Dès le mois de mars 1809, et l’établissement des troupes françaises sur le sol Autrichien, le problème épineux des subsistances se pose. Car si la Garde bénéficie de rations réglementaires et suffisantes, celles de la ligne sont dès le début de la campagne légères voire inexistantes : « nous tiron notre ransion bin legère » (1). En effet, comme souvent la Garde Impériale est plus sujette à l’attention de l’administration, ce qui fait dire à ses hommes que « nous sommes bien nourris car nous avons la ration de pain comme en France, la viande, une bouteille et demi de vin par jour, riz, biscuit et encore du pain pour six hommes pour la soupe » (2),
Se nourrir en campagne
Aux mouvements stratégiques rapides, qui empêche les cavaliers notamment de « pouvoir boire un verre d’eau fraîche »(3) , le soldat de la ligne souffre « un peu de tout la faim, la soif, couché à l’air du temps » (4).
En effet, pour la ligne, le problème des subsistances est plus épineux. Car au défaut de ravitaillement soutenu s’ajoute, pour les lignards, la cherté des denrées : « les vivres sont bien chers surtout l’eau de vie et le vin » (5).
Pour pallier ses difficultés, l’administration militaire française loge ses hommes, autant que faire se peu, chez l’habitant. Ainsi au 67e de ligne, « nous sommes nourris chez les bergers » (6). Toutefois, rapidement les soldats vivent militairement sur le pays, en partant en maraude avec, parfois, l’aval de leurs chef : « je fus envoyé par Mr le colonel pour faire des prises et je ramenais devant Schonbrunn près de 80 voitures chargées de poudre, bière, vin, eau de vie, sucre, raisins, avoine » (7). Cette manière militaire, à défaut d’être diplomatique et réglementaire, garnie la table et les assiettes des soldats qui trouvent que « nous sommes ici traités en grands seigneurs dans le château du baron de Kratzic. On a 7 ou 8 services à chaque repas, vins de Bordeaux, de Champagne, liqueurs et pâtisseries de toutes sortes »(8).
Ces maraudes, qui tournent au pillage, deviennent régulières et les prises sont plus souvent liquides que solides : « jan ait fait autant avec sept tonnaux de vin que notre compagnie prie au pilage d’une ville » (9).
Toutefois le régime culinaire autrichien allié à l’usage gastronomique militaire ne sont pas à la portée de tous les estomacs et parmi les jeunes conscrits, certains sont « malade causé par le grand dérangement de nourritures »(10) .
Avec la victoire de Wagram, dès la mi-juillet, les troupes françaises commencent à sérieusement vivre sur le pays d’une manière frumentaire mais aussi économique surtout après les conditions de la paix imposées par Napoléon, tant et si bien qu’au 85e de ligne « nous avons la goutte, la soupe, la salade, la viande et le pain et ce que nous voulons à profusion » (11). Dans les champs, avec l’été, les soldats français moissonnent pour leur compte en utilisant les outils des paysans autrichiens. Afin de ne pas ruiner les ressources de l’armée et de soulever le peuple contre les troupes en cantonnement, le 20 juillet, Berthier intime l’ordre de faire cesser ce désordre, criminel et dangereux, pour les paysans mais surtout pour l’assise française, en défendant de fourrager les récoltes et en rappelant les troupes à la discipline militaire.
Afin de nourrir ses hommes, l’armée françaises met en place des magasins militaires.
Le service des subsistances
Services administratifs secondaires de l’armée, les régies générales sont au nombre de quatre dont les agents et employés marchent avec le Grand Quartier général. Chaque corps d’armée dispose d’un groupe restreint de fonctionnaires, « le reste du personnel des services se répartit dans les gîtes d’étapes et dans les places » (12) . Celui de la division Molitor, composée des brigades Leguay et Viriès qui se distingueront à Essling (13) , est dirigé par le sieur Gaudin, ancien préposé des vivres de la place de Paris, qui a sous les ordres une brigade principale. Cette brigade principale, mise en place fin 1808, est composée de 25 hommes attachés à la division bien qu’elle n’en suive pas l’itinéraire précis (14).
Malgré des ordres et des directives rigoureuses, cette administration déjà « mal organisé au niveau supérieur, [est] mal coordonnée au niveau de l’armée », les employés sont baladés au gré des ordres impérieux mais au détriment de l’efficacité. Ainsi, la brigade confiée à Gaudin chemine début 1809 par Mayence où 6 des brigadiers et 17 des caporaux sont retenus et redirigés sur Bayonne par le commissaire aux boulangers de la place. Seulement deux arrivent auprès de la division Molitor le 6 janvier entraînant un rapport et une série de correspondances administratives alourdissantes.
