Le Second Empire et le Siam : un bref aperçu des relations franco-siamoises durant le XIXe siècle

Auteur(s) : DAVEY WRIGHT Hamish, DE BRUCHARD Marie (trad.)
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Sous le Second Empire se nouèrent ou renouèrent des relations particulières avec l'Extrême-Orient, dans le prolongement du développement industriel des échanges maritimes, à l'échelle mondiale. Le Siam, sous l'impulsion de son monarque, s'ouvrit à cette modernisation et compta sur les pays européens pour profiter des progrès techniques que l'isolationnisme de son pays avait empêché durant les décennies précédentes. Dés lors, Rama IV et Napoléon III révisèrent les dispositions diplomatiques et économiques des deux pays sur lesquels ils règnaient.

Tableau de la réception des ambassadeurs siamois par Gérôme
Commentaire du tableau
Détails du tableau (lien extérieur, site de la RMN)

Traduction de l'article The Second Empire and Siam: a brief look at Franco-Siamese relations during the 19th century d'Hamisch Davey Wright (webéditeur napoleon.org anglais)

La France, la Grande-Bretagne et le Royaume de Siam

Le 27 juin 1861, Napoléon III, Eugénie et le Prince impérial reçurent en grande pompe l'ambassade siamoise, envoyée par le roi Rama IV, dans la salle de bal au château de Fontainebleau. La réception faite d'un cortège d'ambassadeurs fut un ballet de somptueux costumes et des cadeaux luxueux. L'ambassade était venue en réponse à un traité franco-siamois d'amitié et d'entente commerciale signé cinq ans plus tôt.
 
Le Moniteur Universel (du 28 juin) décrit de nombreux détails du cérémonial de la réception : « En entrant dans la salle, les ambassadeurs et leur entourage se mirent à genoux, puis poursuivirent leur avancée ainsi et les coudes jusqu'à la balustrade derrière laquelle était assise la cour impériale. Cette marche était difficile, en particulier pour le premier ambassadeur qui portait un chapeau peu commode, de forme conique à larges bords, et tenait dans ses mains un grand calice d'or au support troué, dans lequel avaient été placés deux récipients et dans chacun une lettre des rois codirigeants du Siam. Arrivé à destination, le premier ambassadeur, visiblement ému, plaça devant lui son précieux fardeau et se prosterna trois fois, [à chaque fois] levant les mains au-dessus de sa tête. Tandis qu'il s'exécutait, les autres membres de sa délégation firent les mêmes gestes. »
 
Cette procession cérémonielle fut suivie d'une allocution au nom du royaume siamois, traduite en français par le missionnaire qui accompagnait la délégation et lui servait d'interprète, le Père La Renaudie.
 
La réception marquait le rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le royaume de Siam (Thaïlande moderne). Leur relation avait été soutenue au cours du XVIIe siècle (1), notamment sous le règne de Louis XIV et avait débuté dans l'optique de lutter contre la puissance commerciale hollandaise montante. La Dutch East India Company, étendait en effet son influence autour de l'océan Indien et de la mer de Chine méridionale. Un second objectif du traité était d'affirmer la présence missionnaire de la France dans la région. Cette aspiration resta sans succès :  le Siam demeura fermé aux puissances occidentales jusqu'au milieu du XIXe siècle.
 
L'arrivée au pouvoir de Rama IV changea cet état de fait. Le souverain éclairé fut rendu célèbre grâce à la comédie musicale de Rodgers et Hammerstein Le Roi et moi, une histoire basée sur la vie d'Anna Leonowens, gouvernante des enfants et des épouses de Rama IV. Face à une présence occidentale accrue dans la région et à cause de la guerre relativement récente de l'opium avec la Chine, Rama signa une série de traités commerciaux avec la Grande-Bretagne (1855), les Etats-Unis et la France (1856), le Danemark (1858), le Portugal (1859), les Pays-Bas (1860) et les États allemands (1862).
 
Le traité français reposait sur le travail de l'évêque Pallegoix, le vicaire apostolique du Siam, qui entretenait une relation étroite avec Rama IV. L'évêque avait alerté le consul français à Singapour sur le souhait du Siam de renouer avec la France. En effet, les relations n'avaient pas été entièrement coupées et des missionnaires français continuaient d'oeuvrer dans la région siamoise en dépit de l'isolationnisme du pays. Suite aux efforts de Pallegoix, une ambassade française sous l'égide de Louis Charles de Montigny, diplomate français présent en Chine au cours de la période, fut envoyée dans la région. France et Siam signèrent un traité le 15 août 1856, confirmant des relations pacifiques et encourageant le développement de relations de libre-échange commercial entre les deux pays. La liberté religieuse était par ailleurs garantie dans ce traité pour les missionnaires étrangers. Enfin, un dernier aspect, révélateur de l'intérêt Rama IV pour les sciences (en particulier l'astronomie), était abordé dans le traité. Des dispenses spéciales et l'octroi de la protection du roi siamois étaient en effet garantis aux scientifiques et universitaires français (les « naturalistes , tels qu'ils étaient nommés dans le traité, parmi d'autres termes) intéressés de visiter et faire des recherches au Siam.
 
