Présentation du tome 5 de la Correspondance (1805)

Auteur(s) : KERAUTRET Michel
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Présentation faite le 28 novembre 2008 au Musée La Poste à Paris.

Préambule

On relèvera d'abord que ce volume est une sorte d'enfant du miracle, qui n'aurait jamais dû voir le jour. Au départ, le premier semestre de 1805 devait s'inscrire à la suite de l'année 1804, dans le tome 4, et le second semestre faire l'ouverture du volume consacré à 1806. L'année 1805 n'aurait donc pas eu d'existence distincte, et cela pouvait se justifier à certains égards, étant donné le tournant que représente la fameuse « pirouette » de la Grande Armée du camp de Boulogne vers le Rhin.
Néanmoins, vu le nombre des lettres que l'on a finalement réunies, il a semblé plus approprié de créer un volume supplémentaire consacré à 1805, celui que vous tenez aujourd'hui dans les mains.
C'est ainsi que j'ai été amené à m'associer à Gabriel Madec, lui venant de l'amont et moi de l'aval. Nous étions censés rabouter les deux moitiés de l'année, chacun se chargeant d'un semestre. En pratique, notre collaboration a été plus étroite, et je crois que chacun de nous a profité pour sa propre moitié de volume des apports de l'autre.
En tout cas, pour ce qui me concerne, je n'ai eu qu'à me féliciter de ce travail fait en commun. Non seulement, Gabriel m'a fait bénéficier de son expérience, puisqu'il participe à l'entreprise depuis le tome 2, ainsi que de son érudition dans le domaine de l'histoire militaire et navale, mais son humour, sa patience, sa disponibilité, en ont fait un partenaire particulièrement agréable.
Comme en plus, nous avons des origines bretonnes en commun… Bref, nous avons convenu de renouveler cette collaboration pour le tome 7, c'est-à-dire l'année 1807.
 
Par ailleurs, je n'ai pas besoin de rappeler, mais cela va peut-être encore mieux en le disant, combien cette publication est une entreprise collective, un travail d'équipe.
Le président de la Fondation a rappelé, à juste titre, le rôle des dizaines de passionnés qui s'y consacrent.
Je soulignerai plus particulièrement l'aide précieuse que nous ont apportée certains spécialistes pour éclairer des points délicats.
Je pense à Jacques Garnier, qui connaît mieux que personne la campagne d'automne qui aboutit à la bataille d'Austerlitz.
Je pense à Alain Pillepich, qui nous a fait profiter bien des fois de sa connaissance unique du domaine italien, et dont l'érudition bougonne, jamais prise en défaut, nous a sûrement évité bien des erreurs.
Je pense aussi à Jacques Macé, à Patrick Le Carvèse, qui se sont plongés des heures durant dans les archives de Vincennes, avec le concours d'Alain Guéna, pour en extraire les pépites qui s'y cachent et ramener à la lumière les vies oubliées de bien des obscurs et des sans grade.
 Et je m'en voudrais d'oublier Jean-Pierre Pirat, auteur de cartes très appréciées, ou Irène Delage, qui a rédigé la chronologie.
On me permettra enfin de souligner le travail accompli par l'état-major de la Fondation, par Elodie Lerner, égérie discrète, et par l'infatigable François Houdecek, mémoire de la publication et sourcilleux gardien du Temple.
Et last but not least, par Thierry Lentz, qui veille à tout même quand il n'apparaît pas en première ligne, et qui demeure l'aiguillon indispensable de cette entreprise.
En rappelant tout cela, je n'entends pas sacrifier à un exercice convenu, mais rendre justice à ceux qui le méritent pleinement. Néanmoins, il n'est pas question non plus d'ouvrir un parapluie en s'abritant derrière un collectif. Il est fatal que, sur une masse aussi considérable de documents, traitant d'affaires très diverses, un certain nombre d'erreurs et de coquilles réussissent à passer entre les mailles du filet, et j'en ai déjà repéré deux ou trois. On en trouvera évidemment d'autres. C'est regrettable, mais sans doute inévitable. Comme disent les sportifs, nous essaierons de faire mieux la prochaine fois. En attendant, les directeurs du volume assument pleinement la responsabilité du contenu de celui-ci.

