1812 – la campagne de Russie, préface de Marie-Pierre Rey au vol. 12 de la Correspondance générale de Napoléon Bonaparte

Auteur(s) : REY Marie-Pierre
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Tout entière dominée par la campagne de Russie, l’année 1812 occupe une place cruciale dans l’épopée napoléonienne, augurant d’un tournant majeur dans l’histoire de l’Empire dont elle préfigure la chute.
Lorsqu’en juin 1812, fort de son armée réputée invincible, Napoléon franchit le Niémen et envahit le territoire de son « frère » Alexandre Ier, beaucoup s’attendent à une campagne éclair qui se conclura par une de ces victoires décisives dont l’empereur des Français a le secret. Car aux yeux de beaucoup, la supériorité du « génie militaire » de Napoléon sur Alexandre qui de son propre aveu n’était qu’un « homme ordinaire », et la modernité organisationnelle et technologique d’une Grande Armée confrontée à une armée russe pétrie d’archaïsmes, laissent planer peu de doutes sur l’issue du conflit. Pourtant, moins de six mois plus tard, au terme d’une campagne dévastatrice sur le plan humain et matériel, c’est en vaincu que l’Aigle rentre en France, tandis que moins de 60 000 de ses soldats retraverseront le Niémen à sa suite. L’ours russe a fait face et tenu bon. « Venu en tigre, Napoléon a détalé comme un lièvre » ironisera cruellement le grand écrivain et historien Nicolas Karamzine.

De cette campagne, Napoléon ne se relèvera pas ; il y perdra son empire, son régime et sa liberté ; au contraire, Alexandre Ier, champion de « la guerre patriotique de 1812», entré en vainqueur dans Paris en mars 1814 à la tête des armées coalisées, permettra à la Russie de gagner en influence et de peser sur les travaux du Congrès des Vienne qui modelèrent la carte de l’Europe jusqu’en 1914. C’est dire l’importance décisive du choc militaire de 1812.

Or, si de nombreux mémorialistes, contemporains et acteurs de la campagne de 1812, se sont penchés sur cette année terrible, chacun livrant ses souvenirs, son point de vue et ses jugements sur une aventure militaire hors norme, Napoléon est quant à lui resté relativement discret sur l’événement. Le Mémorial de Sainte-Hélène n’aborde que succinctement la campagne de Russie et c’est pour incriminer dans la déroute, « non les efforts des Russes » mais « de purs accidents », « une capitale incendiée en dépit de ses habitants, et par des intrigues étrangères » « un hiver, une congélation dont l’apparition subite et l’excès furent une espèce de phénomène », «de faux rapports, de sottes intrigues, de la trahison, de la bêtise ». Et l’empereur de ne concéder qu’une faiblesse :
« C’est que cette fameuse guerre, cette audacieuse entreprise, je ne les avais pas voulues ; je n’avais pas eu l’envie de me battre. Alexandre ne l’avait pas davantage, mais une fois en présence, les circonstances nous poussèrent l’un sur l’autre : la fatalité fit le reste. »

Pourtant, en juin 1812, c’est bien la volonté impériale et non la fatalité qui au terme de plus d’un an de préparatifs, a réuni près de 440 000 hommes sur les berges du Niémen pour envahir l’empire russe et y porter le fer. Pourquoi et comment cette entreprise militaire à l’ordonnancement apparemment bien maîtrisé s’est-elle en définitive brisée sur la résistance russe ? Et, alors que les difficultés s’amoncelaient, rendant l’issue de l’aventure des plus incertaines, quel regard Napoléon portait-il sur son destin et sur celui de ses hommes ? À ces questions majeures, la correspondance de Napoléon pour l’année 1812 livre aujourd’hui de précieux éléments de réponse. Les 2 551 lettres réunies dans ce volume constituent en effet des sources d’une inestimable valeur pour l’historien désireux non seulement d’approcher la préparation de la campagne et la complexité du fonctionnement de la Grande Armée en guerre mais également de cerner la psychologie de l’Empereur, ses réactions et son comportement face aux épreuves et aux revers.

