Tragique incendie à l’ambassade d’Autriche

Auteur(s) : FILEAUX Christian
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Une série de bals avait marqué les festivités du mariage de Napoléon et de Marie-Louise de Habsbourg. Pour clore ces réjouissances, après le retour du couple impérial de son voyage de noces, le prince de Schwarzenberg (1) offrit un bal, le dimanche 1er juillet 1810, en leur honneur.

 

Les préparatifs de l’événement

Pour lutter efficacement contre les incendies, une compagnie des gardes-pompes du roi avait été créée en 1716. Pour les particuliers, la mission de ces « pompiers » était gratuite afin de ne pas les décourager d'y faire appel au plus tôt. La Révolution conserva ce service, se contentant de mettre fin à la hiérarchie nobiliaire au profit de celle apparemment plus compétente du mérite.

Sous l'Empire, le « service incendie » avait connu quelques lentes évolutions. On utilisait des pompes à bras que l'on conduisait pratiquement au pied des flammes pour les rendre plus efficaces ; mais le progrès s'arrêtait là, et on avait conservé le système dit de « la chaîne humaine » pour vider le contenu d'un seau d'eau dans la bâche qui servait de réservoir à la pompe à bras.

L'ambassade d'Autriche était située rue du Mont-Blanc, aujourd'hui rue de la Chaussée d'Antin, reliant le boulevard des Italiens à la rue Saint-Lazare (à l'angle de la rue Lafayette et de la Chaussée d'Antin). Il s'agissait de l'ancien hôtel de Mme de Montesson construit par Brongniart, qui correspond aujourd'hui aux numéros 5 et 7 de la rue Lafayette dans le 9e arrondissement (2).

Les salons du rez-de-chaussée de l'hôtel n'étant pas assez grands pour recevoir les invités, on avait construit dans le jardin une très grande salle en bois, reliée au corps du bâtiment principal par une galerie. Salle de bal et galerie avaient été édifiées sur un plancher en bois posé sur des charpentes pour les mettre au niveau des pièces de l'hôtel. Le toit, qui couvrait cette salle et la galerie, ainsi que toutes les cloisons étaient faits de minces planches de bois. Les cloisons étaient recouvertes de tentures plissées en mousseline et de fresques. La salle de bal recouvrait le bassin, les parterres et les allées du jardin et pouvait contenir de 1 200 à 1 500 personnes (3). Les planches constituant le toit étaient recouvertes, en-dessous de toile cirée et au-dessus de toile goudronnée pour les rendre imperméables à la pluie qui était annoncée. Et pour faire sécher plus rapidement les diverses peintures, on avait imbibé le tout d'alcool.

La décoration était sophistiquée. Des rideaux de soie et de mousseline pendaient aux fenêtres. Sur les murs, on avait fixé des glaces de Saint-Gobain et des demi-lustres en appliques, des girandoles diffusant une clarté éblouissante. La lumière se répétait à l'infini. Des festons, des guirlandes de mousseline et de gaze, de fines étoffes courraient tout autour de la salle. Des fleurs artificielles étaient accrochées partout. Un immense lustre dominait la salle de bal et soixante-treize autres lustres de bronze massif chargés chacun de quarante bougies étaient suspendus au plafond. L'ensemble était somptueux… somptueusement inflammable.

Une estrade avait été montée pour les souverains, au centre du côté droit de la salle et une petite sortie avait été aménagée tout près pour leur passage privé. Sur cette tribune, on avait placé des trônes en velours cramoisi. Pour les invités, des banquettes (de velours également) avaient été disposées le long des murs. Un parquet méticuleusement encaustiqué n'attendait plus que les pas glissants des danseurs.

