E. Robbe : réouverture des salles napoléoniennes du Musée de l’Armée (mai 2009-mars 2010)

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Lancé en 1996, le projet Athena, de réaménagement et de modernisation du musée de l’Armée, arrive à son terme (les dernières salles, notamment Second Empire devraient ré-ouvrir en mars 2010), offrant un nouvel écrin à l’une des plus belles et plus grandes collections d’armes, d’uniformes, etc. du monde. Conservateur du département moderne du Musée de l’Armée, Émilie Robbe revient sur ce projet et nous présente les nouveaux aspects du musée, à travers les salles Premier Empire, ré-ouvertes en mai 2009. Propos recueillis par Irène Delage, août 2009.

E. Robbe : réouverture des salles napoléoniennes du Musée de l’Armée (mai 2009-mars 2010)
Département moderne, M.A. / Repérage architecture (mandataire). Photo Luc Boegly

Irène Delage : Le projet Athena, de réaménagement et de modernisation du musée de l’Armée, a été lancé en 1996. Pouvez-vous nous en rappeler les principaux enjeux ?

Émilie Robbe : Le musée de l’Armée, qui a vu le jour en 1905, n’a connu qu’un seul remaniement de grande ampleur, à la fin des années 1960. Trente années plus tard, il est apparu indispensable de prendre en compte l’évolution des attentes de son public, des directives de la tutelle et du fonctionnement de l’établissement. Un projet de modernisation a donc vu le jour, qui vise à  renforcer le lien entre la nation et son armée en passant d’un musée tourné vers les objets à un musée d’histoire.
Le nom de code  « ATHENA » évoque la richesse des collections conservées par le musée de l’Armée et la diversité des thèmes qu’il aborde mais aussi les enjeux citoyens qu’ils recouvrent : armes, techniques, histoire, emblèmes, nation, armée. L’acronyme préside au programme de modernisation de l’ensemble de l’établissement, qui doit s’affirmer en tant que grand musée du bord de la Seine installé dans un monument historique des plus prestigieux et des plus visités.

Irène Delage : Gestion des collections, accueil du public, etc. : quelles problématiques se posent dans un projet d’une telle ampleur ?

Département moderne, M.A. / Repérage architecture (mandataire). Photo Luc BoeglyÉmilie Robbe : ATHENA est un programme global, qui touche à tous les aspects du fonctionnement de l’établissement.
La partie la plus visible du projet s’achève cette année avec la mise en œuvre des nouvelles présentations permanentes du département Moderne (1643-1871) après la réouverture du département Ancien (Ve-XVIIe siècle) et de celui des Deux Guerres mondiales, ainsi que la création de l’Historial consacré à Charles de Gaulle.
L’accueil et l’orientation du public sont cruciaux, notamment, c’est pourquoi le projet prend en compte le remaniement des espaces d’accueil, l’amélioration de la signalétique et la modernisation de la billetterie, mais aussi les stratégies de communication.
Il est indispensable, cependant, qu’un programme aussi complet intègre des problématiques moins évidentes aux yeux des visiteurs.
Par ailleurs, les missions du musée impliquent des améliorations nécessaires, notamment l’aménagement de nouvelles réserves, celui des espaces de la bibliothèque et la création de salles dédiées aux expositions temporaires. Il faudrait mentionner également qu’un tel projet ne peut s’opérer sans une réorganisation des services de l’établissement ; de nombreux efforts ont été accomplis en ce sens depuis une quinzaine d’années, afin de mettre en adéquation objectifs et moyens.

Irène Delage : Mise en espace des collections, scénographie et parcours des visites, multimédia : quelles sont les lignes directrices qui prévalent dans les nouvelles salles ?

Département moderne, M.A. / Repérage architecture (mandataire). Photo Luc BoeglyÉmilie Robbe : Comme pour chaque ouverture d’un nouvel espace au musée de l’Armée, les salles du département moderne s’intègrent dans le projet d’ensemble du musée tout en prenant en compte la spécificité des collections à présenter. Dans le cas des salles consacrées à la période 1643-1871 – dont la première partie s’est ouverte au public lors de la dernière Nuit des musées, nous avons tenté de concilier plusieurs objectifs, liés à la nature des collections et à leur histoire, mais aussi aux attentes du public.

Le mot d’ordre pourrait en être résumé ainsi : donner à voir, donner à comprendre, donner à aimer.

Pour donner à voir, nous avons mis l’accent sur la mise en valeur des objets dans l’espace, non seulement en aérant la présentation, mais aussi en variant les angles de vue, notamment par des jeux de miroir ou par l’agencement des vitrines qui permettent dans toute la mesure du possible de comprendre chaque objet dans ses trois dimensions.

Donner à comprendre était une des missions principales de la transformation d’un « musée d’objets » en un musée d’histoire. Le public du musée de l’Armée s’est fortement diversifié depuis les années 1960. De nombreux étrangers, ignorant tout ou presque de l’histoire de France et de ses armées, côtoient dans les salles les amateurs les plus distingués, les familles et les groupes scolaires ; les femmes fréquentent désormais l’établissement en nombre égal à la population masculine… C’est pourquoi il était aussi indispensable de mettre en place des outils de médiation qui répondent aux besoins des uns et des autres. Plus de cent vingt panneaux ont ainsi pris place dans les premières salles 1643-1814, hiérarchisés en fonction de l’information qu’ils portent : histoire générale, contenu des salles, détails sur une unité ou une campagne… D’autres supports permettant d’approfondir d’autres aspects de cette histoire (vie des objets, sciences et techniques, stratégies…), prendront place ensuite en salles, notamment grâce à un dispositif multimédia comprenant des bornes interactives et des plans animés de batailles.
C’est ainsi, à travers l’alliance étroite de l’esthétique et de la médiation, que le musée espère donner à aimer l’histoire qu’il raconte et les objets qui l’incarnent.