Toutefois, en faisant appel à des soldats du rang, au 30 avril à Burghausen, Gaudin peut bénéficier de trois fours servis par deux boulangers, commandés par un capitaine
L’exemple de la place de Wels et de la division Molitor
Située en Haute-Autriche (15) , Wels est située sur la rivière Traun. Elle constitue un point économique d’importance comme place de commerce et de foire depuis le moyen-âge.
Le service des vivres y est assuré par Gaudin, trois employés (16) et deux sous-employés de la Régie des vivre-pain. Cette place centralise les vivres pour la Haute-Autriche dès le 8 mai, date à laquelle la place de Ried y verse ses 5400 rations de pains demi-biscuits suite au départ du comptable Gaillard pour rejoindre le Quartier-Général. Au 19 novembre 1809, la place de Wels assure les subsistances de l’ensemble de la 3e division d’infanterie du 2e corps d’armée.
Dès l’arrivée des troupes françaises en Haute-Autriche, le manque d’effectif d’employés de la place de Wels est cruel. En effet, afin d’assurer des services complexes mais aussi une surveillance constante, Gaudin ne dispose que d’un seul journalier. Le 12 mai, Gaudin prévient le commissaire des guerres Salmon de l’embauche, le 10, d’un second journalier chargé de la recette, des grains et des envois de farine à la manutention où sont fabriqués les pains destinés aux troupes.
La manutention, qui emploie deux brigades de boulangers(17), fonctionne correctement, si correctement que la brigade principale se révèle trop nombreuse pour la charge de travail à faire. Dès le 25 mai, Gaudin obtient de renvoi sur le Quartier-Général de 12 des 25 boulangers « où ils peuvent être nécessaire » (18).
Le service est simple puisqu’il consiste en la transformation en pains et en biscuits des bleds locaux réquisitionnés. Toutefois, ce service n’est pas simple et soumis à une clause de rendement de la part des boulangers, sanctionné par l’obtention d’une prime. Toutefois, la cadence désirée par l’administration n’est pas respectée par une partie des boulangers. En effet, le 24 juin, Salmon refuse de s’acquitter des primes dues à la brigade Rigard « pour cause d’infidélité dans le rendement de ses fournées » (19) alors qu’il accepte celles de la brigade Collignon. Ce manque de rendement est immédiatement sanctionné l’embauche d’une brigade de boulangers autochtones, choisis par le cercle d’Hausruck mais salariés et nourris par la France (20).
Les grains versés et utilisés dans la place de Wels sont réquisitionnés, de jour comme de nuit, par le commissaire des guerres Salmon auprès du cercle d’Hausruk. C’est le cercle qui en effectue la répartition, après autorisation de l’intentant général. A chaque versement de grains à la place de Wels, un délégué du capitaine du cercle est présent. Le 12 mai, ces réquisitions représentent 19 quintaux de froment et 7 quintaux de seigle. Le 7 juillet 1809, face aux réquisitions de grains et à leur pénurie, les Autrichiens demandent à remplacer le froment par de la farine moulue dans des moulins autrichiens, ce qu’accepte l’administration militaire française. Dès lors les réquisitions sont versés en farine. Le 12 décembre, le versement de farine à Wels est de 2 696 quintaux.
Les pains fabriqués sont examinés et contrôlés avant d’être envoyés aux troupes par des experts. Les biscuits sont expédiés dans de plus ou moins bonnes conditions, à cause de l’état des routes et de la présence des troupes ennemies (21) dans des tonneaux (22).
Pour les mois de mai et juin 1809, la place de Wels distribue 169 071 rations de pain de munitions à la troupe, 17867 rations de pain à la Garde Impériale et 518 rations pour les hôpitaux. De plus, Wels refourgue les 5400 rations de pain venant de Ried, dont seulement 1856 sont déclarées bonnes pour être distribuées et faire de la route jusqu’au quartier-général, l’excédent reste sur place.
Alors que la campagne militaire est terminée et que l’hiver arrive, le magasin de Wels ne débraye pas (23). A la mi-novembre, trois brigades composées d’un brigadier et de trois pétrisseurs œuvrent à la manutention toutefois face au surcroit de travail, le 15 novembre, le grade magasin Gaudin demande une brigade exercée au commissaire Salmon pour le service.
Cette politique de gestion des subsistances porte ses fruits, puisqu’en octobre, les lignards peuvent écrire : « nous recevons assez bien nos vivres & nous recevons une demie bouteille de vin par jour »(24).