Xème BULLETIN (Bataille d’Essling 21 -23 mai 1809)

Auteur(s) : PASCAL A.
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Ebersdorf, le 23 mai 1809
 
«  Vis-à-vis d'Ebersdorf,  le Danube est divisé en trois bras séparés par deux îles. De la rive droite à la première île, il y a 240 toises : cette île a à peu près 1 000 toises de tour. De cette île à la grande île, où est le principal courant, le canal est de 120 toises. La grande île est appelée In-Der-Lobau, à 7 000 toises de tour, et le canal qui la sépare du continent  a 70 toises. Les premiers villages que l'on rencontre ensuite sont Gross-Aspern, Essling et Enzersdorf. Le passage d'une rivière comme le Danube  devant un ennemi connaissant les localités, et ayant les habitans (sic) pour lui, est une des plus grandes opérations de guerre, qu'il soit possible de concevoir.
 
  » Le pont de la rive droite à la première île, et celui de la première île à celle de In-Der-Lobau ont été fait dans la journée du 19, et dès le 18, la division Molitor avait été jetée par des bateaux à rame dans la grande île.
 
  » Le 20, l'empereur passa dans cette île, et fit établir un pont sur le dernier bras, entre Gross-Aspern et Essling. Ce bras n'ayant que 70 toises, le pont n'exigea que 15 pontons, et fut jeté en trois heures par le colonel d'artillerie Aubry.
 
  » Le colonel Sainte-Croix, aide de camp du maréchal Duc de Rivoli, passa le premier dans un bateau sur la rive gauche.
 
  » La division de cavalerie légère du général Lasalle et les divisions Molitor et Boudet passèrent dans la nuit.
 
  » Le 21, l'Empereur, accompagné du prince de Neufchâtel et des maréchaux ducs de Rivoli et de Montebello, reconnut la position de la rive gauche, et établit son champs de bataille, la droite au village d'Essling et la gauche à celui de Gross-Aspern qui furent sur le champs occupé.
 
  » Le 21, à quatre heures de l'après-midi, l'armée ennemie se montra et parut avoir le dessein de culbuter notre avant-garde et de la jeter dans le fleuve : vain projet ! le maréchal duc de Rivoli fut le premier attaqué à Gross-Aspern, par le corps du général Bellegarde. Il manoeuvra avec les divisions Molitor et Legrand, et pendant toute la journée fit tourner à la honte de l'ennemi toutes les attaques qui furent entreprises. Le duc de Montebello défendit le village d'Essling, et le maréchal duc d'Istrie avec la cavalerie légère et la division de cuirassiers Espagne couvrit la plaine et protégea Enzersdorf, l'affaire fut vive : l'ennemi déploya 200 pièces de canon et à peu près 90 000 hommes composés des débris de tous les corps de l'armée autrichienne.
 
  » La divisions de cuirassiers Espagne fit plusieurs belle charges, enfonça deux carrés en s'empara de 14 pièces de canon. Un boulet tua le général Espagne combattant glorieusement à la tête de ses troupes, officier brave, distingué et recommandable sous tous les points de vue. Le général de brigade Fourlers fut tué dans une charge.

  » Le général Nansouty, avec la seule brigade commandée par le général Saint-Germain, arriva sur le champ de bataille vers la fin du jour. Cette brigade se distingua par plusieurs belles charges. A huit heures du soir le combat cessa, et nous restâmes entièrement maîtres du champ de bataille.

  » Pendant la nuit, le corps du général Oudinot, la division Saint-Hilaire, deux brigades de cavalerie légère et le train d'artillerie passèrent les trois ponts.
 
  » Le 22, à quatre heures du matin, le duc de Richelieu fut le premier engagé. L'ennemi fit successivement plusieurs attaques pour reprendre le village. Enfin ennuyé de rester sur la défensive, le du de Rivoli attaqua à son tour et culbuta l'ennemi.
 
