Les batailles de Magenta et de Solferino : une victoire politique ?

Auteur(s) : DELAGE Irène (trad.), HICKS Peter
Partager
Les batailles « accidentelles » de Magenta et de Solferino ont changé le visage de l'Europe. Elles qui jaillirent de la tentative, ratée, d'Orsini d'assassiner Napoléon III à l'hiver 1858. Cet attentat d'un terroriste carbonaro contre l'image même de la politique conservatrice ultramontaine influencerait l'Empereur Napoléon III et le rendrait favorable à l'idée de l'indépendance italienne, le conduisant par là-même à adopter une politique antiautrichienne (suivant ainsi les traces de son oncle…).

 

Napoléon Ier

L'un des faits les plus surprenants de cette campagne fut l'alliance des esprits italiens dans la poursuite de leur indépendance (qui devait conduire, malgré certains acteurs principaux, à l'unification). Les différents Etats de la péninsule italienne avaient, depuis 1796, connu différentes situations politiques. Entre 1797 et 1799, la période jacobine avait vu éclore plusieurs républiques révolutionnaires à travers le territoire.  Mais à côté de ces structures républicaines, demeuraient les administrations archétypales de l'Ancien Régime dans le Piémont, les Etats pontificaux et les régions des Bourbons Habsbourg autour de Parme et en Etrurie. Le mouvement républicain (à l'oeuvre dans les structures administratives et le système judiciaire français) s'étendit, durant le Consulat et l'Empire, encouragé par des traditions républicaines encore existantes à Florence et Lucques. Des Italiens de différentes régions, que ce soit des départements annexés et des régions du royaume d'Italie, ressentaient la chape de l'état, soit par l'action des préfets, soit par celle des gendarmes et des cours de justice. Le républicanisme révolutionnaire s'entremêla avec des éléments de l'Ancien Régime, Napoléon lui-même contribuant à cette ambiguïté politique en faisant sa soeur Elisa Grande Duchesse de Toscane, et son neveu et son beau-frère, respectivement vice-roi d'Italie et roi de Naples. Les collaborateurs de l'administration du royaume d'Italie, Melzi et Marescalchi, furent d'un côté favorables à un modernisme administratif, mais de l'autre ils s'engagèrent en faveur d'une indépendance italienne placée sous la figure d'un monarque, dès que ce serait envisageable.

« L’entre-deux-empires »

Contre ce statu quo d'une politique conservatrice, avec un désir ardent d'indépendance sous un roi, s'érigea un républicanisme farouche. Mazzini tenta plusieurs fois, en vain, d'installer des régimes républicains, notamment en Savoie (1833-1834), et des lignes de faille républicain / révolutionnaire s'installèrent dans la culture politique italienne, pour refaire surface en temps de crise, par exemple lors de la première grande épidémie de cholera dans les années 1830, ou les crises financières des années 1840. Il y eut ainsi des tensions géographiques causées par la reconfiguration de 1815. L'augmentation de certains territoires (Piémont-Sardaigne, Vénétie et Etats pontificaux) réveilla un certain nombre d'antagonismes locaux persistants aux dates clé de 1820-21, 1831 et 1848. Et c'est dans ce contexte, les mouvements carbonari, souvent considérés comme « révolutionnaires », furent dans les faits plutôt « conservateurs ». Comment le jeune Louis Napoléon pouvait-t-il ne pas s'impliquer dans un complot visant à rétablir dans ses droits le Roi de Rome, en 1830 ? Un certain libéralisme émergea, largement acceptable pour les centristes et les conservateurs bourgeois, bien qu'antagoniste vis-à-vis des tendances républicaines / révolutionnaires en Italie.

Au cours de la décennie la plus troublée, entre 1848 et 1858, c'est le royaume du Piémont-Sardaigne qui ouvrir la voie vers l'indépendance. Après la catastrophe de la bataille de Novi en 1849, quand l'Autriche réaffirma ses droits territoriaux sur la péninsule, c'est un homme politique libéral et cosmopolite, Camillo Benso Cavour, qui avait redonné au Piémont une stabilité financière, une position dans le monde diplomatique, et construit des relations particulières avec la France (détachant Napoléon III du Pape). C'est Cavour qui rassembla les différentes parties (ce que l'on appelle en Italie le connubio, ou le mariage de tous les courants du spectre politique) pour placer un roi sur le trône d'Italie.

Des résultats conséquents

L'Italie devint une Italie royale, indépendante et largement unifiée, les différences politiques ayant été gommées pour le plus grand bien. L'Autriche a été écartée de cette reconfiguration italienne, et l'influence de l'empire autrichien déclina tandis que celle de la Prusse (pas concernée par la crise d'alors) progressait. Le jeune Etat italien avait désormais une dette de gratitude envers la France, qui reçut alors les territoires de la Savoie et de Nice. Napoléon III avait réussi là où son oncle avait échoué, c'est-à-dire l'établissement de la France dans ses frontières naturelles (au moins dans le sud ; la question belge, au nord, demeurait un problème insoluble, qui allait finalement participer à la chute du Second Empire). Enfin, les pertes humaines, effroyables et massives, lors de la bataille de Solferino, suscitèrent le développement de l'idée d'une « neutralité médicale et humaniste », et la création de la Croix Rouge. Les 13 années comprises entre 1848 et 1861 ont ainsi certainement creusé les fondations de l'histoire du XXe siècle.

Titre de revue :
inédit
Mois de publication :
juin
Année de publication :
2009
Partager