Dans le cadre de cette courte préface, il ne saurait être question de traiter de tous les aspects abordés par ces lettres car, comme dans ses correspondances antérieures, Napoléon se révèle un esprit aussi brillant, rapide et synthétique que boulimique, capable d’embrasser avec la même hauteur et la même acuité de vue, des questions capitales –telles le déroulement du conflit en Russie ou la guerre en Espagne – des aspects de moindre importance, -on peut évoquer ici ses commentaires sur le Traité des probabilités de Laplace paru la même année- ou bien encore des sujets mineurs sinon anecdotiques : ainsi des changements qu’il introduit dans la liste des « dames présentées » à la Cour ou de ses remarques sur les menus de l’école de cavalerie de Saint-Germain dont il déplore avec mauvaise humeur la piètre qualité ! En pleine campagne de Russie, alors que la guerre fait rage et que les déconvenues s’amoncellent, Napoléon continue, à distance, de décider, de trancher, de gérer et d’administrer l’Empire. Il recourt rarement aux avis d’autrui, s’assigne la responsabilité de toutes les décisions, des plus cruciales aux plus insignifiantes, délègue peu, dans une volonté de maîtrise absolue de son destin comme de celui de son empire, qui ne peut que fasciner le lecteur. Aussi, faute de pouvoir traiter de tous les thèmes abordés dans cette correspondance, j’ai choisi de m’arrêter à trois questions : les préparatifs de la campagne ; la nature de la Grande Armée et les difficultés auxquelles elle se heurte au fil du conflit ; la psychologie et le comportement de Napoléon face aux épreuves.

Les préparatifs de la guerre

Dès le début de l’année (1), les préparatifs de guerre qui dominent les six premiers mois de sa correspondance, permettent à Napoléon de donner la pleine mesure de son génie organisationnel. Durant toute cette période, il ne cesse en effet de travailler à la mise en place des douze corps qui formeront sa Grande Armée, s’attachant à en fixer les effectifs avec une précision méticuleuse, décidant des moindres détails de leur équipement, déterminant lui-même les quantités des stocks de nourriture et d’habillement à constituer, fixant les dates des déplacements des troupes et édictant les feuilles de route. Rien ne lui échappe, il lui faut personnellement s’assurer que tous les hommes seront prêts pour le grand choc à venir.

Pour les stocks de nourriture, une règle précise a été fixée : jusqu’au Niémen, les troupes devront vivre « avec les ressources du pays » car, précise l’empereur dans une lettre à Berthier en date du 26 mars (n° 30 301), « la consommation de ces vivres ne doit commencer qu’après le passage du Niémen » Quant aux « habillements » qu’il requiert, leur description s’avère riche d’enseignement : le 13 juillet, alors qu’il se trouve à Vilnius, Napoléon réclame à Berthier « 50 000 souliers, 6 000 capotes, 6 000 habits, 6 000 vestes, 6 000 culottes ». Mais dans cette liste, on ne repère pas de vêtements chauds susceptibles d’aider les troupes à affronter les rigueurs de l’hiver russe ; c’est que, pour l’empereur, comme il l’écrit à Marie-Louise le 1er juin, « je pense que dans 3 mois cela sera fait. » Nul doute à ses yeux que la guerre qui s’annonce sera rapide et facile ; à cette date, Napoléon, comme Alexandre Ier à la veille d’Austerlitz, pêche par un excès de confiance en soi.

Or, au même moment, tout méthodiques qu’ils soient, l’organisation et le déroulement de ces préparatifs gigantesques ne vont pas sans retards et erreurs qui suscitent l’impatience de l’empereur : à Thorn, le 4 juin, il écrit à Berthier ne pas comprendre « comment les équipages militaires qui étaient à Bromberg, ne sont pas encore arrivés à Thorn. Ils avaient ordre d’arriver le 1er juin ». Le lendemain, furieux, il éclate en nouveaux reproches :
« Mon cousin, écrivez à Rapp que j’apprends qu’on a fait partir de Dantzig 10 000 quintaux de grain, que je n’ai donné aucun ordre de ce genre, que c’est de la farine qu’il fallait faire transporter, et non du grain qui ne manque nulle part. »

Dès avant le début des hostilités, on le voit, de menus incidents ralentissement la mise sur pied de cette colossale machine de guerre, dont la nature apparait bien spécifique.

