Les masques mortuaires de l’Empereur

Auteur(s) : DANCOISNE-MARTINEAU Michel
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Tous les aspects de l'exil de Napoléon à Sainte- Hélène ont fait l'objet de débats passionnés, qu'il s'agisse des causes du décès, des conditions de détention, des tentatives d'évasions ou des amours supposées. Tout a contribué à renforcer le mystère « Sainte- Hélène ». C'est notamment le cas de l'affaire des masques mortuaires (1).

Cette île, encore plus isolée en ce début du XXIe siècle qu'elle ne l'était durant l'exil, est le ferment naturel des théories qui ne reposent que sur des interprétations de témoignages et de documents écrits. Rares furent ceux qui écrivirent sur Sainte-Hélène sans vouloir prouver quelque chose. L'objectivité n'est pas l'apanage de la littérature hélénienne. Mais si on rajoute à ces spéculations des considérations matérielles, nous tombons alors en plein irrationnel. Chaque meuble, chaque fragment, chaque objet provenant – ou supposé provenir – de Longwood House devient un véritable imbroglio scientifique dans lequel tout a été rendu – à dessein ou pas – si complexe que beaucoup renoncent à s'y retrouver.

Les empreintes du visage

Après la mort de Napoléon survenue au soir du 5 mai 1821, son corps fut veillé durant la nuit du 5 au 6 à partir de minuit et après la toilette funèbre, par l'abbé Vignali, le maître d'hôtel Pierron et le docteur Arnott (2). Les autres Français, épuisés par des semaines de service au chevet du moribond, s'étaient retirés dans leurs appartements. Apparurent alors les vautours et autres charognards qui, à distance, guettaient le corps de l'aigle, placé sur un lit de fer. Selon certains auteurs, dont les affirmations sont sujettes à caution, le médecin écossais aurait profité de sa garde pour prendre, à l'aube, un moulage de la face de l'Empereur en utilisant soit de la cire des bougies, soit de la cire d'abeille, obtenant un masque au visage lourd, au front large et carré, au menton agressif et aux traits forts, qui ne sera révélé au public que par un article du London Illustrated News en 1855 (3).
 
Antommarchi (4) semble avoir tenté lui aussi de prendre une empreinte, à la demande de la comtesse Bertrand, le 6 mai au matin, se servant d'une singulière matière. Selon Andrew Darling, chargé de l'entretien de Longwood House, occupé à préparer la chapelle ardente, le 5 mai vers midi, alors que l'Empereur agonisait, le médecin français lui aurait demandé du plâtre. N'en trouvant pas dans ses magasins, il aurait acheté cent cinquante statuettes et les aurait fait réduire en poudre par ses ouvriers. Cette matière grossière, déjà passée au four, s'était révélée inutilisable.
 
Selon d'autres écrivains, les domestiques, laissés seuls avec le corps pendant la nuit du 6 au 7, auraient tenté de prendre eux aussi une empreinte à l'aide de papier délayé dans du lait de chaux. Ce serait la pièce connue sous le nom de masque du comte Pasolini …
 
Après l'autopsie, qui eut lieu pendant l'après-midi du 6, la comtesse Bertrand pria les médecins de se procurer du plâtre pour mouler le visage du mort et conserver ainsi ses traits pour sa famille et pour la postérité. Le docteur Burton (5) qui avait l'habitude des moulages, avait eu la même idée et s'en était ouvert à Hudson Lowe, puis à Antommarchi. Les deux hommes acquiescèrent. Il se procura donc du sulfate de chaux trouvé à l'état pur à Prousperous Bay Plain, juste en face de George Island. Il le passa au four et courut à Longwood. Mais voyant cette poudre rugueuse, Antommarchi prétendit que l'opération de moulage serait impossible. Burton tint bon et Mme Bertrand le pria de se mettre à l'ouvrage. Le 7 mai, à quatre heures de l'après-midi, les deux médecins, sous le regard de deux valets (6), se mirent à la tâche. Deux jours avaient passé depuis la mort de Napoléon : son visage était creusé et le cadavre exhalait une mauvaise odeur (7). Ils enlevèrent le col et la cravate qui entouraient le cou, dégagèrent la chemise, coupèrent les cheveux qui encombraient le front et le haut des tempes. Malgré la rugosité du plâtre improvisé, ils parvinrent à tirer, en deux temps, un moule. Les deux témoins apportèrent donc leur caution à la relique que l'histoire appelle le masque Antommarchi – bien qu'il soit aussi l'oeuvre du médecin irlandais Burton – et que pour diverses raisons certains auteurs ont tenu pour faux.
 