Quarante-huit heures avant l'événement, on eut l'idée d'en prévenir le chef du service des gardes-pompes, le colonel Ledoux. Ce dernier vint sur les lieux faire son inspection de sécurité. Après sa visite, il prit la décision de ne poster que deux sous-officiers, quatre garde-pompes et deux pompes à bras pour le soir du bal. Pour ne pas alerter, par une présence trop ostensible des moyens de « lutte incendie », d'un éventuel danger qui aurait pu inquiéter les personnalités présentes à ce bal, il les fit placer dans la cour de la résidence de M. de Regnault de Saint-Jean d'Angély située presque en face. Pour prévenir tout accident extérieur, des sentinelles seraient placées aux alentours, et pour assurer la sécurité des invités, des commissaires de police et des officiers de paix se mêleraient à la foule des danseurs. Ses dispositions prises, le colonel Ledoux partit à la campagne pour le week-end, avec le sentiment du devoir accompli, sans toutefois en solliciter l'autorisation au préfet de la Seine comme il aurait dû le faire.

Avant l'arrivée des premiers convives, l'intendant du prince parcourut une dernière fois la salle du bal et par mesure de sécurité prit l'initiative de faire toutes les bougies qu'il jugeait trop proches des rideaux des fenêtres. Si au début du XIXe siècle la prévention incendie n'était pas aussi rigoureuse qu'aujourd'hui, on ne peut pas dire qu'elle n'existait pas.

Les festivités puis le drame

L'élite politique, militaire et diplomatique de Paris et de la province est conviée. On a lancé 1 500 invitations ; 2 000 ont répondu. Dès 20 heures, les invités emplissent la salle et les jardins. L'hôtel de l'ambassadeur est magnifiquement illuminé, tout est profusion de lumière, tout est luxe et élégance. L'ambassade d'Autriche brille comme un des palais des Mille et une nuits.

Les souverains arrivent au son des fanfares, vers 22 h 15. Ils saluent tous les invités dans la salle de bal, puis tout le monde descend dans le jardin pour assister à la fête champêtre. Danseurs de l'Opéra, chanteurs font des prouesses et les feux d'artifice sont brillants. Cette première partie de la fête terminée, les convives se répartissent dans la salle, la galerie et l'ambassade. Le bal va commencer. L'air est étouffant. L'orage menace et un vent fort souffle par intermittence. L'onde sonore des orchestres est le signal du tourbillon qui entraîne des centaines de couples à la danse.

Comme on pouvait s'y attendre, une pièce du feu d'artifice a mis le feu dans un lambeau d'étoffe au coin extérieur de la galerie dans le jardin. Discrètement, l'architecte Pierre Nicolas (4) fait donc entrer les pompiers dans les jardins de l'ambassade. Discrètement, les gardes-pompes interviennent avec célérité et ce début d'incendie est éteint sans que personne ne s'aperçoive de rien.

À 23 h 30, la fête bat son plein. Marie-Louise se tient debout sur l'estrade du trône, bavardant avec son entourage. L'Empereur est heureux et parcourt la salle de bal, parlant avec chacun.

Tout à coup, dans la grande galerie, un coup de vent rabat les bougies d'un demi-lustre sur un rideau de mousseline qui s'enflamme immédiatement. Le comte Dumanoir, chambellan de l'Empereur, se précipite et monte sur une banquette pour arracher la draperie, mais le feu a déjà gagné la gaze ornant le plafond et, désormais, il court le long de la galerie. MM. de Trobriand et Boniface de Castellane l'aident de leur mieux, mais c'est à présent les guirlandes qui brûlent ; les flammèches sautillent, grandissent et galopent à travers les décors de mousseline et de gaze. Des bras s'élèvent pour détacher, en vain, les étoffes en feu. Le plafond est touché et se transforme avec rapidité en voûte de feu qui gagne en intensité, chaque matière que le feu frappant étant tout aussi inflammable l'une que l'autre. En moins de deux minutes, l'incendie s'est propagé dans toute la galerie et gagne maintenant la salle de bal.  L'Empereur est immédiatement avisé. Sans précipitation, il rejoint l'Impératrice et, avec calme, la prenant par la main, lui dit : « […] Sortons, le feu est ici […] ». Ils se retirent par l'issue réservée, suivis par les hautes autorités présentes.