Les conséquences de ces désordres ne se font guère attendre : le manque de vivres et de fourrage pour les chevaux conduit les soldats en quête de ressources à s’éloigner de plus en plus de leurs unités, à prendre des risques et beaucoup tombent, victimes de guet apens et d’attaques cosaques. Le 3 septembre, à Gjatsk, Napoléon déplore cette funeste hémorragie et dans une lettre à Berthier, s’efforce d’y porter remède :
« Mon cousin, écrivez aux généraux commandant les corps d’armée que nous perdons tous les jours beaucoup de monde par le défaut d’ordre qui existe dans la manière d’aller aux subsistances ; qu’il est urgent qu’il concertent avec les différents chefs de corps les mesures à prendre pour mettre un terme à un état de choses qui menace l’armée de sa destruction ; que le nombre de prisonniers que l’ennemi fait s’élève chaque jour à plusieurs centaines. (…) Enfin vous ferez connaitre au duc d’Elchingen qu’il perd tous les jours plus de monde que si on donnait bataille. »

À ces difficultés logistiques, s’ajoutent celles liées au peu de soutien politique et
matériel que Napoléon reçoit des structures qu’il a pourtant lui-même instituées dans les zones occupées. Ainsi, alors que l’empereur plaçait beaucoup d’espoirs dans le gouvernement provisoire lituanien, le résultat ne sera pas à la hauteur de ses aspirations, comme il l’écrit de Smolensk, le 22 août :
« Mon cousin, répondez au baron Bignon, que le résultat de toute cela est que le gouvernement fait peu de choses, que l’organisation n’avance pas ; que l’administration est de peu de ressources, et qu’enfin le pays ne m’est d’aucune utilité. Que je trouve ridicules tous ses différents avec le gouvernement lorsqu’il le doit seconder pour le bien de mon service. »

Par la suite, sur ce sujet, le propos de Napoléon se fera plus radical et amer. Le 3 décembre il déclarera à Maret :
« J’ai été fort mal secondé par la Lituanie et par le duché de Varsovie, ou plutôt je n’ai pas été secondé du tout, ni par le gouvernement ni par le pays. »

Une Grande Armée spécifique

Fruit des alliances diplomatiques et militaires autant que des règles que Napoléon a imposées à ses Etats vassaux, le régime de la conscription lui a permis de se doter d’une armée multinationale dans laquelle on distingue des soldats originaires de la France pré-impériale, des conscrits provenant des départements français agrégés à l’Empire à partir de 1805 et des contingents étrangers apportés par les États alliés. L’Italie fournit ainsi 27 000 hommes, Naples, l’Autriche et la Bavière, 30 000 chacune, la Prusse 29 000, la Saxe, 20 000, la Westphalie, 25 000, le Wurtemberg 12 000, le Bade, 8 000, les autres Etats de la Confédération du Rhin, 20 000, le duché de Varsovie, 50 000, effectifs auxquels il convient d’ajouter plusieurs milliers d’Espagnols, de Portugais et de Suisses. Or, cette armée multinationale réunissant vingt nations rencontre des difficultés et en plusieurs circonstances, Napoléon lui-même déplore des dysfonctionnements. Dès le 4 juin, dans une lettre écrite de Thorn, il critique le mauvais comportement des troupes westphaliennes, coupables, contrairement aux ordres reçus, de « fourrager le pays » et de semer en Pologne « la terreur et la désolation » ; quelques semaines plus tard, en juillet (2) , il écrit au prince royal Guillaume de Wurtemberg pour se plaindre que « des officiers tiennent les plus mauvais propos » et expriment de « mauvais sentiments » et il l’enjoint de sévir à l’encontre de tous ceux qui renâclent à faire la guerre contre l’Empire russe. À l’égard des Polonais, il se montre tout aussi sévère, leur reprochant leur manque de combativité et les doléances à ses yeux injustifiées que le prince Poniatowski a exprimées en leur nom. Le 9 juillet à Vilnius, il se dit mécontent de constater que le prince « parle de solde, de pain lorsqu’il s’agit de poursuivre l’ennemi » et souligne « ne voir qu’avec peine que les Polonais soient assez mauvais soldats et aient assez mauvais esprit pour relever de pareilles privations. »

Le manque de cohésion des troupes et leur tendance à « murmurer » sont encore renforcés par les difficultés auxquelles elles se heurtent et que l’empereur, après les avoir niées, finit par déplorer. Au fil des semaines, il observe des difficultés dans les approvisionnements et les ravitaillements qu’il attribue moins à la mauvaise volonté des hommes qu’à leur incompétence. Le 2 juillet, se plaignant à Berthier que la construction des fours n’a pas commencé faute de chevaux pour transporter les briques, il souligne qu’ « il était donc convenable que, pour une opération aussi importante que la construction des fours, on commandât des chevaux de corvées » et conclut rageusement « Mais l’état-major est organisé de manière qu’on y prévoit rien ».

