Le Code pénal et son application

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Introduction

Le Code pénal devait remplacer diverses lois adoptées pendant les dix premières années de la Révolution dont l'ossature était le Code pénal des 25 septembre-6 octobre 1791 et le Code des délits et des peines de l'an IV. Une particularité importante de ces deux textes, intervenus après des siècles de sévérité implacable, était la fixité des peines : les juges ne pouvaient moduler la punition. Le résultat en avait été une montée irrésistible du laxisme judiciaire, les magistrats hésitant à condamner systématiquement à la peine la plus lourde pour des crimes ou des délits moins graves. Napoléon souhaitait une solution médiane quant à la liberté des magistrats, tout en rétablissant des sanctions rigoureuses. On discuta donc beaucoup et longtemps, autour du travail d'une commission de juristes -au sein de laquelle brillaient des partisans de la sévérité tels Target et Treilhard-, avant de parvenir à un texte définitif. Nous dirons plus loin à quel point les consignes de l'empereur avaient été correctement relayés par ses conseillers d'État et suivis par le Corps législatif.

Si le Code Civil définissait de larges pans de l'organisation sociale, le Code pénal voulait en assurer la défense (1). Il fallut près de neuf années pour achever l'ouvrage qui fut modifié jusqu'au dernier moment et promulgué le 22 février 1810, à l'époque même où le régime napoléonien se durcissait.

Le droit criminel avant le nouveau code

Le droit criminel était jusqu'alors régi par le Code du 25 septembre 1791, adopté en pleine période d'optimisme révolutionnaire, largement repris par le Code des délits et des peines du 25 septembre 1795. Ces textes supprimaient les crimes « imaginaires » -hérésie, lèse-majesté divine, sortilège, etc.-, décrétaient un taux des peines fixe -les juges ne pouvaient moduler leur condamnation, avec comme corollaires la suppression du droit de faire grâce et une procédure de réhabilitation. Les peines encourues par les criminels étaient la mort, les travaux forcés (fers) pour une durée de vingt-quatre ans au maximum, la réclusion, la détention, la déportation. Des peines infâmantes subsistaient tels le carcan ou la dégradation civique. Il n'y avait pas de réclusion perpétuelle. La marque au fer rouge était supprimée, de même que le pilori ou les mutilations. Sans attendre le nouveau Code pénal, la marque fut rétablie en 1801 : elle avait son utilité pour reconnaître les criminels en dehors de toutes autres pratiques anthropométriques mais constituait aussi une « cicatrice pénale […], incarnation du forfait, signe indélébile de l'identité criminelle » (2)Les cas pour lesquels la peine pouvait être la mise à mort étaient réduits dans le Code de 1791 mais encore nombreux (assassinat, contrefaçon de papier-monnaie, incendie volontaire, complot, trahison, etc.). Pour l'exécution, le Code prévoyait que les condamnés auraient la tête tranchée. On continua donc à utiliser la guillotine.

Le nouveau texte

La réforme de 1810, prolongée par la mise en vigueur d'un nouveau Code de procédure criminelle, refondait cet édifice, dans la lignée d'un premier projet rédigé en 1801 et qui s'appuyait sur une conviction : l'homme est réputé responsables de ses actes et de l'usage qu'il fait des libertés que la société lui reconnaît ; la peine doit punir et non améliorer le coupable ; si l'on ne doit pas le faire souffrir, son châtiment est le meilleur moyen de prévenir de nouveaux crimes. Comme le Code Civil, le nouveau texte était simple, claire, bien organisé, divisant les infractions en trois catégories auxquelles étaient attachées trois niveaux de peines : criminelles, correctionnelles (pour les délits) et de police (pour les contraventions). Les peines de police se réduisaient à des amendes, un bref emprisonnement (de un à cinq jours) ou à la confiscation de certains objets. Les peines correctionnelles comprenaient l'emprisonnement (de six jours à cinq ans), l'interdiction provisoire de certains droits civiques, des amendes, la confiscation du corps du délit et, comme peine annexe, la surveillance spéciale par mesure de Haute Police. Mais ce sont bien sûr les peines criminelles qui ont retenu l'attention des historiens. Elles étaient rendues plus sévères et plus diversifiées, souvent complétées de peines infâmantes. (voir encadré 2)

En fixant un minimum et un maximum des peines, le Code laissait aux juges plus de latitude qu'auparavant (3). Des circonstances atténuantes pouvaient même être accordées en matière de délits mais jamais en cas de crime, à l'exception de la légitime défense, strictement définie (comme elle l'est aujourd'hui d'ailleurs).
 
