Correspondance générale de Napoléon Bonaparte. Tome 7 : 1807 – Tilsit, l’apogée de l’Empire. Présentation

Auteur(s) : MADEC Gabriel
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« […] Officiers d'état-major, colonels, officiers ne se sont pas déshabillés depuis deux mois et quelques-uns depuis quatre (j'ai moi-même été quinze jours sans ôter mes bottes), au milieu de la neige et de la boue, sans pain, sans vin, sans eau-de-vie, mangeant des pommes de terre et de la viande, faisant de longues marches et contremarches sans aucunes espèces de douceurs, se battant à la baïonnette, et sous la mitraille très souvent, les blessés obligés de s'évacuer en traîneaux en plein air pendant cinquante lieues. […] Après avoir détruit la monarchie prussienne, nous nous battons contre le reste des Prussiens, contre les Russes, les Cosaques, les Kalmouks et ces peuplades du Nord qui envahirent jadis l'Empire romain. Nous faisons la guerre dans toute sa force et dans toute sa rigueur. Au milieu de ces grandes fatigues, tout le monde a été plus ou moins malade […] »

Napoléon à Joseph (Osterode, le 1er mars 1807)

Avec la parution de ce septième volume, consacré à l'année 1807, nous voici à mi-chemin de la publication du monument épistolaire de Napoléon. C'est donc ici l'occasion de remercier vivement celles et ceux qui ont contribué à cette belle avancée.

Ce volume ne couvre qu'une seule année, mais quelle année encore ! Eylau, Friedland et Tilsit en forment les jalons les plus marquants.

L'entrevue théâtrale de Tilsit entre Napoléon et Alexandre forme la charnière de 1807. On peut distinguer en effet dans cette année deux périodes bien distinctes : un premier semestre hivernal et incertain, qui s'inscrit dans la continuité guerrière de décembre 1806 marquée par les batailles sanglantes et indécises de Golymin et Pultusk. Le second semestre – l'après Tilsit -, semble devoir inaugurer une nouvelle ère de paix. Mais il n'en sera rien : la guerre franco-anglaise se poursuivant, les adversaires vont former de nouveaux plans pour s'atteindre sur des théâtres périphériques.

L'année 1807 s'ouvre donc en Pologne sur un sombre tableau. La Grande Armée, qui avait mené une campagne foudroyante contre les Prussiens, se voit confrontée à un adversaire opiniâtre qui sait battre en retraite ou mourir sur place. Le « général Hiver » s'est lui aussi mis de la partie : pluies glaciales, neige et boue, gel et dégel alternent. Le climat, les grandes étendues de bois et de marécages, l'absence de routes, le manque de vivres – faute de ravitaillement suffisant – ont pesé sur la stratégie de Napoléon. Le théâtre des opérations est cette fois peu propice à son système de guerre basé sur la manoeuvre d'enveloppement conjuguée à la vitesse. L'immensité du théâtre d'opération, le nombre de places fortes assiégées, les élongations ne permettent plus à l'empereur de tout voir, ni de tout contrôler ; son autorité va s'en trouver affaiblie. Le renseignement, tant sur l'ennemi que sur le terrain, se révèle défaillant tandis que les Cosaques harcèlent les lignes de communication, les convois et les détachements isolés. Les ordres parviennent difficilement à destination, voire trop tard ou jamais. Enfin, les transports n'avancent plus, mais se perdent ou s'enlisent : la Compagnie Breidt, « ce tas de gueux… », est montrée du doigt et ordre est donné de militariser dix bataillons du Train des équipages. La fatigue, la faim et la maladie vont faire des ravages avec pour conséquence des actes d'indiscipline à tous les niveaux, tandis que désertions, maraudes et pillages se multiplient. Napoléon espère combler ses pertes mais aussi faire souffler ses hommes en plaçant l'armée dans ses quartiers d'hiver. Le répit sera de courte durée, car c'est le général russe Bennigsen – fin janvier – qui reprend en effet l'offensive pour une campagne qui va durer encore près de six mois ; on est loin désormais de la guerre-éclair.

La correspondance militaire domine logiquement au premier semestre. Elle continue, à une moindre échelle, après Tilsit. Il s'agit, pour l'essentiel, d'organiser l'administration des territoires occupés en Allemagne et en Pologne. Sans oublier la péninsule Italienne, la Dalmatie, les îles Ioniennes et les opérations qui commencent dans la péninsule Ibérique.

L'année 1807 se caractérise ensuite par une intense activité diplomatique. Outre les traités de Tilsit avec la Russie et la Prusse, la France signe des traités d'alliance avec la Perse, la Saxe (pour le grand-duché de Varsovie), le Danemark et l'Espagne, ainsi qu'une série de traités stipulant l'accession à la Confédération du Rhin de petits souverains du Nord et de l'Est de l'Allemagne.