L’année 1805

Mais assez parlé du making up. Ce qui vous intéresse d'abord, c'est évidemment le volume lui-même.
Ce tome 5 est un peu plus « svelte » que les précédents, mais ses 1150 pages et ses 1764 lettres fournissent tout de même une matière substantielle au lecteur.
Il y trouvera de nouveau, comme dans les précédents volumes, ce qui fait le prix de cette correspondance, une histoire rafraîchie, non encore sédimentée une histoire ingénue, en train de se faire, au moment où nul ne connaît la suite.
Quant à l'originalité de cette édition par rapport à celle du Second Empire, le fait qu'elle soit sinon critique, ce qui serait bien exagéré, mais en tout cas annotée, loin de l'alourdir, contribue au contraire, me semble-t-il, à la rajeunir, en explicitant autant que possible ce qui était, pour un lecteur de l'époque, une évidence, mais ne l'est plus deux siècles après, et constituerait donc un obstacle à la compréhension immédiate.
J'en arrive au contenu de ce volume particulier. Ce qui caractérise l'année 1805, plus encore que les précédentes si c'est possible, c'est qu'elle fut particulièrement riche et multiple.
On le voit dès le titre. Alors que, pour les volumes précédents, il avait été possible de trouver une dénomination assez générale, permettant de rendre compte de manière satisfaisante de l'esprit de la période correspondante (Les apprentissages, Pacifications, Ruptures et fondations), on n'y est pas parvenu pour 1805. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, je me souviens des discussions que nous avons eues à ce sujet lors de la réunion de la commission historique. Mais il a bien fallu se rendre à l'évidence : cette année-là n'est pas réductible à un concept unique.
Le titre finalement choisi, Boulogne, Trafalgar, Austerlitz, reflète assez bien cela. En 1805, l'histoire s'accélère et elle se dilate. Non certes que l'on ait sommeillé au cours des années précédentes, comme vous le savez bien. Mais enfin, on passe à un autre rythme et surtout à une autre échelle. L'Atlantique d'un côté, l'Allemagne de l'autre font leur entrée à part entière dans le quotidien de l'activité napoléonienne.
1805 est donc bien une année charnière. Certes, la guerre avec l'Angleterre avait commencé en 1803, et le camp de Boulogne existait depuis deux ans. Quant à l'Allemagne, Bonaparte s'en était un peu occupé à l'époque du Recès en 1802-1803, et les Français occupaient le Hanovre depuis juin 1803. Cela demeurait néanmoins marginal. Tout change en 1805. L'univers napoléonien s'agrandit tout à coup, ouvrant la voie à l'expansion démesurée des années suivantes.
 
Néanmoins, il est un aspect de l'année 1805 que le titre n'évoque pas, et auquel on ne songe pas forcément tout de suite, mais dont l'importance est fondamentale pour comprendre ce qui se passe alors, c'est la question italienne. Lorsque vous vous plongerez dans ce volume, vous le verrez très vite, ne serait-ce qu'au nombre des lettres, plus de cent, adressées par Napoléon à son beau-fils Eugène, vice-roi d'Italie depuis le début de juin 1805. Pour éclairer cette question, nous avons demandé une étude spécifique à Alain Pillepich, meilleur expert de l'Italie située au nord du Tibre.
Si l'on veut schématiser à l'extrême la logique des événements de 1805, on dira peut-être que Napoléon se trouve écartelé d'emblée entre deux postulations. D'un côté, la guerre à mener contre l'Angleterre, qui suppose une mobilisation de toutes les forces françaises du côté de la mer – et c'est Boulogne. Mais d'autre part, il ne perd pas de vue ses ambitions italiennes, rééditant le schéma de 1797. De façon plus générale, c'est l'éternel dilemme de la France qui, n'étant pas une île, doit toujours tenir deux fronts, se garder à gauche, du côté de la mer, et se garder à droite, du côté du continent. Fatalité peut-être. Mais dans le cas de 1805, on peut aussi parler de légèreté ou de précipitation.
Tout en préparant sa descente en Angleterre, Napoléon croit pouvoir augmenter son emprise sur l'Italie. Cela se manifeste de façon très symbolique dès le premier jour de l'année 1805. Même si celui-ci ne s'appelle à Paris que le 11 nivôse (et c'est la dernière fois, cela soit dit en passant, puisque le calendrier grégorien sera remis en vigueur le 1er janvier 1806), Napoléon n'oublie pas d'envoyer des voeux de bonne année aux souverains étrangers.
Il écrit notamment aux deux principaux, le roi d'Angleterre Georges III, et l'empereur germanique François II. Au premier, pour lui proposer de faire la paix, tout en lui précisant qu'il ne redoute pas la guerre. Au second pour lui parler de l'Italie, et lui annoncer qu'il a cédé ses droits sur la République italienne à son frère Joseph et que celui-ci sera bientôt proclamé roi d'Italie.
L'Angleterre et l'Italie donc, dès le 1er janvier. Et cela ne cessera plus, pendant tout le premier semestre de l'année 1805. Napoléon se rend souvent à Boulogne, il élabore de superbes plans de campagne maritime (dont Gabriel vous parlera plus complètement), mais il trouve le moyen de s'absenter plus de trois mois, du 1er avril au 10 juillet, pour aller se faire couronner roi d'Italie à Milan, et visiter une partie de son nouveau royaume. Entre temps, il avait changé d'avis, et décidé de prendre pour lui-même cette couronne d'Italie qu'il prétendait d'abord destiner à son frère. Il l'a annoncé à l'empereur germanique le 17 mars. Il paraît à peu près évident que cette décision contribua fortement à préparer l'Autriche à la guerre, d'autant plus qu'elle fut suivie en juin de l'annexion de la République ligurienne, qui décida la Russie à lever ses dernières hésitations et à entrer dans une alliance offensive avec l'Angleterre.
Napoléon avait donc chassé deux lièvres à la fois. De proche en proche, son ambition italienne allait l'empêcher d'atteindre la proie anglaise, puisque la coalition continentale l'obligea à lever le camp de Boulogne au cours du mois d'août. Reste évidemment la question de la faisabilité du plan maritime qu'il avait conçu, et certains diront peut-être que la coalition lui a sauvé en réalité la mise en lui offrant une compensation à l'échec maritime prévisible. Je laisse cela à Gabriel.
 