Le moulage séché se composait de trois fragments : le visage, le front et l'occiput. Le reste du plâtre fut employé le lendemain à faire une épreuve. Le buste fut coulé dans l'empreinte. Malheureusement, le plâtre étant si grossier, le médecin irlandais dut sacrifier l'empreinte pour préserver le buste dans sa perfection. Afin de ne pas causer d'écorchures sur le masque, cette opération se fit en détachant l'empreinte par petites plaquettes, à l'aide d'un couteau ou d'une palette (8).
 
Satisfait de son travail, Burton laissa les moulages sur la cheminée du salon afin de les laisser sécher et il s'en alla. Le lendemain, il revint pour finir son travail et, à sa grande surprise, il s'aperçut que la partie faciale du buste avait été enlevée et emballée conformément aux ordres de Mme Bertrand. Ce larcin, qui n'en était pas un, car Burton exécuteur du masque, ne pouvait s'en déclarer le propriétaire, donna lieu à une longue et fracassante querelle qui s'acheva devant les tribunaux londoniens… mais ceci n'entre pas dans le cadre de cette enquête sur l'histoire de la précieuse empreinte et de cette première épreuve vue pour la dernière fois, à Sainte-Hélène, sur la cheminée du salon.

De retour en Europe

Les Français quittèrent l'île le 27 mai 1821. Antommarchi emportait cette épreuve dans ses bagages ainsi que le prouve une lettre à un fonctionnaire britannique, datée de Londres, par laquelle le médecin corse sollicitait l'intervention pour le dédouanement de certains objets précieux, entre autres « un buste en plâtre de l'Empereur Napoléon ». Il est certain qu'il obtint satisfaction car pendant son séjour à Londres, il se procura du plâtre de bonne qualité et prit une copie de cet original (9) qui prendra le nom de « Masque Bertrand » et que la fille du grand-maréchal, Mme Thayer, légua au prince Victor Napoléon. Il est aisément identifiable car il porte au dos, de la main d'Antommarchi, une inscription en italien : « A l'imparEggiabile merito di Madame Bertrand – Antommarchi. 27 Agosto 1821 ».
 
En plâtre très fin, il comporte – comme tous les masques Antommarchi – un front assez étroit et bombé, qui n'a pas été moulé sur le visage du mort, mais ajouté après coup en s'inspirant du portrait de l'Empereur par les peintres Gérard et David. Ce fut ainsi qu'à Sainte-Hélène et à Londres, à partir du fragment facial qu'il avait subtilisé, Antommarchi réalisa un masque complet. C'est celui que nous connaissons aujourd'hui avec quelques variantes. Le médecin conserva l'original dont les Bertrand eurent la première copie.
 
Les années passèrent. Antommarchi se rendit à Rome où il rencontra Madame Mère, Louis Bonaparte, Pauline et le cardinal Fesch sans qu'il ne fût jamais question de cette précieuse relique hélénienne… En 1825, il publia son livre Derniers moments de Napoléon dans lequel il affirmait, en passant, qu'il la possédait encore. Mais, quand il apprit la mort du docteur Burton, qui survint en 1828, il jugea que le moment était venu de se lancer dans une affaire commerciale sans courir le risque de se voir disputer la propriété de l'oeuvre : soutenu par le général Bertrand, qui se portait ainsi garant de l'authenticité du masque que nous connaissons, il lança, en 1833, une souscription nationale qui connut un grand succès. Pour ces exemplaires, en bronze et en plâtre, qui furent rapidement mis dans le commerce, il dut de toute évidence faire faire une cire perdue afin de pouvoir conserver sa chère relique.
 