Le traité avec la France était en fait basé sur celui avec la Grande-Bretagne, appelé « traité Bowring », d'après Sir John Bowring, gouverneur britannique de Hong Kong. Cet accord avait redéfini les règles d'échange et des taxes à l'exportation en découlaient, à la faveur des puissances occidentales. Il avait également supprimé les monopoles détenus par les fonctionnaires hauts placés ou nobles siamois. La signature des traités sur ce modèle dans les années 1850 avait conduit au développement d'une population marchande européenne importante au Siam, installée dans la capitale, Bangkok. Des passeports délivrés par les autorités siamoises restaient cependant encore nécessaires pour tout étranger cherchant à voyager à l'intérieur du pays. La mise en place des consuls européens – puis de délégations entières – à Bangkok, se fit en parallèle à l'élaboration d'une législation pour les ressortissants étrangers établis dans le royaume. Ainsi, par exemple, selon l'article 4 de la Convention de 1856, le consul français agissait au  titre d'intermédiaire par lequel tous les citoyens français cherchant à entrer en contact avec les autorités siamoises devaient passer. Le consul français devait alors évaluer la requête et, en conséquence, la transmettre ou non. De la même manière, tout ressortissant siamois cherchant à traiter avec le consul français devait avoir demandé l'agrément des autorités siamoises. Une liste des marchandises exotiques (assorties de leurs droits de douane respectifs) achevait le traité et précisait les produits exclus de tout commerce. Aussi ne pouvait-on vendre ou acheter ivoire, plumes de pélican, ailerons de requins, carapaces de tortues, nids d'hirondelles (en fait produite par certaines espèces), « nerfs de daim »(tendons de cerfs utilisés dans les soupes exotiques) ou encore peau de pangolin (un exemple d'ouvrage indien en peau de pangolin est visible en l'armure offerte à George III et conservée dans les Armureries Royales de Leeds (2).
 
Comme Josiah Crosby, consul général de Grande-Bretagne à Bangkok entre 1934 et 1941, le note dans son guide de Siam (publié en 1920) : « Il serait difficile d'exagérer l'importance des résultats provenant de [les] traités et de la conséquente pénétration progressive du Siam par des influences étrangères ». L'Annuaire des Mondes deux du 1858-1859 le confirme également : « Le Gouvernement du Siam se montre de plus en plus favorable à l'égard des Européens qui trouvent à Bangkok non seulement une protection, mais la sympathie et la tolérance de leur religion. Bangkok est devenu l'un des plus marchés importants d'Asie, et le royaume de Siam récolte la récompense de la politique libérale qu'il a introduite dans l'Extrême-Orient, et qui est chaleureusement appuyée par la France, l'Angleterre et les Etats-Unis. ».

Article originel et bibliographie anglophone

Article originel d'Hamish Davey Wright 

Bibliographie de l'article originel :
 
Gregory A. Barton & Brett M. Bennett, « Forestry as Foreign Policy: Anglo-Siamese Relations and the Origins of Britain's Informal Empire in the Teak Forests of Northern Siam, 1883-1925 », in Itinerario: International Journal on the History of European Expansion and Global Interaction, vol. 34, issue n° 2, 2010, pp. 65-86

Sir John Bowring, The Kingdom and People of Siam, volume II, John W. Parker and Son: London, 1857

Lewin B. Bowring, Autobiographical Recollections of Sir John Bowring, with a brief memoir, Henry S. King & Co.: London, 1877
 
Nigel Brailey, « The Scramble for Concessions in 1880s Siam », in Modern Asian Studies, vol. 33, issue n° 3, 1999, pp. 513-549

A. Cecil Carter (ed.), The Kingdom of Siam, G. P. Putnam's Sons: New York, 1904

Josiah Crosby, Siam, H.M. Stationery Office: London, 1920

Junko Koizumi, « Siamese Inter-State Relations in the Late Nineteenth Century: From An Asian Regional Perspective », in Taiwan Journal of Southeast Asian Studies, vol. 5, issue n° 1, 2008, pp. 65-92

Anna Harriette Leonowens, The English Governess At The Siamese Court, 1870

John MacGregor, Through The Buffer State: A Record of Recent Travels through Borneo, Siam, and Cambodia, F.V. White & Co.: London, 1896
 
Charles Meyniard, Le Second Empire en Indo-Chine (Siam-Cambodge-Annam), Société d'Editions Scientifiques: Paris, 1891
 
Henri Mouhot, Travels in the Central Parts of Indo-China (Siam), Cambodia, and Laos, during the years 1858, 1859, and 1860, John Murray: London, 1864
 
1856. 15 août. Traité d'amitié, de commerce et de navigation (Bangkok) (France et Siam)

 

Notes

1. Voir l'article du Château de Versailles sur la réception de 1686 par Louis XIV 
2. Photo de l'armure en écailles de pangolin
Titre de revue :
inédit ; napoleon.org
Mois de publication :
novembre
Année de publication :
2012
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