Si le premier semestre avait été maritime et italien, le second fera le régal des passionnés d'histoire militaire.
C'est la Grande Armée dans la force de sa jeunesse irrésistible. C'est la belle mécanique napoléonienne à l'oeuvre, la campagne que l'on suit au jour le jour, même si la correspondance ne répond pas à toutes les questions que soulève un historien minutieux comme Jacques Garnier.
C'est aussi un foisonnement de noms plus ou moins connus, cités dans la Correspondance, et pour lesquels le travail d'annotation sera, je crois, particulièrement utile au lecteur. Je renvoie aussi à l'organigramme très complet de la Grande Armée réalisé par Gabriel Madec, qui servira de référence aux spécialistes.
Le second semestre de 1805, c'est aussi, du point de vue qui m'intéresse particulièrement, la « germanisation » de l'horizon napoléonien.
Jusque là, Napoléon s'était occupé surtout de l'Italie, il ne connaissait de l'Allemagne que les départements de la rive gauche du Rhin, visités en 1804, et la ville de Rastadt, où il avait passé trois jours à la fin de 1797. Désormais, l'Allemagne sera au centre de ses préoccupations, au point qu'il y aura passé, à la fin de sa carrière, plus de jours qu'en Italie. C'est en Allemagne, vous le savez, qu'il trouvera sa seconde épouse et qu'il établira plusieurs membres de sa famille, que ce soit par mariage ou en leur créant des royaumes.
Ce basculement de l'axe de l'empire commence précisément à la fin de l'été 1805. Pour combattre l'Autriche, Napoléon conclut une série de traités avec les États moyens du sud, s'engageant à les agrandir, puis à finir de rationaliser la carte de l'Allemagne. Après la victoire, d'autres traités viendront sanctionner les acquis.
Quant à la guerre, Napoléon la fera désormais surtout en Allemagne, l'Italie devenant un théâtre secondaire. La campagne de 1805 n'est que la première d'une série, 1806, 1809, 1813.
Enfin, la présence militaire durable des Français en Allemagne aura de grandes conséquences. Elle commence à agacer dès 1806, et finira par exaspérer les populations et contribuera largement à l'émergence du nationalisme allemand.
   
Voilà quelques-uns des faits marquants, me semble-t-il, de cette année 1805, qui se termine glorieusement à Austerlitz et à Presbourg.
Mais bien d'autres sujets sont évidemment abordés au fil des lettres. Je vous laisse le soin de les découvrir, et je ne doute pas que ce volume vous procurera, comme les précédents, bien des plaisirs, et sans doute aussi quelques surprises.

Titre de revue :
Inédit
Mois de publication :
Novembre
Année de publication :
2008
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