Quant aux infractions, elles étaient celles du temps et même, pour beaucoup d'entre elles, celles de tous les temps. Toutefois, près de deux cents articles étaient consacrés à la sûreté de l'État dont le Code pénal entendait protéger la souveraineté. Cette matière était déjà fort présente dans le texte de 1791 mais on y avait concentré certaines dispositions sur les infractions extérieures au service commises par des fonctionnaires publics ou des militaires. En 1810, on inversait presque cet aspect du système puisqu'on défendait l'État contre ceux qui, à l'extérieur de ses structures, voulaient le déstabiliser : trahison, intelligence avec l'ennemi, attentats et complots contre l'empereur, pillage des biens publics, désobéissance à l'autorité publique, réunions illicites, etc. En cela, le Code pénal était un texte politique qui n'était pas éloigné de ceux votés pendant la Terreur ou la Convention thermidorienne.

Le texte de 1810 fut très vite discuté par les juristes et rejeté par une large frange de la société. Sa réforme fut entreprise dès la seconde Restauration et sans cesse amplifiée par la suite, jusqu'au nouveau Code pénal de 1992, entré en vigueur le 1er mars 1994, sans toucher cependant à l'articulation d'origine, à la définition des catégories d'infractions, voire même aux grandes définitions et incriminations. Une telle survivance pour une oeuvre aussi (hypocritement ?) décriée et si peu philosophique a fait écrire à André Damien : « On peut dire que l'oeuvre pénale de Napoléon, si critiquée qu'elle fût, reste moderne et réaliste, à la différence de la plupart des conceptions criminologiques qui l'ont suivie, et qui ont contribué à lui conférer un caractère archaïque, incomplet et insuffisamment pensé » (4). C'est surtout par son réalisme et ses aspects pratiques –quel que soit le jugement que l'on peut porter sur le fond- que ce Code fut remarquable. 

Un arsenal de justice complet

[…] Au pénal, les juges de paix réglaient les affaires de simple police (au sein d'un « tribunal de police »). Plus tard, le Code d'instruction criminelle créa des tribunaux de commune, lorsque celle-ci n'était pas chef-lieu de canton, composés du maire et d'un adjoint faisant fonction d'officier du ministère public ; ces tribunaux avaient les mêmes compétences que le tribunal de police animé par le juge de paix. Les tribunaux de première instance jugeaient les délits. Les cours de justice criminelle (appelées tribunaux criminels jusqu'en 1804 puis cours d'assises après 1811), connaissaient des infractions qualifiées de « crimes ». A partir de l'entrée en vigueur du Code d'instruction criminelle, les cours criminelles furent composées de magistrats des cours impériales siégeant une fois par trimestre au chef-lieu de chaque département.

Avant 1810, les cours criminelles rendaient leurs jugements au travers de deux jurys distincts : l'un pour l'accusation, l'autre pour le jugement. Seul un magistrat dit « de sûreté » décidait de l'incarcération du suspect pendant l'enquête qui était conduite par un autre magistrat appelé « directeur du jury d'accusation », dans une procédure « secrète »  (c'est-à-dire non publique). Une fois les diverses auditions et actes effectués, ce directeur proposait les suites à donner au jury d'accusation. Si celui-ci choisissait de renvoyer l'accusé devant le tribunal, il laissait alors la place, devant la juridiction, au jury de jugement. Cette solution déplaisait profondément à l'empereur, hostile à toute idée de jury populaire et préférant par principe les jugements rendus par des magistrats professionnels. Il tenta donc de faire supprimer les jurys. L'opposition du Conseil d'État permit de maintenir le jury de jugement dans le nouveau Code d'instruction criminelle. La procédure de mise en accusation y fut profondément modifiée. Le jury d'accusation disparut. Le magistrat de sûreté et le directeur du jury furent remplacés par un juge d'instruction qui cumulait leurs prérogatives. C'est lui qui proposait éventuellement le renvoi devant la cour. Son « ordonnance » était transmise à une « chambre du conseil » qui remplaçait le jury d'accusation. Formée de trois magistrats, elle avait trois possibilités : prononcer un non-lieu, renvoyer l'affaire devant une juridiction inférieure (correctionnelle ou de police) ou transmettre le dossier au procureur impérial pour poursuivre aux assisses. Le procureur saisissait alors la cour impériale qui décidait ou non de saisir la cour d'assises, composée de trois magistrats professionnels et douze jurés. Ces derniers étaient choisis par le préfet parmi les citoyens figurant sur la liste des trois cents personnalités les plus imposées du département, « embourgeoisement » de la justice pénale qui a subsisté sous diverses formes jusqu'à une période récente.

