Convention franco-russe d’Erfurt, 12 octobre 1808

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S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, et S. M. l'Empereur de toutes les Russies, voulant rendre de plus en plus étroite et à jamais durable l'alliance qui les unit, et se réservant de s'entendre ultérieurement, s'il y a lieu, sur les nouvelles déterminations à prendre et les nouveaux moyens d'attaque à diriger contre l'Angleterre, leur ennemie commune et l'ennemie du continent, ont résolu d'établir, dans une convention spéciale, les principes qu'il sont déterminés à suivre invariablement dans toutes leurs démarches pour parvenir au rétablissement de la paix. Ils ont, à cet effet, nommé pour leur plénipotentiaires respectifs, savoir :

S. M. l'Empereur des Français, Son Exc. M. Jean-Baptiste Nompère de Champagny, comte de l'Empire, grand aigle de la Légion d'Honneur, son ministre des Relations extérieures ;
Et S. M. l'Empereur de toutes les Russies, Son Exc. M le Comte Nicolas de Romanzoff, conseiller privé actuel de S. M. l'Empereur de toutes les Russies, sénateur, membre du Conseil, ministre des Affaires Etrangères, ministre du Commerce, chevalier des ordres ;

Lesquels sont convenus de ce qui suit :

Article 1er
S. M. l'Empereur des Français, Roi d'Italie, et S. M. l'Empereur de toutes les Russies confirment et, en tant que besoin est, renouvellent l'alliance conclue entre eux à Tilsit ; s'engageant, non seulement à ne faire avec l'ennemi commun aucune paix séparée, mais encore à n'entrer avec lui dans aucune négociation et à n'écouter aucune de ses propositions que d'un commun accord.
 
Article 2
Ainsi résolues de rester inséparablement unies pour la paix comme pour la guerre, les H. P. C. conviennent de nommer des plénipotentiaires pour traiter de la paix avec l'Angleterre et de les envoyer à cet effet dans la ville du continent que l'Angleterre désignera.
 
Article 3
Dans tout le cours de la négociation, si elle a lieu, les plénipotentiaires respectifs des H. P. C. agiront constamment avec le plus parfait concert, et il ne sera permis à aucun d'eux, non seulement d'appuyer, mais même d'accueillir ou d'approuver contre les intérêts de l'autre Partie Contractante aucune proposition ou demande des plénipotentiaires anglais qui, prises en elles-mêmes et favorables aux intérêts de l'Angleterre, pourraient aussi présenter quelques avantage à l'une des P. C.

Article 4
La base du traité avec l'Angleterre sera l'ulti possidetis.
 
Article 5
Les H. P. C. s'engagent à regarder comme condition absolue de la paix avec l'Angleterre qu'elle reconnaîtra la Finlande, la Valachie et la Moldavie comme faisant partie de l'Empire de Russie.
 
Article 6
Elles s'engagent à regarder comme condition absolue de la paix que l'Angleterre reconnaisse le nouvel ordre de choses établi par la France en Espagne.
 
Article 7
Les H. P. C. s'engagent à ne recevoir de la part de l'ennemi, pendant la durée des négociations, aucune proposition, offre ou communication quelconque, sans en faire immédiatement par aux Cours respectives ; et si lesdites propositions sont faites au Congrès réuni pour la paix, les plénipotentiaires devront respectivement se les communiquer.
 
Article 8
S. M. l'Empereur de toutes les Russies, d'après les révolutions et changements qui agitent l'Empire Ottoman et qui ne laissent aucune possibilité de donner, et par conséquent aucune espérance d'obtenir des garanties suffisantes pour les personnes et les biens des habitants de la Valchie et de la Moldavie, ayant déjà porté les limites de son Empire jusqu'au Danube de ce côté, et réuni la Valchie et la Moldavie à son Empire, ne pouvant qu'à cette condition reconnaître l'intégrité de l'Empire Ottoman, S. M. l'Empereur Napoléon reconnaît ladite réunion et les limites de l'Empire russe de ce côté portées jusqu'au Danube.
 
Article 9
S. M. l'Empereur de toutes les Russies s'engage à garder dans le plus profond secret l'article précédent et à entamer, soit à Constantinople, soit partout ailleurs, une négociation afin d'obtenir, à l'amiable si cela se peut la cession de ces deux provinces. La France renonce à sa médiation.
 
Article 10
Dans le cas où, la Porte Ottomane se refusant à la cession des deux provinces, la  guerre viendrait à se rallumer, l'Empereur Napoléon n'y prendra aucune part et se bornera à employer se bons offices auprès de la Porte Ottomane ; mais s'il arrivait que l'Autriche ou quelque autre Puissance fît cause commune avec l'Empire Ottoman dans ladite guerre, S. M. l'Empereur Napoléon ferait immédiatement cause commune avec la Russie, devant regarder ce cas comme un de ceux de l'alliance générale qui unit les deux empires.
Dans le cas où l'Autriche se mettrait en guerre contre la France, l'Empereur de Russie s'engage à se déclarer contre l'Autriche et à faire cause commune avec la France, ce cas étant également un de ceux auxquels s'applique l'alliance qui unit les deux empires.
 
Article 11
Les H. P. C. s'engagent d'ailleurs à maintenir l'intégrité des autres possessions de l'Empire Ottoman, ne voulant ni faire elles-mêmes, ni souffrir qu'il soit fait aucune entreprise contre aucune partie de cet Empire, sans qu'elles en soient préalablement convenues.
 
Article 12
Si les démarches faites par les deux H. P. C. pour ramener la paix sont infructueuses, soit que l'Angleterre élude la proposition qui lui sera faite, soit que les négociations soient rompus, Leurs Majestés Impériales se réuniront de nouveau, dans le délai d'un an, pour s'entendre sur les opérations de la guerre commune et sur les moyens de la poursuivre avec toutes les forces et toutes les ressources des deux empires.
 
Article 13
Les deux H. P. C. voulant reconnaître la loyauté et la persévérance avec laquelle le Roi de Danemark a soutenu la cause commune, s'engagent à lui procurer un dédommagement pour ses sacrifices et à reconnaître les acquisitions qu'il aura été dans le cas de faire dans la présente guerre.
 
Article 14
La présente convention sera tenue secrète au moins pendant l'espace de dix années.

 
Erfurt, le 12 octobre 1808

J. B. Nompère de Champagny,
Comte Nicolas de Romanzoff

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