Il partit l'année suivante en Amérique où il avait des amis et de la famille pour finalement décider de s'installer à Cuba où il mourut en 1838. Le masque échut à sa famille et, après être passé de son frère à sa nièce, il fut offert au musée de Malmaison en 1921, à l'occasion du centenaire de la mort de l'Empereur. Il n'est que d'examiner attentivement cet exemplaire pour se convaincre qu'il s'agit bien du plâtre de mauvaise qualité trouvé par Burton à l'endroit même où un aéroport se développe aujourd'hui. Même texture, même composition chimique, même couleur…
 
L'objet ne fit cependant pas l'unanimité des experts. Le choeur des sceptiques (10) reprochait à cette effigie le front étroit et fuyant, le menton aigu, les pommettes saillantes, ne tenant aucun compte de l'affaissement des muscles d'un cadavre et le retrait des chairs sous la pression d'un plâtre rugueux qu'il fallait manipuler avec vigueur. Le visage fin de Florentin déroutait ceux qui avaient en mémoire les beaux traits romains de Napoléon popularisés par les artistes de l'Empire. C'était aller loin dans le dénigrement car le profil de ce masque mortuaire rappelle non seulement ceux de Madame Mère, de Lucien, de Joseph et de Jérôme mais encore certains portraits de Napoléon par Gros, Isabey, Girodet, Lefèvre… C'était aussi oublier que ce profil césarien, avec un nez légèrement busqué, des pommettes apparentes et les joues creuses, faisait penser au visage aigu du Premier consul.
 
Il fallait bien admettre, dans le même temps, qu'Antommarchi ne s'étant emparé que de la partie faciale de l'empreinte avait, soit à Sainte-Hélène soit à Londres, reconstitué un front, un menton et un cou pour obtenir une pièce complète qu'il souhaitait porter au célèbre sculpteur Canova pour l'exécution d'une effigie en marbre. Mais où et comment avait-il effectué ce travail ?

Une nouvelle apparition

Cette question fut à peine posée que déjà une pièce en cire, dite « Masque Arnott », apparut. Son authenticité reposait sur l'affirmation que le docteur Arnott en avait pris l'empreinte pendant la nuit du 5 au 6 mai – ce qui était impossible car l'abbé Vignali et Pierron, qui veillaient le corps de leur maître, n'eussent pas manqué de s'opposer à toute manipulation de ce genre et d'en rendre compte au grandmaréchal et au comte de Montholon. De cette empreinte, furent tirées trois épreuves : deux furent directement vendues par le docteur Arnott au roi de Wurtemberg et à un diplomate russe. Après des équipées rocambolesques, une épreuve passa entre les mains de Jérôme Bonaparte et puis celles de Napoléon III pour finalement disparaître dans l'incendie des Tuileries en 1871 et reparaître miraculeusement chez un antiquaire de la Côte d'Azur pour intégrer une collection napoléonienne privée. Les deux autres épreuves, plus sagement, errèrent en Allemagne pour échouer l'une à Munich et l'autre en Italie.
 
Il suffit de jeter un rapide coup d'oeil sur ce visage lunaire, pour flairer le faux. Si le dessin du profil de Napoléon sur son lit de mort attribué au docteur Arnott est authentique, il est probable qu'il a servi à modeler ces effigies de cire qui le reproduisent exactement. En revanche, vu de face, l'objet montre un visage carré et aplati, sans expression, le front démesurément haut, caricatural même… Pas le moindre signe d'affaissement des chairs, une matière lisse comme un modelage d'atelier de sculpture, et un menton en galoche comme celui d'une tête de cadavre qui aurait été maintenu en place par une mentonnière. Pas le moindre signe enfin de ce rictus léger qui révélait des dents et qui frappa les témoins lors de l'ouverture de la bière en 1840.
 