Quant à la justice que ces jurés rendaient, des études ont montré que si les acquittements avoisinaient ou dépassaient la moitié des cas pendant les dix premières années de la Révolution, leur part diminua sensiblement par la suite tout en restant importante : environ 40 % de l'an VIII à l'an XII, environ 36 % de l'an XII à 1811 (5) . Elle ne se réduisit pas avec l'entrée en vigueur du Code pénal : 33 % en 1813, 38 % en 1814, 33 % en 1815, 31 % en 1816. Les autorités se montrèrent souvent mécontentes des décisions des jurys, voire même parfois des magistrats professionnels qu'elles jugeaient timorés. Des remontrances furent faites et l'épuration de la magistrature (voir ci-dessous) produisit aussi son effet si bien qu'en 1809, le commissaire général de police de Marseille estima que, « depuis un an, la cour criminelle des Bouches-du-Rhône [paraissait] se conformer plus strictement aux textes des lois » tout en regrettant que les tribunaux inférieurs ne se montrent pas toujours assez sévères. Et le représentant du gouvernement d'ajouter pour appuyer ses propos : « [Un] tribunal avait acquitté un cabaretier, traduit devant lui pour contravention constante aux règlements sur les jeux de hasard. La cour [d'appel] a infirmé ce jugement et condamné l'accusé à 1000 francs d'amende » (6).
 
L'administration prit souvent des mesures –en l'espèce totalement arbitraires- pour maintenir sous les verrous les acquittés les plus dangereux à leurs yeux. Par exemple, recevant un rapport l'informant que, « complices des garotteurs de la Dyle et ensuite dénonciateurs dans le long procès qui a eu lieu, [Fries et Orsel] viennent d'être acquittés à Lille et renvoyés à Bruxelles par devant M. le préfet ; ce magistrat observe que ces deux individus ont, par leurs fausses dénonciations, compromis et ruiné un grand nombre de familles, fait arrêter près de 500 personnes et causé, en pure perte, à l'État des frais considérables ; leur conduite antérieure et même leur sûreté personnelle s'oppose à leur élargissement », Fouché écrivit en marge : « Les transférer au dépôt de Gand et les y détenir jusqu'à nouvel ordre » (7). Plus tard, le bulletin remis à l'empereur portait cette autre mention : « La cour criminelle de Liège acquitte Labbeye pour assassinat, bien que sa culpabilité soit évidente. Le ministre ordonne de le retenir en arrestation » ou encore « le dénommé Bellour accusé d'avoir assassiné la veuve Martin est acquitté comme ayant agi dans un moment de folie. [Le ministre] ordonne sa détention à Embrun jusqu'à nouvel ordre » (8).

Une justice sans états d’âme.

Avec un tel arsenal et malgré le laxisme reproché à certains tribunaux, la «défense sociale » s'organisa sans états d'âme. Les notions de réhabilitation ou de rééducation des délinquants étaient seulement répandues dans quelques milieux intellectuels marginaux et en tout cas absentes du Code d'instruction criminelle. L'opinion voulait de sévères sanctions, presque la loi du talion. Ici, Napoléon ou ses ministres n'avaient pas besoin d'intervenir. On relève toutefois que, lorsqu'ils condamnaient, les jurés tentaient parfois d'adoucir les lourdes peines prévues par le Code pénal… ce qui ne faisait pas à l'arrivée des condamnations moins cruelles que pendant la période antérieure, compte tenu de la hausse des « barèmes » (9). On exécuta cependant de deux à quinze condamnés par an dans chaque département, ce qui était moins que pendant la Révolution (entre 2 000 et 2 700 exécutions à Paris pendant les dix premières années de la Révolution, 16 594 dans toute la France pendant la Terreur) et moins qu'en Angleterre, trois fois moins peuplée. (voir encadré 3)