Psychologie et comportement de Napoléon face aux épreuves

Or au fil des semaines, alors que les difficultés s’accroissent, la résistance des Russes se renforce et courant octobre, elle contraint la Grande Armée à une retraite qui ne dit pas encore son nom. Dans ce contexte inédit pour lui, comment Napoléon s’est-il comporté ? A-t-il très tôt pris conscience que la situation lui échappait, que les Russes se dérobaient pour ne pas lui livrer la bataille décisive dont il attendait tout ? A-t-il au contraire, tardé à comprendre ce qui se passait ? Et que révèle sa correspondance quant à ses réactions et sa psychologie ?

Le corpus à notre disposition atteste un optimisme durable ou tout au moins la volonté d’afficher un optimisme à toute épreuve. Dans de nombreuses lettres, Napoléon se dit confiant, sûr de sa victoire face à des Russes dont il sous-estime de manière récurrente les capacités militaires autant que les effectifs. Borodino est à ses yeux une victoire très nette et soulignant l’ampleur des pertes russes, il prend soin de minimiser les siennes, voire de les passer sous silence. Écrivant à Marie-Louise le 8 septembre, il précise que « leurs pertes se peut évaluer à 30 000 hommes », sans s’attacher à évaluer la sienne. Le lendemain, s’adressant à Maret, il s’exclame avec un enthousiasme pour le moins surprenant : « La perte des Russes à la Moskova est énorme. C’est le champ de bataille le plus beau [sic] que j’ai encore vu, il y a 2 000 Français et 12 000 Russes sans exagération » soit un ratio d’un à six. Or les pertes durant la bataille étant aujourd’hui évaluées à 25-28 000 hommes pour la Grande Armée et à près de 45 000 côté russe, on mesure à quel point le ratio des pertes (un à deux tout au plus) était nettement moins favorable à l’armée napoléonienne que ne le laissait entendre Napoléon, par ailleurs peu sensible au carnage que constitua la plus sanglante bataille de la campagne.

Résolument optimiste quant à sa victoire finale, l’empereur tarde à comprendre que bientôt, la guerre n’oppose plus deux armées ennemies, mais tout un peuple levé contre l’envahisseur et que dès lors, ce peuple comme son souverain et son armée, sont désormais prêts à recourir aux moyens les plus extrêmes pour en finir avec l’intrus. Ainsi, Napoléon s’étonne de voir l’état-major russe distribuer en allemand des appels à la désertion destinés aux soldats de la Grande Armée et il se montre choqué de ces pratiques qu’il juge peu compatibles avec une guerre « honorable », sans comprendre que pour les Russes, militaires comme civils, les enjeux sont devenus tels qu’ils autorisent toutes les pratiques y compris les plus répréhensibles. De même, s’il a bien songé à exploiter les sentiments hostiles des paysans à l’égard de leurs propriétaires, comme l’atteste sa lettre à Eugène en date du 5 août où il lui demande de lui faire « connaître quelle espèce de décret et de proclamation on pourrait faire pour exciter la révolte des paysans dans la Russie et se les rallier », il sera vite contraint de renoncer à ce projet, butant sur un patriotisme populaire dont il a manifestement sous-estimé la vigueur. Enfin, l’incendie de Moscou, une ville dont il avouera dans une lettre à Marie-Louise datée du 18 septembre qu’elle « avait 500 palais aussi beaux que l’Elysée Napoléon, meublés à la française, avec un luxe incroyable, plusieurs palais impériaux, des casernes, des  hôpitaux magnifiques », le choque au point qu’il éprouve le besoin d’écrire au tsar pour l’informer de ces destructions, tenant « pour impossible qu’avec ses principes, son coeur, la justesse de ses idées, [il] ait autorisé de pareils excès, indignes d’un grand souverain et d’une grande nation ». Et ce faisant, il ne perçoit pas que cet incendie terrible, né de la volonté du seul Rostopchine, allait constituer le tournant de la campagne, cimentant la nation autour du tsar et précipitant la faillite d’une Grande Armée désormais plus occupée à piller et à s’enrichir qu’à combattre l’ennemi.

