La Maison des Enfants de France

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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La Maison des Enfants de France fut créée par le décret du 25 novembre 1810. Elle concernait « tous les princes, fils ou petits-fils de France, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de sept ans, époque à laquelle ils passent aux mains des hommes, et pour les princesses, filles ou petites-filles de France, jusqu'à l'époque où l'empereur juge à propos de leur composer une maison particulière ». Les personnes attachées au service du prince impérial furent choisies dans l'optique de servir de jeunes enfants. On comptait ainsi en 1813 une gouvernante (Mme Louise-Charlotte-Françoise de Montesquiou-Fezensac [1765-1835], descendante de Louvois), deux sous-gouvernantes (Mmes de Boubers et de Mesgrigny), rattachées au service du Grand chambellan et un service de santé comprenant un médecin (Bourdois), un chirurgien (Auvity) et un médecin vaccinateur (Husson). La gouvernante commandait à toutes ces personnes. Les deux sous-gouvernantes la remplaçaient dans ses attributions en cas d'absence.

Comme pour l'impératrice, la Maison des enfants de France était servie pour la bouche et pour l'écurie par la Maison de l'empereur. Le Grand maréchal du palais et le Grand écuyer veillaient à fournir tout ce dont elle avait besoin. Néanmoins, le service purement domestique du fils de l'Aigle était plus nombreux que celui détaché spécifiquement auprès de l'impératrice. L'équipe était en effet complétée par trois berceuses (Mmes Marchand, Petit et Legrand), une bonne et des nourrices dont une « surveillante des nourrices ». Le roi de Rome avait aussi à son service un maître d'hôtel, un tranchant, deux huissiers, quatre valets de chambre, deux femmes, trois filles et deux garçons de garde robe. En 1812, les officiers et le personnel de cette Maison étaient au nombre de trente et un. Elle coûta cette année-là 271 660 francs au budget général (1).
 
La Maison des enfants de France ressemblait fort à un nouvel appendice de la Maison de l'empereur. En réalité, il n'en était rien. La gouvernante nommée à vie possédait des pouvoirs très étendus. Pour les honneurs tout d'abord, elle avait « dans l'Etat et dans le Palais, le rang, les honneurs et les prérogatives dont jouissent les grands officiers de la Couronne ». En outre, elle avait « le pas sur toutes les dames de la Cour dans les appartements de Leurs Majestés, dans leur palais et dans le monde ». Elle pouvait entrer partout et jusque dans l'appartement intérieur. Dans les parties du palais consacrées aux enfants de France, elle avait le droit de commander les officiers civils et militaires de la Maison de l'empereur. Dans ses fonctions, elle était placé « sous les ordres immédiats de l'empereur ». Bien entendu, la gouvernante devait être en permanence auprès du jeune roi. Elle l'accompagnait partout, dormait dans une chambre voisine, avait sa propre table au palais, disposait souverainement du budget de son service et s'occupait elle-même du trousseau et de la layette. « Telle est la charge ; elle dotée d'honneurs si grands que la gouvernante devient presque la seconde femme dans l'Etat et que, à des égards, elle prime l'impératrice même. Nommé à vie, ne devant de comptes qu'à l'empereur, obligée de ne point quitter l'enfant, même une seconde, elle devient la mère officielle ; elle s'interpose sans cesse entre l'enfant et la mère naturelle, à qui échappe toute direction et même tout contrôle » a pu écrire Frédéric Masson (2).

Avec une telle présence, il n'est pas étonnant que l'Aiglon ait surnommée affectueusement sa gouvernante « Maman Quiou ». L'épouse du grand chambellan essaya à plusieurs reprises de rendre indépendante la Maison dont elle avait la responsabilité. Son rattachement au service du grand chambellan pourtant largement théorique ne lui plaisait guère. Elle avait obtenu de pouvoir elle-même rédiger ses budgets et de pouvoir les présenter au Conseil de la Maison. Mais c'était sans compter avec la mysoginie ambiante. Comme l'usage voulait qu'aucune femme n'assiste aux Conseils, il aurait fallu que la gouvernante soit … un homme pour pour pouvoir s'y rendre (3) .
Malgré cette avanie, Mme de Montesquiou continua son combat. Pour le budget de 1813, elle demanda à l'intendant général de supprimer l'intitulé « service du grand chambellan » et de le remplacer par « service de la gouvernante des Enfants de France ». Son mari, le grand chambellan, fit savoir à l'intendant qu'il ne s'opposait pas à sa demande, estimant qu' « il est vraisemblable qu'elle obtiendra l'accessoire qu'elle sollicite ayant déjà obtenu le principal » (4) . Sa demande fut examinée dans le Conseil de la Maison de février 1813. Napoléon approuva sa requête et le 6 février, l'intendant lui fit savoir « que [son] service formera dès cette année un chapitre distinct dans le budget sous le titre de service de Madame la gouvernante des Enfants de France » (5) .

Au contraire de la Maison de l'impératrice presque totalement absorbée par la Maison de l'empereur à la fin de l'Empire, la Maison des Enfants de France gagna petit à petit en autonomie. Cette évolution tenait moins à l'opiniatreté de Madame de Montesquiou qu'à la volonté de l'empereur. Son fils était l'avenir de la monarchie. Il fallait tout mettre en oeuvre pour que l'héritier soit bien éduqué et grandisse dans la plus parfaite sécurité. L'importance de cette mission justifiait que la Maison des enfants de France devienne de plus en plus indépendante. Si l'Empire avait perduré, elle aurait peut-être fini par être un autre Etat dans l'Etat.

Cet article fait partie de notre dossier thématique consacré à la naissance du Roi de Rome (20 mars 1811)

Notes

(1) A.N. O2 200, folio 393.
(2) Frédéric Masson, Napoléon et son fils, Paris, Albin Michel, pp. 83-84.
(3) A.N. O2 200, folio 397.
(4) Ibid., folio 396.
(5) Ibid., folio 392.
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