Il semblerait que la foule des danseurs n'ait pas cru au danger immédiat, les « flon-flons » de la musique couvrant le murmure des flammes naissantes. Pourtant le feu est maintenant sur eux, courant et s'emparant des guirlandes et autres colifichets qui cheminent le long du toit, lequel s'enflamme très rapidement d'un bout à l'autre. Tout semble soudainement s'éveiller. Guirlandes, tentures ont communiqué le feu aux cloisons de bois, tout n'est plus que brasier. Les cris d'épouvante déclenchent la panique. C'est la débandade dans le désordre le plus extrême ; ceux qui tombent sont piétinés. Bientôt les lustres s'abattent, défonçant le plancher et augmentant les obstacles sur le chemin qui conduit vers le salut. Le plancher de bois, lui-même, ne résiste pas et s'effondre entraînant les fugitifs.

Instants de panique

Léonce Grasilier (5) écrit : « […] Sur cette foule qui se bouscule, se presse, s'entasse, s'écrase, les bougies liquéfiées, la cire et le goudron enflammés, gouttent, tombent, brûlent les cheveux, les nuques, les épaules, les gorges et les bras nus, s'attachent aux habits brodés d'or, percent les légers tissus des robes… Les cordons qui supportent les lustres rongés par le feu, se rompent ; les lourdes masses de bronze en tombant renversent, blessent, écrasent ceux qui se trouvent en dessous, défoncent le parquet… et dans ces trous, dans les branches de métal, les gens trébuchent, s'empêtrent, se foulent aux pieds, se brûlent et se déchirent […]. » (6)

Les flammes dans la galerie empêchent de refluer vers les appartements de l'hôtel, condamnant ainsi deux issues et ne laissant praticable que la sortie principale sur le jardin. Des cris, des hurlements se mêlent aux crépitements des flammes. On se précipite par une ouverture faite par l'incendie, on se presse, on se bouscule par cette faille, mais ce n'est qu'une voie sans issue ; c'est la mort par asphyxie.

Galerie et salle ne sont plus en cet instant qu'un embrasement. Le commissaire de police Alletz, de la division du Mont-Blanc, notera dans son rapport : « […] Les progrès du feu ont été si rapides qu'en un instant les flammes se sont emparées de la salle de bal […]. » (7)

Le flot humain continue de se ruer vers l'unique ouverture qui conduit à cet escalier donnant dans le jardin, mais un millier de personnes ne peuvent sortir instantanément. Le vent attise les flammes et, dans la salle de bal, c'est l'enfer.

Le commissaire Alletz établira que « […] deux banquettes qui se sont trouvées renversées vers la porte ont encore aggravé le mal ; en un moment, cet endroit s'est trouvé jonché de femmes culbutées les unes sur les autres, jetant des cris effroyables, des hommes richement décorés pêle-mêle et les uns sur les autres se traînant en rampant pour tâcher d'arriver dans le jardin […] ».

La reine de Naples, Caroline, pousse des cris de terreur ; elle tombe, son frère Jérôme et Metternich la prennent chacun par un bras et l'emportent de force tant elle se débat.
 
Eugène, qui n'a pas cru le péril si imminent, garde sa femme enceinte auprès de lui pour laisser passer cette foule saisie de panique. Lorsqu'il comprend le danger, il ne peut plus gagner la sortie qui est encombrée mais la chance lui sourit : il a remarqué une ouverture dans la toile, et c'est par là que lui et la reine Amélie auront la vie sauve.

Les trois gardes-pompes qui étaient restés dans le jardin sont surpris par la rapidité du sinistre et ne peuvent rien faire devant la cohue fuyant le brasier qui leur condamne l'unique entrée possible.