Irène Delage : En raison des nouveaux aménagements, un certain nombre de pièces ne devraient plus être exposées : comment opère-t-on un tel choix ? Que deviennent les pièces « écartées », une rotation des œuvres est-elle envisageable ? Des expositions temporaires thématiques ?

Émilie Robbe : Les choix effectués pour la nouvelle présentation, mais aussi le respect des nouvelles réglementations en terme de sécurité des publics et d’accessibilité des espaces, nous ont poussés à réduire quelque peu la quantité des objets présentés. Le tri s’est effectué suivant une ligne directrice simple : si l’on doit ne présenter qu’une seule pièce au lieu de trois du même type, il faut que celle-ci soit la plus significative, la plus authentique, et la plus belle possible. Nous avons donc opéré une campagne critique scientifique et exhaustive de l’ensemble des pièces qui se trouvaient autrefois dans les salles afin d’éliminer les doublons, les ajouts tardifs, les objets trop fragiles ou détériorés – parfois irrémédiablement – par des interventions abusives dans le passé. Les pièces qui, à l’issue de cette critique, n’ont pas été retenues seront conservées dans les réserves ; elles pourront réintégrer les salles à l’avenir, après avoir été « dé-restaurées » pour certaines mais aussi, dans la majorité des cas, à l’occasion d’expositions temporaires sur des sujets plus précis.
Par ailleurs la grande sensibilité de certains supports à la lumière, qui les dégrade irrémédiablement, nous oblige à privilégier des présentations temporaires ou des rotations, dans le cas des oeuvres sur papier. Cependant, s’il avait fallu organiser de semblables rotations pour les collections textiles, nous aurions dû amputer la présentation permanente de près d’un tiers de sa surface, car les collections ne sont ni pléthoriques, ni à ce point redondantes. Afin de répondre malgré tout aux attentes du public et – par exemple – d’exposer en permanence la redingote grise portée par Napoléon Ier à Sainte-Hélène, nous avons plutôt fait le choix d’une faible luminosité ambiante, qui, si elle ne satisfait pas tous les visiteurs a néanmoins le mérite de permettre la présentation durable d’une pièce aussi insigne et aussi attendue.

Irène Delage : Conservateur au département moderne du musée de l’Armée, quels sont les objets qui vous touchent plus particulièrement ?

Émilie Robbe : La question est délicate, car la variété des collections du musée offre une grande palette d’émotions à qui veut bien se prêter au jeu.
Certaines pièces, par exemple, touchent plutôt l’historienne. La splendide pertuisane des Gardes de la Manche décorée par Jean Bérain ou les superbes coffrets de pistolets réalisés par N.-N. Boutet pour Napoléon Ier évoquent à la fois la splendeur de l’État, la grandeur des hommes qui l’ont dirigé et l’importance, à leurs yeux, de l’art militaire.
D’autres encore témoignent des progrès technologiques développés en France et le travail d’innovateurs de génie, comme Honoré Blanc et Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval, concepteurs  du fusil « modèle 1777 », dont le musée possède l’exemplaire de fabrique n°1 et un nécessaire complet pour la vérification des pièces avant assemblage.
D’autres parlent du sacrifice et de la souffrance qu’ont pu endurer les soldats anonymes ou non, au nom des idéaux d’une Nation qui se définit et s’identifie peu à peu. Par exemple la cuirasse du maréchal de Turenne, l’habit déchiré à Wagram de 11 coups de sabres du général de La Roncière, la prothèse d’épaule du général d’Aboville ou un modeste pistolet trouvé sur le champ de bataille de Waterloo.
D’autres enfin émeuvent l’historienne de l’art, tels les deux portraits magistraux réalisés par Gros, l’un représentant le général Lasalle lors de la prise de Stettin, avec le savant mélange d’héroïsme et de modestie qui sied à un audacieux vainqueur ; et l’autre, plus poignant, plus intime et non moins héroïque, qui représente les adieux du général de Lariboisière à son fils, à l’aube de la bataille de la Moskowa.

Irène Delage : Que souhaiteriez-vous que les visiteurs, français et étrangers, retiennent de leur visite ?

Émilie Robbe : À des degrés divers, nous avons souhaité que les visiteurs, en fonction de leurs envies et de leurs centres d’intérêts, puissent quitter ces salles en ayant pu comprendre certains des fondements (militaires) de la France d’aujourd’hui, en ayant satisfait leur curiosité historique, mais aussi en ayant vibré avec les héros de cette histoire ou en s’étant laissé surprendre, parfois.
S’il est un élément aussi, que je souhaiterais ajouter, c’est que ces salles sont encore très perfectibles. Tous les jours, nous travaillons à améliorer la présentation, à mieux accompagner nos visiteurs, car la muséographie, comme l’histoire, est une discipline qui doit en permanence se renouveler pour ne pas s’endormir.

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