu compléter ces informations notamment grâce à la consultation des archives de la fin du royaume prises par les Russes en 1813 et conservées depuis à la Bibliothèque nationale de Saint-Pétersbourg.
Le croisement de ces archives permet d'éclairer en particulier la relation complexe entre Napoléon et Jérôme, ce que ne peut faire le seul fonds des archives privées, car Jérôme n'avait pas conservé les lettres les plus critiques que lui avait adressées son frère ; il faut donc les chercher ailleurs, dans les fonds publics. De même les archives privées sont très discrètes sur les aventures amoureuses de Jérôme. Son fils Plon Plon a ainsi brûlé les lettres que son père avait reçues de la marquise Bartholini qu'il avait épousée morganatiquement en 1840.
Mais dans l'ensemble, la richesse des sources disponibles permet de dresser un portrait assez complet du dernier frère de Napoléon, grâce auquel on parcourt l'histoire de la France et de l'Europe depuis la fin de l'Ancien Régime jusqu'au milieu du Second Empire.

 

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