L'Empereur revient à Saint-Cloud le 27 juillet, après une absence de 10 mois. Pendant toute cette période, l'archichancelier Cambacérès a expédié les affaires courantes ; il reçoit régulièrement les directives du maître, et lui rend compte scrupuleusement. Napoléon règle directement les questions financières avec les deux ministres compétents : Mollien, ministre du Trésor et Gaudin, ministre des Finances.

L'ordre napoléonien se veut d'abord préventif : il passe par le soutien apporté à l'activité économique et à l'emploi, d'où les directives envoyées à Champagny, ministre de l'Intérieur, puis à son successeur Cretet pour maintenir l'activité des arsenaux et manufactures, les grands travaux, sans oublier le ravitaillement des villes et le stockage des grains.

Mais l'ordre public repose aussi sur la surveillance et la répression exercée par la police de Fouché. Napoléon adresse à son ministre en moyenne une lettre tous les deux jours ! Il s'agit le plus souvent d'intercepter les agents de la correspondance royaliste et ses sympathisants. Enfin, l'esprit public reste sous contrôle au moyen d'une étroite surveillance de la presse.

Des auditeurs au Conseil d'État et des estafettes parcourent chaque jour la route de Paris à la Pologne et inversement, pour acheminer cette correspondance. Les courriers mettent entre 10 à 15 jours pour arriver à destination.

Au cours de cette année, on relève l'irritation croissante de Napoléon envers les frères qu'il a placés sur des trônes vassaux. Louis, le roi de Hollande, se fait morigéner pour la mauvaise organisation de son armée et pour les entorses faites au Blocus continental. Le roi de Naples, Joseph, est longuement chapitré pour accélérer les opérations militaires en Calabre, mais aussi prié de contribuer à l'approvisionnement et à la défense des Îles Ioniennes restituées par la Russie à la France. Enfin, Jérôme se voit confier le royaume de Westphalie, sous la haute surveillance d'une régence. Néanmoins, les premières proclamations et mesures lancées par son jeune frère ne tarderont pas à agacer Napoléon. À l'inverse, l'Empereur et Roi est globalement satisfait du gouvernement de son vice-roi Eugène en Italie.

Le retour de Napoléon dans la capitale est aussi marqué par un remaniement ministériel d'importance (9 août). Talleyrand, mécontent du rôle que l'empereur lui a fait jouer pendant cette campagne, dit aspirer au repos ; il aura droit à une sorte de disgrâce volontaire. Il va échanger son portefeuille des Relations extérieures contre un titre de grand-dignitaire. Berthier, qui ne peut plus suffire à tout, cède le portefeuille de la Guerre à Clarke mais conserve le poste de Major-général de l'armée.

Assuré du bon « esprit de Tilsit », Napoléon peut se retourner contre l'Angleterre. L'année 1807 s'achève ainsi par un durcissement du Blocus continental (décrets de Milan des 11 novembre et 17 décembre), mais aussi par l'invasion du Portugal, qui relève du même souci de contrôler toutes les côtes de l'Europe. Ambition démesurée, d'autant plus qu'elle ouvre déjà l'horizon, on le pressent à la lecture de plusieurs lettres, vers la tentation d'une intervention plus large dans la péninsule Ibérique. Pourtant, cela n'est pas formulé clairement, et l'on en reste aux prémices : les vieilles troupes de la Grande Armée ne sont pas rapatriées d'Allemagne. Les armées d'invasion du Portugal et de l'Espagne seront donc constituées en majorité de jeunes conscrits sans instruction et d'étrangers (Allemands, Italiens, Napolitains et Suisses) regroupés dans des régiments provisoires ou de marche. Ces inconséquences, qui se paieront cher, se lisent elles aussi entre les lignes de la Correspondance.

L'année 1807 reste néanmoins celle d'un apogée quasi mythique pour l'empire napoléonien. Elle avait mal commencé avec les milliers de morts et de blessés d'Eylau puis d'Heilsberg, batailles si disputées que le nom de victoire ne leur convient pas tout à fait. Puis la journée décisive de Friedland, le spectacle inouï du radeau sur le Niémen, le renversement d'alliances miraculeux de Tilsit, faisaient oublier le prix qu'il avait fallu payer, et surtout le fait que rien n'était malgré tout joué tant que continuait la guerre maritime. Au contraire, les possibilités nouvelles qu'ouvrait l'alliance russe achevaient d'enlever tout frein à la démesure impériale, ainsi que les aventures de 1808 devaient le manifester bientôt.

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