Décision au tribunal diocésain de l’Abbé Rudemare

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Introduction

L'annulation du mariage civil de Napoléon et Joséphine le 15 décembre 1809 fut la première étape du processus de qui deviendra le « divorce » de Napoléon. La seconde étape, qui s'avère plus délicate, consiste à obtenir l'annulation du mariage religieux. Etape qui requière l'intervention de deux tribunaux religieux réunis pour se prononcer sur la validité de la cérémonie de mariage célébrée par le cardinal Fesch le 1er décembre 1804. Le texte qui suit est la décision de l'Abbé Rudemare, qui siégea au tribunal diocésain.

Texte de la décision de l’Abbé Rudemare

Trois déposans s'accordent à dire sur les deux chefs, que la bénédiction nuptiale, si elle a eu lieu entre L.L.M.M. a eu lieu sans consentement véritable de la part de S.M. l'Empereur, sans propre prêtre, sans témoins et sans pièce authentique qui constate son existence.
 
Or un acte dont il n'y a ni titre, ni témoin, n'a pas de réalité aux yeux du juge ; il n'existe pas ; et s'il n'existe pas, il n'y a lieu à déclarer le mariage valablement ou non valablement fait, avec ou sans consentement suffisant ; il est non avenu. Ce qui se passe dans le secret d'un appartement, entre deux personnes sans aucune trace légale, est devant la Loi comme ce qui se passe dans l'intérieur de l'âme et n'a que Dieu pour juge.
 
[…] Mais la déclaration de Son Altesse Eminentissime, Monseigneur le Cardinal Fesch, ne nous permet pas de considérer la cause sous cet aspect. Ici, c'est un témoin et le ministre même de la bénédiction nuptiale. Sa déclaration est un monument qui l'établit incontestablement. Il en a délivré le certificat à Sa Majesté l'Impératrice. La question se présente donc toute entière, et nous avons à examiner :
1° Si la célébration a été revêtue des formalités prescrites, sous peine de nullité, par les Saints Canons et les Ordonnances.
2° Si le défaut de consentement allégué est tel qu'il puisse motiver une sentence de nullité.
Quant au premier point, les Loix [sic] de l'Eglise et de l'Etat prescrivent, sous peine de nullité du lien conjugal, que la célébration ait lieu devant le propre prêtre et en présence de deux témoins, selon le Concile de Trente, et de quatre selon l'ordonnance de Blois.
 
Dans le cas actuel il y a défaut de présence des témoins, il est attesté par les déclarations annexées à l'enquête. Il y a défaut de présence du propre prêtre. En effet, c'est par S.A. Em. Monseigneur le Cardinal Grand Aumônier que la bénédiction nuptiale a été impartie, hors la présence du curé. Ce fait est également constant. Ce qui ne l'est pas moins, c'est que ces deux défauts ne peuvent être couverts par la dispense qu'il a obtenue du Chef de l'Eglise Universelle. S.A.Em., n'ayant demandé que les dispenses qui lui sont quelque fois indispensables pour remplir ses devoirs de Grand' Aumônier, et, n'ayant point particularisé et nominativement spécialisé la fonction extraordinaire et curiale qu'il allait exercer auprès de S.M., n'a pu recevoir et n'a reçu ni la dispense des témoins exigés par les Loix [sic] civiles et canoniques, ni le pouvoir de se substituer au Curé ou à l'Ordinaire dont l'intervention est absolument requise par le Concile et la déclaration de 1639, nonobstant tout privilège et coutume quelconque. Ainsi l'a décidé Grégoire 13. C'est aussi un sentiment reçu unanimement en France, qu'en fait de mariage, l'Evêque seul est Ordinaire. Louis 13, dans son Edit de 1629, et Louis 14, dans celui de 1697, l'ont insinué assez clairement, en ne s'y servant pas du terme d'ordinaire, mais de celui d'Evêque, ou d'Archevêque diocésain. Voilà pour le premier de l'enquête.
Pour le second point, relatif au défaut de consentement, la question se présente environnée d'obscurité. A la vérité S.M. l'Empereur ne s'est prêté à la célébration qu'avec répugnance et pour céder aux instances de Sa Majesté l'Impératrice ; à la vérité il n'a pas voulu se lier par un engagement indissoluble ; mais il est difficle d'établir suffisamment qu'il y ait eu défaut du consentement nécessaire à la formation du lien. La question se réduit à savoir si l'intention formelle de ne se point [sic] lier irrévocablement, intention contraire à la nature du lien conjugal, était un obstacle invincible à la formation du lien, ou si le consentement donné dans la célébration suffisoit pour en produire les effets essentiels, nonobstant toute intention contraire. Question très difficle à résoudre, en droit, comme en fait. Si donc l'examen de cette question n'étoit pas nécessaire, il semble qu'il faudroit éviter de s'y engager.
 
Mais le seul défaut de témoins n'est-il pas un vice qui emporte de soi nullité? Oui, sans doute. La seule difficulté qui se présente, et elle est grave, c'est qu'un défaut de formalités ne peut être favorable à celui qui l'a produit librement. Aussi les tribunaux ont-ils coutume de juger, en pareil cas, que le mariage a été mal et non valablement contracté par défaut d'une formalité essentielle, mais d'enjoindre en même temps aux parties de couvrir incontinent ce défaut, en renouvellant légalement leur consentement.
 
Il y a donc en ces jugements deux parties très distinctes : l'une qui déclare le mariage nul quoad foedus ; l'autre qui condamne à le réhabiliter. Et l'on sent que cette dernière est nécessitée par les raisons les plus graves d'équité et d'ordre public.
 
Cependant, il n'est pas moins vrai que, pour des raisons majeures qui sortent de l'ordre commun, des raisons d'Etat, par exemple, il se pourroit qu'il n'y eût pas lieu d'insister sur la réhabilitation. C'est à M. l'Official à considérer, dans sa sagesse, si les circonstances présentes ne l'autorisent pas à s'écarter sur ce point des règles de son Tribunal.

Notes

Source :
Le divorce de Napoléon et de l'Impératrice Joséphine. Etude du dossier canonique par Louis Grégoire, Paris, Letouzey et ané, 1957.
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