Un prisonnier de guerre britannique a raconté dans ses Mémoires l'exécution capitale de quatre pilleurs de diligence à laquelle il assista à Périgueux :
Le désir de voir cet instrument trop célèbre dont on s'était servi pour verser le plus pur, les plus noble sang de France, m'engagea à assister à cette triste exécution, et je priai le marchand de tabac de me procurer une place d'où je puisse la voir commodément. La guillotine était placée sur une grande plate-forme en face de l'hôtel de ville : l'exécuteur portait une veste de toile grise avec un pantalon de la même étoffe ; il avait sur la tête un bonnet blanc et les manches de sa chemise étaient relevées comme celle d'un boucher allant à la tuerie. Les patients étaient accompagnés de deux prêtres, et après quelques courtes prières, on les fit approcher de l'instrument fatal : le premier que l'on exécuta supporta tous les affreux préparatifs sans exprimer la moindre émotion. Quand la tête fut séparée du corps, l'exécuteur la leva en l'air et prononça quelques mots que je n'entendis pas distinctement, mais qui désignaient je pense le crime qu'il avait commis. La guillotine ne fit pas aussi bien son devoir pour la deuxième victime, la tête restant attachée au tronc par la peau, et l'exécuteur fut obligé de l'en séparer avec un grand couteau, réservé pour cet usage. Les deux derniers virent la mort de leurs compagnons, sans montrer aucun signe de frayeur et je suis sûr qu'ils leur enviaient le privilège de les avoir précédés (10)
Les statistiques générales manquent sur les autres peines. On peut tenter de donner une idée de l'activité des tribunaux à partir de deux sources. La première est un rapport remis en février 1808 à Napoléon et publié ensuite par l'Imprimerie nationale. Il rend compte de l'activité des tribunaux criminels et correctionnels de l'Empire pour la période 1804-1806 :
 
Condamnations pénales prononcées pendant la période 1804-1806

1804
Nombre d'affaires : 10 645
Condamnations : 6 938
Mort : 710
Autres peines criminelles : 2 886
Peines correctionnelles : 3 962

1805
Nombre d'affaires : 11 651
Condamnations : 7 605
Mort : 521
Autres peines criminelles : 2 907
Peines correctionnelles : 4 117

1806
Nombre d'affaires : 12 046
Condamnations : 7 644
Mort : 524
Autres peines criminelles : 2 579
Peines correctionnelles : 4 541

La seconde source est moins sûre et ne saurait constituer que l'indication d'ordres de grandeur. Il s'agit de l'enquête publiée en 1820 par une revue anglaise, l'Edinburgh Review. Elle concerne la période 1813-1816. On peut en tirer plusieurs leçons : il y eut toujours une proportion importante d'acquittements ; la justice fonctionna sans doute beaucoup moins bien pendant les années 1814 et 1815, la chute du nombre d'affaires jugées laisse penser que les tribunaux de la Restauration reprirent, avec plus de force même que l'Empire, leur rythme répressif après la seconde abdication.
 
Condamnations criminelles prononcées pendant la période 1813-1816

1813
Nombre d'affaires : 8 042
Condamnations : 5 336
Mort : 307
Travaux forcés à perpétuité : 346
Déportation : 0
Travaux forcés à temps : 1 585
Réclusion : 1 956
Carcan : 6
Bannissement : 3
Emprisonnement et/ou amendes : 1133

1814
Nombre d'affaires : 5485
Condamnations : 3395
Mort : 183
Travaux forcés à perpétuité : 247
Déportation : 0
Travaux forcés à temps : 963
Réclusion : 1221
Carcan : 1
Bannissement : 0
Emprisonnement et/ou amendes : 780