Mieux : au dos figure l'inscription : « D. Arnot – St. Helena – 6 Mai 1821 » qui accentue le faux. L'écriture n'est point celle du docteur Arnott, lequel d'ailleurs eût signé selon son habitude – commune à celle des praticiens britanniques – « A. Arnott, MD », et eût pris soin de mettre deux « t » à son nom et écrit « May » et non « Mai ». Connaissant d'ailleurs le caractère d'Arnott, il est certain que s'il eût été en possession d'un tel objet, il l'eût sans hésitation remis à sir Hudson Lowe.
 
Que dire d'autre concernant ce masque en papier mâché – ou papier trempé dans le lait de chaux – qui apparut à la fin du XIXe siècle ? Il fut vendu par un officier « ayant servi dans les armées de Napoléon » au comte Pasolini. Comme pour le « Masque Arnott », cet objet ne résiste ni à l'examen ni à la réflexion. Le fait même que les yeux soient ouverts alors que tous les dessins de l'Empereur sur son lit de mort le montrent les yeux clos, dénote le faux. Il est évident d'autre part que si les domestiques avaient pris ce moulage, de furieuses querelles eussent précédé l'attribution de la relique, querelles dont les souvenirs de Marchand et d'Ali feraient mention.

Originaux, copies ou faux ?

Dans les années 1915-1920, une nouvelle étrange mit en émoi le monde des experts napoléoniens. Un article du Times de 1915 révéla l'existence en Angleterre de deux masques du type Antommarchi ayant appartenu, l'un à une certaine Mrs. Sankey, et l'autre à un Mr Boys, fille et fils du Révérend Richard Boys (11)… Le premier était en plâtre fin et le second d'une matière plus grossière. Les deux pièces auraient été apportées en Angleterre en 1830 lorsque le pasteur quitta Sainte-Hélène pour prendre sa retraite. Ce ne fut qu'en 1862 – il avait 77 ans – que le pasteur les aurait ornées d'un curieux certificat d'authenticité : « Ce moulage fut fait de la figure de Napoléon Buonaparte quand il reposait sur son lit de mort à Longwood, St. Helene, par Mr. Rubidge, 7 mai 1821. Ce que je certifie. – R. Boys, MA. » Mais ce John Rubidge, peintre miniaturiste, âgé de dix-neuf ans en 1821, n'est «que» l'auteur d'un portrait de l'Empereur sur son lit de mort et s'il est vrai qu'il assista à l'opération de moulage d'Antommarchi et de Burton, il n'eut à aucun moment l'occasion de procéder lui-même à une opération similaire. Plus vraisemblablement, ces masques Sankey et Boys ne sont que des copies du masque Antommarchi faites en Angleterre… après 1830 !
 
Mais cette histoire de masque ne s'arrête pas là pour autant. Elle met en exergue, de la façon la plus significative et la plus caricaturale qui soit, la prolixité des marchands, des collectionneurs, et autres thésards qui ne se lassent plus depuis d'inventer des histoires au fil des années.
 
En 1951, une famille de hobereaux – toujours et encore de la même nationalité britannique – mit en vente un moulage d'un poids considérable du masque Antommarchi, présenté sur la foi seule des certificats établis par les possesseurs. Elle le présentait comme étant l'exemplaire destiné par le médecin corse au sculpteur Canova, expédié à Florence sous couvert de Lord Burghesh, futur comte de Westmoreland, alors ministre de Grande-Bretagne dans cette ville. Les certificats, comme aiment à en confectionner les possesseurs d'objets souvent seuls à les tenir pour authentiques, sont aussi étranges que ceux des masques Boys : « Le moulage de la tête de Napoléon fut pris après la mort à Sainte-Hélène par le docteur Antomarchi [sic], le médecin italien qui le soigna et fut envoyé par lui – par l'intermédiaire des autorités anglaises – à Lord Burghesh, alors ministre britannique à Florence – pour l'usage du sculpteur Canova, lequel le retourna ensuite à Antomarchi [sic] qui l'offrit à Lord Burghesh ».
 