Dans le jardin, on appelle, on crie, on gémit. La duchesse d'Abrantès écrira : « […] Le spectacle est déchirant, des pères, des mères, des enfants appelant leurs époux, fille, famille […]. » On cherche partout Pauline de Schwarzenberg, la belle-soeur de l'ambassadeur ; cette élégante jeune femme, qui quelques heures plus tôt avait ouvert le bal aux bras du prince Eugène, reste introuvable.

Aux alentours de l'hôtel, des hommes, des femmes à demi-nues, affreusement mordues par le feu, courent en tous sens et la plupart tombent au sol. Des scènes de dévouement ont été relevées, les cochers, les serviteurs se sont précipités pour venir au secours de leurs maîtres. Des voisins, des passants se sont portés volontaires pour remplir les seaux des pompiers à la fontaine marchande de la rue du Mont-Blanc ; des inconnus ont accompli des actes d'héroïsme pour venir en aide aux victimes. Le comte Regnault de Saint-Jean d'Angély accueille dans son hôtel les blessés. Les commerçants des environs ouvrent leurs boutiques pour accueillir également des victimes.

La comtesse Potoka écrira : « […] C'était un spectacle à la fois terrifiant et bizarre de voir toutes ces personnes couronnées de fleurs, en robe de bal, se livrant à des gémissements et à tous les actes du désespoir funèbre […]. »

Au milieu de cette foule de bons samaritains se glisseront cependant quelques bons gibiers de potence qui, circulant au milieu de ce tumulte, se garniront les poches de tout ce qu'ils trouveront ayant l'apparence de valeur.

Napoléon raccompagne Marie-Louise jusqu'à la barrière de Saint-Cloud puis, changeant de voiture, retourne sur les lieux du drame. Couvert de sa capote grise, près de Bessières, il tient à être présent auprès du prince de Schwarzenberg pour lui apporter son soutien. Il surveille l'activité des secours.

À 3 heures du matin, le feu est enfin éteint sans avoir toutefois touché l'hôtel lui-même grâce à un détachement de la Garde impériale présent sur les lieux. Un important cordon militaire a pris possession des lieux pour mettre fin à la frénésie de pillage qui s'était emparée de certains durant le désordre.

L'Empereur rentre à Saint-Cloud sous le coup d'une vive émotion. Son valet Constant écrira : « […] L'Empereur narre alors la catastrophe avec une émotion que je ne lui ai vue que deux ou trois fois en sa vie, et qu'il n'éprouva pas pour ses propres infortunes […]. » (8)

À 4 heures du matin, la police peut commencer ses constatations, sous une pluie battante qui avait achevé de submerger les décombres. Le jour se lève sur une tâche ingrate : rechercher dans les débris calcinés les cadavres ; car il y en a… n'en doutons pas.

Le bilan de la soirée

Beaucoup furent brûlés, plus par la chaleur du brasier que par les flammes.

Madame la duchesse de Rovigo, les comtesses Loewenstein et Buchholz, dames d'honneur de la reine de Westphalie mais aussi la femme du général Tousard, celle du général Durosnel, gouverneur des pages et aides de camp de l'Empereur comptent par les blessés. Le général du génie Jahan, sa femme et sa fille, M. Curuffa (intendant de l'Istrie) et son épouse, Madame Prévost (épouse d'un chef de division au ministère de la Guerre), le commissaire de police Alletz ainsi que Marie Pauline de Schwarzenberg, qui survivra dix ans à ses brûlures, ont également été touchés. Signalons également le prince Alexandre Kourakine, ambassadeur de Russie à Paris. Son frère Alexis écrira : « […] Il dut en partie son salut à son habit qui était de drap d'or et qui s'est échauffé à un degré considérable sans se consumer. Les gens qui l'ont retiré du feu ont eu besoin d'une résolution extrême pour porter les mains sur lui, tellement la douleur causée par la chaleur de son habit était grande ; s'il eût été de soie, c'en eût été fait du Prince […]. » (9) Et bien d'autres, dont le commissaire de police Alletz, présent sur les lieux et qui fera quand même son rapport.