  » Le général de division Boudet, placé au village d'Essling, était chargé de défendre ce poste important.
 
  » Voyant que l'ennemi occupait un grand espace, de la droite à la gauche, on conçut le projet de percer par le centre. Le duc de Montebello se mit à la tête de l'attaque, ayant le général Oudinot à la gauche, la division Saint-Hilaire au centre, et la division Boudet à la droite. Le centre de l'armée ennemie, ne soutint pas les regards de nos troupes. Dans un moment tout fut culbuté. Le duc d'Istrie fit faire plusieurs belles charges qui toutes eurent du succès. Trois colonnes d'infanterie ennemie furent chargées par les cuirassiers et sabrées. C'en était fait de l'armée autrichienne, lorsqu'à sept heures du matin, un aide-de-camp vint annoncer à l'Empereur que la crue subite du Danube ayant mis à flot un grand nombre de gros arbres et de radeaux, coupés et jetés sur les rives dans les évènements qui ont eu lieu lors de la prise de Vienne, les ponts qui communiquaient de la rive droite à  la petite île, et de celle-ci à l'île In-Der-Lobau venaient d'être rompus. Cette crue périodique qui n'a ordinairement lieu qu'à la mi-juin, par la fonte des neiges, a été accélérée par la chaleur prématurée qui se fait sentir depuis quelques jours. Tous les parcs de réserve qui défilaient, se trouvèrent retenus sur la rive droite par la rupture des ponts, ainsi qu'une partie de notre grosse cavalerie, et le corps entier du maréchal duc d'Auerstaëdt. Ce terrible contretemps décida l'Empereur à arrêter le mouvement en avant. Il ordonna au duc de Montebello de garder le champ de bataille qui avait été reconnu, et de prendre position, la gauche appuyée à un rideau qui couvrait le duc de Rivoli, et la droite à Essling.
 
  » Les cartouches à canon et d'infanterie, que portait notre parc de réserve, ne pouvaient plus passer. L'ennemi était dans la plus épouvantable déroute. Lorsqu'il apprit que nos ponts étaient rompus. Le ralentissement de notre feu et le mouvement concentré que faisait notre armée, ne lui laissait aucun doute sur cet évènement imprévu. Tous ses canons et ses équipages d'artillerie qui étaient en retraite, se représentèrent sur la ligne depuis neuf heures du matin jusqu'à sept heures du soir, il fit des efforts inouïs, secondé par le feu de 200 pièces de canon, pour culbuter l'armée française. Ces efforts tournèrent à sa honte : il attaqua trois fois les villages d'Essling et de Gross-Aspern, et trois fois il les remplit de ses morts. Les fusiliers de la garde commandé par le général Mouton, se couvrirent de gloire, et culbutèrent la réserve composée de tous les grenadiers de l'armée autrichienne. Les seules troupes fraîches qui restassent à l'ennemi. Le général Gros fit passer au fil de l'épée 700 Hongrois qui s'étaient déjà logé au cimetière d'Essling. Les tirailleurs sous les ordres du général Curial, firent leurs premières armes dans cette journée et montrèrent de la vigueur. Le général Dorsenne, colonel commandant de la vieille garde, la plaça en troisième ligne, formant un mur d'airain seul capable d'arrêter tous les efforts de l'armée autrichienne. L'ennemi tira 40 000 coups de canon, tandis que, privés de nos parcs de réserve, nous étions dans la nécessité de ménager nos munitions pour quelques circonstances imprévues.
 