1815
Nombre d'affaires : 6551
Condamnations : 4323
Mort : 256
Travaux forcés à perpétuité : 326
Déportation : 0
Travaux forcés à temps : 1176
Réclusion : 1547
Carcan : 3
Bannissement : 1
Emprisonnement et/ou amendes : 1014

1816
Nombre d'affaires : 9890
Condamnations : 6741
Mort : 414
Travaux forcés à perpétuité : 458
Déportation : 57
Travaux forcés à temps : 1644
Réclusion : 2252
Carcan : 8
Bannissement : 2
Emprisonnement et/ou amendes : 1906

 
Placées sous l'autorité du ministre de l'Intérieur et des préfets, les prisons accueillirent environ 5 000 détenus de droit commun pour les seuls établissements parisiens après 1810 et aux alentours de 25 000 dans la centaine de prisons départementales établies sur le territoire de l'Empire, chiffres auxquels il convient d'ajouter les bagnards, c'est-à-dire les condamnés aux travaux forcés : les bagnes de Brest, Rochefort, Toulon et leurs succursales dans d'autres ports en accueillirent 10 000 entre 1802 et 1810 et 6 000 de plus jusqu'à la chute de l'Empire (11).En principe, les prévenus, les accusés et les condamnés ne devaient pas être mélangés lors de leur détention dans les prisons, mais « le grand enfermement confus et arbitraire commença » (12). Dans les Mémoires romancés de Vidoq, on peut lire cette brève description de la prison parisienne de Bicêtre : « L'impudence des détenus et l'immoralité des employés étaient alors poussées au dernier point […]. Les prisonniers pouvaient voler, se battre, s'assommer, ou se livrer à ce libertinage dégoûtant qui appela la colère du ciel sur Sodome, sans que personne s'avisât d'y trouver à redire. Tout y était toléré, excepté les tentatives d'évasion ». Le sort des prisonniers était en effet pitoyable : chacun recevait 750 grammes de pain et un litre de soupe par jour mais pouvait, s'il en avait les moyens (ce qui était rare) améliorer cet ordinaire par des achats personnels.

Encadré 1 : Plan sommaire du code pénal de 1810

Livre premier
Des peines en matière correctionnelle et de leurs effets
 
Livre II
Des personnes punissables, excusables ou responsables pour crimes ou pour délits
 
Livre III
Des crimes, des délits et de leur punition
 
Titre premier : crimes et délits contre la chose publique
Titre II : crimes et délits contre les particuliers
 
Livre IV
Contraventions de police et peines

Encadré 2 : Les peines criminelles dans le Code pénal de 1810

Peine / Modalités d'exécution : peine afflictive et peine infamante

Peine de mort /Tout condamné à mort aura la tête tranchée.

Peine de mort du parricide /Le coupable sera conduit sur le lieu de l'exécution en chemise, nu-pieds et la tête recouverte d'un voile noir. Il sera exposé sur l'échafaud pendant qu'un huissier fera lecture au peuple de l'arrêt de condamnation. Il aura ensuite le poing droit coupé et sera immédiatement exécuté à mort.

Travaux forcés /Les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus pénibles ; ils traîneront à leurs pieds un boulet, ou seront attachés deux à deux avec une chaîne, lorsque la nature de leur travail le permettra.
Les femmes et les filles condamnées aux travaux forcés n'y seront employées que dans l'intérieur d'une maison de force.
La condamnation aux travaux forcés à temps sera prononcée pour cinq ans au moins, et vingt ans au plus. Elle entraînera dégradation civique.
Quiconque aura été condamné à la peine des travaux forcés à perpétuité sera flétri sur la place publique par l'application d'une empreinte avec un fer brûlant sur l'épaule droite. Les autres condamnés ne subiront la flétrissure que dans les cas où la loi l'aurait attaché à la peine qui leur est infligée. Cette lettre sera le T.P. pour les coupables condamnés aux travaux forcés à perpétuité ; de la lettre T. pour les coupables condamnés aux travaux forcés à temps, lorsqu'ils devront être flétris. La lettre F. sera ajoutés dans l'empreinte si le coupable est un faussaire.
Les condamnations aux travaux forcés à perpétuité emporteront mort civile.
Le condamné, avant de subir sa peine, sera attaché au carcan sur la place publique : il y demeurera exposé aux regards du peuple durant une heure ; au-dessus de sa tête sera porté un écriteau portant, en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation.