Ces propriétaires se gardent bien de se demander pourquoi Antommarchi, qui s'est rendu en personne à trois reprises à Florence, où il a été présenté au duc, et où il a connu un procès au sujet de la publication de ses planches d'anatomie, aurait-il eu besoin des autorités britanniques pour le transport de cet objet. De même, pourquoi Antommarchi, qui songeait à la commercialisation de son oeuvre, eût-il offert cet original à un inconnu, Lord Burghesh qui n'était connu de lui que pour lui avoir délivré un passeport quand il avait été choisi par la famille de l'Empereur pour se rendre à Sainte-Hélène? Difficile d'accepter que le masque Burghesh soit cet original venu de Sainte-Hélène dans les bagages du médecin, et dont un moulage aurait été pris à Londres et mis en lieu sûr par le général Bertrand, au cas où il serait perdu ou brisé pendant le transport d'Angleterre en Italie. Pour cela, il faudrait pouvoir comprendre les raisons qui justifieraient le plâtre de très belle qualité et d'une fine texture.
 
En 1956 et en 1961, coup sur coup, apparurent deux nouveaux masques ayant appartenu à un certain major Gilley – encore et toujours – britannique. Tous les deux de plâtre fin. Tous les deux provenant de Sainte-Hélène. Ils furent baptisés «Gilley 1 » et «Gilley 2 ».
 
Le «Gilley 1 » fut révélé par le baron de Veauce, déjà propriétaire du « Masque Burghesh » et pour qui ces plâtres, cires et papiers mâchés des traits de l'Empereur n'avaient aucun secret. Comme il se doit, il était doté – comme les autres – d'un certificat assez peu probant établi par le propriétaire : « Il aurait été rapporté de Sainte-Hélène par un certain colonel Gillie [sic] qui était officier de garde dans l'île à l'époque de la mort de Napoléon. Il peut avoir été médecin militaire. » L'objet est intéressant car il est de type Antommarchi, mais présente quelques différences de détail. Il pourrait, au mieux, être un exemplaire de travail du médecin reconstituant une pièce complète à l'aide de la partie faciale, c'est-à-dire modelant un front et un menton, ou encore l'essai de quelque sculpteur désirant corriger la faiblesse de la courbe frontale du type Antommarchi classique. Malheureusement pour le propriétaire, le « colonel Gillie » apparaît n'être en fait qu'un major Gilley qui n'a jamais figuré sur les listes de l'armée à Sainte-Hélène au temps de la captivité…
 
C'est lorsque ce dernier détail fut révélé qu'apparut… un nouveau masque qui tint compte de cette précision.
 
Le « Gilley 2 » fit quelque bruit dans la presse en 1961. Ce fut une dame de Tipperary, couturière de son état, qui le découvrit dans une armoire, à l'occasion d'un déménagement, dans son minuscule cottage. Bien entendu, il était accompagné d'un certificat, malhabile à dessein : « Ce moulage de la tête du grand Napoleone a été donné au défunt major Thomas Gilley par le frère de sir Hudson Low [sic] en Méditerranée entre les années 1830 [sic] et 33. Le 7e Régiment des Fusiliers Royaux, dont Thomas Gilley était l'adjudant et Lord Frederick le colonel, servait à Malte et à Gibraltar ces années-là. Le moulage est un de ceux faits avec la matrice originale. Le fils survivant de Thomas Gilley est né à Gibraltar en 1843. »
 
Légèrement différent du « Gilley 1 », ce masque semble effectivement être un essai de remaniement laissé inachevé car il présente une large brisure sur le côté gauche. Toutefois, le certificat laisse sceptique car nous ne connaissons aucun frère à Hudson Lowe… Le gouverneur de Sainte-Hélène perdit en effet sa mère et son unique soeur à Saint-Vincent, dans les Antilles. Eût-il eu un frère, d'ailleurs, que celui-ci âgé d'au moins soixante-cinq ans dans les années 1830, n'eût pas été en état de faire campagne ! Peut-être – et au mieux – s'agitil tout simplement du surmoulage d'un exemplaire de l'édition Antommarchi de 1833, que de nombreux sculpteurs et collectionneurs ont dû essayer de modifier pour le rendre plus conforme à l'image du grand conquérant. La position différente des oreilles, le dessin modifié du cou et de la bouche pourraient bien être la preuve de cette théorie. En 1969, un masque provenant de la dispersion des pièces du musée de Stamford, petite ville anglaise, apparaît. Il porte la signature de Hudson Lowe et s'avère – même pour les moins experts – être un exemplaire de l'édition de 1833, offert au musée en question par l'ancien gouverneur de Sainte-Hélène.
 