  » Le soir, l'ennemi reprit les anciennes positions qu'il avait quittées pour l'attaque, et nous restâmes maîtres du champ de bataille. Les militaires dont le coup d'oeil est exercé ont évalué à plus de 12 mille les morts qu'il a laissés sur le champ de bataille. Selon le rapport des prisonniers, il a eu 23 généraux et 60 officiers supérieurs tués ou blessés. Le feld maréchal lieutenant Weber, 1 500 hommes et 4 drapeaux sont restés en notre pouvoir. La perte de notre côté a été considérable : nous avons eut 1100 tués et 3 000 blessés. Le duc de Montebello a eut la cuisse emportée par un boulet. Le 22, sur les six heures du soir. L'amputation a été faite, et sa vie est hors de danger. Au premier moment on le crut mort ; transporté sur un brancard auprès de l'Empereur, ses adieux furent touchans (sic).  Au milieu des sollicitudes de cette journée, l'Empereur se livra à la tendre amitié qu'il porte depuis tant d'année à ce brave compagnon d'arme. Quelques larmes coulèrent de ses yeux et se tournant vers ceux qui l'environnaient : « il fallait, dit-il, que dans cette journée mon coeur fut frappé par un coup aussi sensible  pour que je pusse m'abandonner à d'autres soins qu'à ceux de mon armée. » Le duc de Montebello avait perdu connaissance : la présence de l'Empereur le fit revenir ; il se jeta à son cou en lui disant : « Dans une heure vous aurez perdu celui qui meurt avec la gloire et la conviction d'avoir été et d'être votre meilleur ami. »
 
  » Le général de division Saint-Hilaire a été blessé : c'est un de nos généraux les plus distingués de la France.
 
  » Le général Durosnel, aide de camp de l'Empereur, a été enlevé par un boulet en portant un ordre.
 
  » Le soldat  a montré un sang-froid et une intrépidité qui n'appartiennent qu'aux Français.
 
  » Les eaux du Danube croissant toujours, les ponts n'ont pu être rétablis pendant la nuit. L'Empereur a fait repasser, le 22, à l'armée le petit bras de la rive gauche et a fait prendre position dans l'île d'In-der-Labau, en gardant les têtes de pont.
 
  » On travaille à rétablir les ponts ; l'on n'entreprendra rien qu'ils ne soient à l'abri des accidents des eaux et même de tout ce qu'on pourrait tenter contre eux ; l'élévation du fleuve et la rapidité du courant obligent à des travaux  considérables et à de grandes précautions.
 
  »Lorsque le 23 au matin on fit connaître à l'armée que l'Empereur avait ordonné qu'elle repassa dans la grande île, l'étonnement de ces braves fut extrême. Vainqueurs dans les deux journées, ils croyaient que le reste de l'armée allait les rejoindre ; et quand on leur dit que les grandes eaux ayant rompu les ponts, et augmentant sans cesse, rendait le renouvellement des munitions et des vivres impossible, et que tout mouvement en avant serait insensé, on eut de la peine à les persuader.
 
  »C'est un malheur très grand et tout à fait imprévu que des ponts formés des plus grands bateaux du Danube, amarrés par de doubles ancres et des cinquenelles, aient été enlevés ; mais c'est un grand bonheur que l'Empereur  ne l'ai pas appris deux heures plus tard. L'armée poursuivant l'ennemi aurait épuisé ses munitions, et se serait trouvée sans moyens de les renouveler.
 
  »Le 23 on a fait passer une grande quantité de vivre au camp de In-der-Lobau.
La bataille d'Essling, dont il sera fait une relation plus détaillée, qui fera connaître les braves qui se sont distingués, sera, aux yeux de la postérité, un nouveau monument de la gloire et de l'inébranlable fermeté de l'armée française.
 
  »Les maréchaux duc de Montebello et de Rivoli ont montré dans cette journée toute la force de leur caractère militaire.

  »L'Empereur a donné le commandement du second corps au comte Oudinot, général éprouvé dans cents combats où il a montré autant d'intrépidité que de savoir. »

Titre de revue :
Les Bulletins de la Grande Armée (...) et l'histoire militaire de Napoléon
Numéro de la revue :
tome 5
Numéro de page :
p.59 - p.66
Année de publication :
1844
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