Au petit matin, on retrouva le corps de Pauline Charlotte d'Arenberg-Hohenfeld, princesse Joseph de Schwarzenberg et belle-soeur de l'ambassadeur. Elle avait trente-six ans et était mère de huit enfants, enceinte du neuvième. Des témoignages établirent qu'elle était parvenue saine et sauve dans le jardin, mais ne trouvant pas une de ses filles, elle était retournée dans la fournaise. On la retrouva écrasée sous des poutres, du côté du jardin, près du bassin. On a reconnu le cadavre d'une femme, sans davantage de précision : la tête est horriblement brûlée, le dos et le bras droit calcinés, les viscères à découverts et la partie inférieure de la jambe gauche n'est plus qu'un morceau de charbon. La princesse fut identifiée aux bijoux qu'elle portait sur elle. Sa fille Eléonore, pour qui elle avait craint, était saine et sauve (devenue princesse Windisch-Graetz, elle finira, en 1848, sous le poignard d'un de ses domestiques). Parlant de la princesse, l'Empereur confiera à son valet Constant : « […] L'incendie, a, cette nuit, dévoré une femme héroïque […]. » (10)

La princesse de la Leyen (11) qui, elle aussi, avait été sauvée une première fois, était retournée dans la salle enflammée pour y chercher sa fille. On la retrouva avec autour de la tête un profond sillon, marque de son diadème que le feu avait chauffé à blanc. Elle mourra chez elle, dans d'atroces souffrances.

La comtesse Françoise Labisnka (12), femme du consul de Russie, mourra le lendemain, elle aussi dans son lit où on l'avait transporté.

D'autres agoniseront de leurs brûlures dans les jours qui suivirent ; principalement des femmes, qui avaient vu leurs amples et aériens vêtements s'enflammer.

La presse se montra discrète : jamais sans doute ne saura-t-on le nombre réel des victimes. L'événement fut minimisé et la censure empêcha d'évaluer le nombre des blessés et des morts. Le Moniteur universel du 4 juillet ne put passer sous silence la mort de la princesse, car sa qualité et ses funérailles avaient bien sûr retenu l'attention du public. La version officielle ne reconnaîtra qu'un seul décès survenu au cours de ce terrible accident : c'était peu crédible. La Gazette et le Journal de l'Empire furent tout aussi discrets, à peine mentionna-t-on une bousculade au cours d'un événement mondain, où l'on déplora pudiquement la « disparition » de la princesse Pauline de Schwarzenberg, tout en précisant aussitôt que « personne n'a péri », mais que l'on craint tout de même « pour les jours de trois femmes de la noblesse ». Léonce Grasilier note qu'on dénombra au moins quatre-vingt-dix convois funèbres qui quittèrent les jours suivants l'ambassade (13).

Parfois la politique exige que l'on sache cacher certaines choses pour ne laisser voir que la grandeur et la gloire du pouvoir. Surtout, l'Empereur voulut préserver la toute récente alliance franco-autrichienne, lui éviter toute épreuve et il ne souhaita surtout pas embarrasser le prince Schwarzenberg, lequel pourtant, s'il n'était pas coupable, du moins se trouvait-il le premier responsable. Il fallait également éviter le rapprochement avec une autre catastrophe survenue quarante ans plus tôt, à Paris, lors du mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette, et qui avait causé la mort de cent trente-deux personnes. Par superstition, le peuple se serait vite convaincu que le mariage avec une Autrichienne était décidément un sinistre présage pour son avenir.

Conséquences et enseignements

Les morts enterrés, les brûlés soignés, il restait à tirer les conclusions de cet incendie.
L'architecte Bénard, qui avait supervisé la construction de la salle de bal, sera incarcéré à Sainte-Pélagie et par la suite, de réputation perdue, il sera privé d'emploi. Il lui fut reproché de ne pas avoir attiré l'attention sur la fragilité de sa salle de bal mobile au vu du nombre des invités ; de ne pas avoir laissé les pompiers se poster dans l'hôtel même, au prétexte de ne pas effrayer par leur vue le public.