Avant de tirer un trait sous cette liste de masques, tous d'origine britannique – et pour conclure de façon exhaustive sur ce sujet – ajoutons que la ville d'Exeter possède elle aussi un masque, comme tant de villes d'Angleterre et d'Écosse. La tradition orale veut qu'il ait été rapporté de Sainte-Hélène, par le docteur Arnott,… trois masques en cire et le masque d'Exeter du type Antommarchi… Le docteur écossais aura vraiment tout fait pour brouiller les pistes !
 
Un seul masque ne tire pas son origine du Royaume- Uni : le masque en cire dit « de Lausanne » qui a appartenu à Noverraz. C'est un curieux objet : du type Antommarchi, ma

Encadré : Localisation actuelle de la plupart des masques cités

Le masque Antommarchi-Burghesh : Paris, Invalides, musée de l'Armée.
Les deux masques confiés au pasteur Boys (dont le masque Sankey) : en dépôt à la Maison française de l'université d'Oxford.
Les masques Gilley 1 et Gilley 2 : Ajaccio, Maison Bonaparte.
Le masque d'Exter : Grande-Bretagne, musée d'Exter.
Le masque donné au comte Bertrand (surmoulage du masque Antommarchi ?) : musée du château de Malmaison (dénommé parfois Masque de Malmaison).
Le masque du roi Joseph (surmoulage du masque Bertrand ?) : musée du château de Malmaison (dénommé lui aussi, parfois, Masque de Malmaison).
Le masque Démidoff ou Rosebery (surmoulage du masque Antommarchi ?) : dernier propriétaire recensé : Octave Aubry.
Le masque Rusi : Royal United Service Museum, puis Corso (collection privée américaine inconnue).
Le masque « Lebendmaske » : Autriche, musée de Baden.
Les masques conservés en Amérique du Sud, par les héritiers du docteur Antommarchi mort à Santiago de Cuba en 1838 : masques localisés à des périodes différentes à Bogota (Colombie), Caracas (Venezuela), ou Santiago de Cuba.
 
Source : Chantal Prévot, Fondation Napoléon.