À la lecture de sa correspondance, sa prise de conscience que faute de vêtements adéquats et de vivres en quantité suffisante, un terrible désastre se profile, semble avoir été tardive : ce n’est que le 18 novembre, soit un mois après avoir quitté Moscou, que l’empereur confesse à Maret de manière explicite et presque naïve ses difficultés structurelles face à un ennemi en totale symbiose avec son milieu :
« Depuis la dernière lettre que je vous ai écrite, notre position s’est gâtée. Des gelées et des froids rigoureux de 16 degrés ont fait périr presque tous nos chevaux, c’est-à-dire 30 000. Nous avons été obligés de brûler plus de 300 pièces d’artillerie, et une immense quantité de caissons. (…) Du reste, quelques jours de repos, de bonne nourriture et surtout des chevaux et un matériel d’artillerie nous rétabliront. Mais l’ennemi a sur nous l’habitude et l’expérience des mouvements sur la glace : ce qui lui donne, l’hiver, des avantages immenses. Un caisson ou une pièce que nous ne pouvons pas faire monter au moindre ravin sans perdre 12 à 15 chevaux et 12 à 15 heures, eux, moyennant des patins et des équipages faits exprès [sic !] les enlèvent plus vite que s’il n’y avait pas de glace. »

Par la suite, au lendemain du passage de la Bérézina, les lettres à Maret se font de plus en plus directes, attestant sans fard l’ampleur de la catastrophe : le 29 novembre au matin, Napoléon se dit coupé de tout : « Il y a cependant quinze jours que je n’ai reçu aucune nouvelle, aucune estafette, et que je suis dans l’obscur de tout. « et il ajoute : L’armée est nombreuse, mais débandée d’une manière affreuse », appelant Maret à préparer à Vilnius des vivres en grande quantité ; « sans cela », prévient-il, « il n’est pas d’horreurs auxquelles cette masse indisciplinée et débandée ne se porte contre cette ville. » Dans les jours suivants, son discours se fait encore plus alarmiste. Le 30, Napoléon évalue à 40 000 le nombre de soldats « que les fatigues, le défaut de nourriture et le froid vont voyager en vagabonds ou même en pillards » et il réclame 100 000 rations de pain, faute de quoi, menace-t-il, l’anarchie et la violence règneront à Vilnius. Enfin, le 4 décembre, et c’est une des dernières lettres que l’empereur enverra à Maret avant de retraverser le Niémen, Napoléon confesse une déroute absolue :
« L’armée fatiguée et exténuée de misère, est à bout. Rien ne lui est plus possible, pas même s’il s’agissait de défendre Paris. »

Pourtant, cette détresse sera de courte durée. Dès le 19 décembre, arrivé à Paris et apparemment rassuré quant à l’humeur du pays, l’empereur des Français se reprend aussitôt à échafauder des plans d’envergure, désireux de former de nouvelles troupes pour reprendre les armes. Le jour même de son retour il écrit à Murat :
« Je suis arrivé à Paris. J’ai été extrêmement content de l’esprit de la Nation. On est disposé à faire toute espèce de sacrifices, et je m’occupe sans relâche à réorganiser tous mes moyens. J’ai déjà une armée de 40 000 hommes à Berlin et sur l’Oder. »

D’erreurs ou d’approximations commises, il n’était déjà plus question ; l’Aigle redressait la tête, ne s’avouait pas vaincu. Et comme l’année 1812, 1813 allait débuter sous les auspices de la guerre.

Notes

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(1) Mais sans doute a-t-il commencé à les entreprendre dès 1811 car dans un courrier à son frère Jérôme en date du 27 janvier 1812, Napoléon, tout se défendant de vouloir la guerre, affirme : J'ai dû rassembler mes armées, les former, et rétablir mon matériel de guerre. Ces préparatifs ont employé une année. ».
(2) La date précise de la lettre, écrite en juillet à Vilnius, n'est pas mentionnée dans le document.

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