Napoléon reprochera au préfet de police Louis Dubois son absence. Il se serait trouvé à sa campagne ; pourtant, des témoignages attestent de sa présence dès le début du sinistre, ainsi le commissaire Alletz qui, avec ses collègues, fait le soir même « collectivement rapport à monsieur le préfet ». De plus, il est signataire du rapport identifiant la princesse de Schwarzenberg : « […] Le 2 juillet 1810, à 4 heures du matin. Étant dans le jardin de S.E. l'ambassadeur d'Autriche […] ». Il est plus juste de penser qu'il a été destitué à cause des pillages qui ont suivi la tragédie. Il sera remplacé le 14 octobre 1810 par le baron Étienne Pasquier. En effet, les centaines d'invités, véritable aristocratie dorée et d'argent, étaient venus avec leur plus tenues de bal et de cour. Sur les étoffes rutilantes, ce n'étaient que flamboiement de parures, surenchère de diamants et de perles, comme si chacun voulait se défier à coups d'éclats. Ces objets précieux firent l'objet dans les jours qui suivirent d'une recherche policière des plus minutieuses. Rien que sur elle, la princesse de Schwarzenberg avait 627 diamants. L'enquête permettra de restituer à leurs propriétaires ou à leur famille quelque 1 890 diamants.

L'orfèvre-Joailler Bouillier, demeurant 4 place des Victoires, fut désigné par arrêté préfectoral pour aider de ses connaissances aux recherches. Avec l'assistance de deux « maîtres laveurs de cendres » et de huit ouvriers, il nettoya et procéda au classement les bijoux trouvés sur place. On en ramassa de toutes sortes, des pierres précieuses, des perles mais aussi des « brûlis d'argent doré provenant de dragonnes ou d'épaulettes » (14), des épées et fragments d'épée, des peignes, certains fondus par la vigueur de l'embrasement. On mit à part le fer, le cuivre, les cristaux, le verre et les glaces car l'embrassement avait été si vif et si général que tout était mélangé, fondu, agglutiné. La tâche fut telle qu'il fallut renforcer l'équipe des nettoyeurs. Au total près de trente personnes travaillèrent aux recherches pendant dix jours.
L'insuffisance du système de sécurité avait flagrante, et cela sous les yeux du chef de l'État. Et lorsque ce dernier s'appelle Napoléon Bonaparte, il faut s'attendre à des réactions. Les procès-verbaux rédigés à la suite de ce drame vont mettre en évidence de nombreuses anomalies qui vont amener l'Empereur à prendre des sanctions et des mesures.

L'enquête, menée sous la responsabilité de Montalivet, ministre de l'Intérieur, déchargea les six pompiers présents sur les lieux. Le commissaire Alletz dans son rapport du 2 juillet affirma avoir vu les secours en pleine activité pour les pompes, les porteurs d'eau à tonneaux, les travailleurs et la troupe. Cependant les conclusions de cette enquête firent ressortir que l'organisation du corps des gardes-pompes faisait l'objet de constatations consternantes : disciplines quasi absentes, peu d'entraînement, personnels non motivés, encadrement d'une rare médiocrité.

L'Empereur destitua le colonel Ledoux, homme âgé qui était en service depuis 1767 et qui manquait totalement d'autorité. Tous ses adjoints ne valaient pas mieux que lui et furent également licenciés. L'ingénieur des gardes-pompes Audibert, qui n'était pas paru une seule fois en trois ans à son corps, fut arrêté, incarcéré et destitué sans droit à pension. Une réforme s'imposait.