Notes

1) Nous avons choisi pour cet article l'histoire des masques. Mais nous aurions très bien pu prendre celle des causes de sa mort, des fragments corporels (des morceaux d'intestins aux mèches de cheveux en passant par son sexe dont il existe trois spécimens actuellement exposés dans diverses collections), des sousvêtements, du climat de Sainte-Hélène (aussi sujet à polémiques), des meubles, des papiers peints, des planchers… Les sujets ne manquent vraiment pas. Nous étudions actuellement l'histoire d'une table de bibliothèque emportée par Hudson Lowe et qui a fait l'objet d'une correspondance de plus de mille cinq cents feuillets…
2) Il est né en Écosse à Kirkconnel Hall, Ecclefechan, Dumfrieshire, le 18 avril 1772, et mort le 6 juillet 1855. Son expérience en tant que médecin militaire était considérable car son régiment servait en Hollande, en Méditerranée et en Inde, en particulier au siège et à la capture d'Alexandrie en 1801 et à la bataille de Maida en 1806. Il arriva à Sainte-Hélène avec son régiment en 1819 et ce ne fut que le 1er avril 1821 qu'il examina Napoléon pour la première fois. Il établit rapidement d'excellentes relations avec Napoléon et l'assista jusqu'à la fin.
3) Ce masque en cire n'aurait, bien entendu, aucun rapport avec les masques en plâtre postérieurs.
4) Médecin de Napoléon à Sainte-Hélène. Né à Morsiglia, au hameau de Baragogna, en Corse le 5 juillet 1789, mort à Santiago de Cuba le 3 avril 1838. Il est sollicité en mai 1818 pour le poste de médecin de Napoléon à Sainte-Hélène par le cardinal Fesch et Madame Mère. Il arriva à Jamestown le 20 septembre et examina Napoléon pour la première fois le 23 septembre. Il resta à son poste jusqu'à la mort de Napoléon. Anatomiste et pathologiste compétent, ses connaissances médicales sont réduites à ce que Napoléon résume d'une phrase : « Je lui donnerais mon cheval à disséquer mais je ne lui confierais pas mon pied à soigner. » Ses rapports avec l'Empereur, qui lui reprochait de s'absenter trop souvent de Longwood, «n'étant occupé que de ses catins », furent difficiles.
5) Francis Burton est né à Tuam, comté de Galway en Irlande, en 1784. Après avoir étudié la médecine à Dublin, il entra dans l'armée en 1805. En 1819, il devint membre du Collège royal de chirurgie et en 1820 obtint le diplôme de docteur en médecine à Édimbourg. Le 19 décembre 1819, sur la recommandation particulière de Sir James Mac Gregor, il est nommé médecin du 1er bataillon du 66e régiment, stationné à Sainte-Hélène. Il arrive dans l'île le 31 mars 1821, cinq semaines avant la mort de Napoléon. Il n'est pas consulté pendant la maladie fatale, mais il est présent à l'autopsie. Il meurt en 1828.
6) Ali et Marchand, qui n'ont pas tendance comme les personnages politiques à déguiser les faits, sont d'accord sur le déroulement de l'opération.
7) Ce que confirme le général Bertrand. L'enseigne Darroch du 20e régiment qui réglait le défilé des visiteurs, parle, lui, d'une odeur « terrible ».
8) Ce détail n'est pas sans importance pour l'identification de l'original.
9) Une note se trouve dans les papiers du général Bertrand (collection aujourd'hui dispersée) concernant des affaires de bagages : « Cette caisse renferme un plâtre de l'Empereur Napoléon fait d'après le masque exécuté à Longwood par le Dr. Antommarchi. Le comte Bertrand l'a déposé chez X… afin que si l'original venait à se perdre ou à se briser dans le transport de Londres à Rome on pût en retrouver la copie. Il ne pourra être disposé du plâtre inclus dans cette caisse que d'après l'ordre du comte Bertrand et en conformité aux instructions que Madame, mère de l'Empereur, lui fera connaître. – Londres, le 1er septembre 1821 ».  
10) Dès 1834, la Gazette médicale de Paris avait écrit : « M. Antommarchi a incrusté à la partie inférieure de son plâtre une petite médaille en bronze représentant Napoléon Empereur. La différence entre les deux images est frappante. Dans la médaille, le front est tout à fait droit et très haut, tandis que sur le plâtre, il décrit une courbe très sensible. » En 1894, Anatole France dans Le lys Rouge soupçonna le médecin corse qu'il qualifiait « d'Italien apothicaire de comédie, bavard et affamé » de s'être tout simplement moqué du monde. Même réaction chez Charles Maurras sortant du musée d'Ajaccio : « Rien ne ressemble moins que ce plâtre au Napoléon des médailles. La différence est si criante que des critiques ont hésité sur le témoignage ou même l'ont traité de faux […] comment admettre cette image ? […] faut-il qu'Antommarchi nous ait joués ? Je n'en douterais plus si je n'avais trouvé quelques heures plus tard, rue Saint-Charles, dans la maison des Bonaparte, un étrange portrait de Laetitia Ramolino : ce portrait de Madame Mère répète trait pour trait, pour mieux dire, il annonce l'image de Napoléon telle qu'Antommarchi nous l'a léguée » (extrait de Corse et Provence, Paris, 1930).
11) Le révérend Boys est un des principaux acteurs de nos Chroniques de Sainte- Hélène à parues chez Perrin.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
487
Numéro de page :
32-39
Mois de publication :
Avril-juin
Année de publication :
2011
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