Les enquêteurs démontrèrent en revanche que les pompiers n'étaient pas ivres au moment des faits, comme l'Empereur l'avait d'abord supposé, et qu'à aucun moment ils n'avaient abandonné leur poste. Bien mieux, après le premier incendie, qu'ils avaient parfaitement maîtrisé, trois d'entre eux, d'initiative, restèrent postés dans le jardin, avec une pompe, des éponges et des seaux. Pourtant, ils ne sauront pas intervenir à temps ni anticiper le drame et, au moment de leur réaction, la seule issue praticable leur était fermée par le flot des fuyards éperdus. Les trois autres étaient trop loin pour intervenir. L'accusation d'ivresse perdurera, malgré l'enquête qui les disculpe.

Un arrêté consulaire de 1801 avait déjà remanié le corps des pompiers de Paris dont la création datait donc de Louis XV. Ces 293 « gardes-pompiers » devaient être choisis, non plus parmi des volontaires, mais parmi ceux qui exerçaient un métier pouvant les rendre aptes à ce service, comme des menuisiers. Répartis en trois compagnies, ils étaient casernés. Ce remaniement n'avait pas été suivi d'effet, et le Premier consul n'avait pas veillé à la bonne exécution de ses ordres. Dubois conclura d'ailleurs son rapport en précisant que l'ancien système qui avait existé avant cet arrêté consulaire « était préférable à l'organisation actuelle » (15). Appréciation qui ne dut certes pas être appréciée en haut lieu…
Le corps des gardes-pompes sera dissous et remplacé le 10 juillet 1811 par un corps militaire de sapeurs du génie de la Garde impériale chargé d'assurer la sécurité incendie des palais impériaux. Le 18 septembre 1811, Napoléon réforme complètement ce corps en créant le bataillon des sapeurs-pompiers de Paris, corps strictement militaire, sous les ordres du préfet de police, et composé de quatre compagnies de cent quarante-deux hommes. Sa mission est de stopper, mais également de prévenir les incendies dans la capitale. L'appellation de « sapeurs-pompiers » dérive de la filiation avec les sapeurs de la Garde impériale.

L'accroissement de la ville de Paris transformera ce bataillon en régiment de sapeurs-pompiers de Paris en 1867 et brigade de sapeurs-pompiers de Paris le 1er mars 1967. Aujourd'hui, cette brigade est forte de 7 330 hommes, répartis en 81 casernes, aux ordres d'un officier général. La renommée de ce corps n'est plus à démontrer.

Notes

1) Karl Philip de Schwarzenberg (1771-1820).
(2) La cité d'Antin sera construite à l'emplacement du palais en 1829-1830.
(3) Le Moniteur annonce 1 200 invités ; la Gazette de France et le Journal de l'Empire estiment 1 200 à 1 500 personnes.
(4) Il était connu pour ses talents de décorateur. Il avait déjà décoré à l'occasion du mariage impérial le ministère de la Justice, le ministère des Relations extérieures, le ministère des Finances et celui du Trésor Public.
(5) Léonce ou Théodore Grasilier (1850-1931). Membre de l'Académie des Belles Lettres, sciences et arts de la Rochelle.
(6) Léonce Grasilier, L'incendie de l'hôtel de l'ambassade d'Autriche, Alençon, Imprimerie Alençonnaise, 1918.
(7) Archives de la préfecture de Police et A.N. F VII / 3721, rapport de police générale du 4 juillet 1810.
(8) Constant, Mémoires, t. III, Paris, collection  mémoires contemporains, Garnier-frères, s.d., pp. 241-246.
(9) Léonce Grasilier, op. cit., p. 12.
(10) Constant, Mémoires intimes de Napoléon Ier, Paris, Société des publications littéraires illustrée de Paris, t. II, s.d, p. 604.
(11) Elle devait se marier avec le comte de Tascher de la Pagerie.
(12) Elle est née François Nicole Derosne.
(13) Léonce Grasilier, op. cit., p. 18.
(14) Jacques Jourquin, Napoléon 1er. Le magazine du Consulat et de l'Empire, 2001, 8, p. 61.
(15) AN. F VII / 3035 : lettre du préfet de police au ministre de l'Intérieur en date du 4 juillet 1810.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
484
Mois de publication :
Juillet-Septembre
Année de publication :
2010
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