Déportation / La peine de déportation consistera à être transporté et à demeurer à perpétuité dans un lieu déterminé par le gouvernement, hors du territoire continental de l'Empire.
Les condamnations à la déportation emporteront mort civile.

Bannissement / Quiconque aura été condamné au bannissement sera transporté hors du territoire de  l'Empire. La durée du bannissement sera au moins de cinq années et de six ans au plus.Il entraînera dégradation civique.

Réclusion / Tout individu condamné à la peine de réclusion sera enfermé dans une maison de force et employé à des travaux dont le produit pourra être en partie appliqué à son profit. La durée de la peine sera au moins de cinq ans et de dix ans au plus. Elle entraînera dégradation civique.
Le condamné, avant de subir sa peine, sera attaché au carcan sur la place publique : il y demeurera exposé aux regards du peuple durant une heure ; au-dessus de sa tête sera porté un écriteau portant, en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation.

Dégradation civique / La dégradation civique consiste dans la destitution et l'exclusion du condamné de toutes fonctions ou emplois publics et dans la privation des droits d'être juré, ni expert, ni employé comme témoin dans les actes, ni déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements, d'assurer une tutelle ou une curratelle sauf si ce n'est de ses enfants et sur l'avis seulement de sa famille, de porter des armes et de servir dans les armées de l'Empire.

Confiscation générale / La confiscation générale est l'attribution des biens du condamné au domaine de l'État. Elle ne sera la suite nécessaire d'aucune condamnation ; elle n'aura lieu que dans les cas où la loi la prononce expressément. L'Empereur pourra disposer des biens confisqués en faveur soit des père, mère ou autres ascendants, soit de la veuve, soit des enfants ou autres descendants légitimes, soit des autres parents du condamné.

Encadré 3 : Condamnations à mort en France et en Angleterre

Nombre total de condamnations pour crimes
1813
France : 5343 /Angleterre : 4422
1814
France : 3402 / Angleterre : 4025
1815
France : 4376 / Angleterre  : 4883 
1816
France : 6807 / Angleterre : 5797

Condamnations à mort
1813
France : 307 /Angleterre : 713
1814
France : 183 / Angleterre : 558
1815
France : 256 / Angleterre  : 553
1816
France : 414 / Angleterre : 890

Pourcentage des condamnations à mort
1813
France : 5,7 % /Angleterre : 16,1 %
1814
France : 5,3 % / Angleterre : 13,9 %
1815
France : 5,8 % / Angleterre  : 11,3 %
1816
France : 6,1 % / Angleterre : 15,3 %

Source : Edimburgh Review en août 1820, sur le site www.napoleon-series.org.

Extraits de : Lentz (Thierry), Nouvelle histoire du Premier Empire.III. La France et l'Europe de Napoléon, Fayard, 2008, avec l'aimable autoristation des éditions Fayard.
 
Les sous-titres de cet article ont été ajoutés pour faciliter la lecture sur le site. 
 
 
Consultez le texte intégral du code de 1810.


Notes

[1] En l'absence d'une grande étude sur le Code pénal de 1810, voir notamment P. Lascoumes, P. Poncela et P. Lenoël, Au nom de l'ordre. Une histoire politique du Code pénal, 1989 ; J.-M. Carbasse, « Code pénal », Dictionnaire de culture juridique, p. 210-216, et « État autoritaire et justice répressive. L'évolution de la législation pénale de 1789 au Code pénal de 1810 », All'ombra dell'aquila imperiale. Trasformazioni e continuità istituzionali nei territori sabaudi in età napoleonica, Rome, 1994, p. 313-333 ; A. Damien, « Code pénal », Dictionnaire Napoléon, t. I, p. 454-455 ; J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l'Empire, p. 634-636.
[2] A. Corbin, « Douleurs, souffrances et misères du corps », Histoire du corps. 2. De la Révolution à la Grande Guerre, 2005, p. 229. La marque fut définitivement supprimée en 1832.
[3] Voir C. Le Roux, Le code pénal de 1810 et ses applications jurisprudentielles par la Cour de Cassation, de 1811 à 1824, DEA droit, Rennes I, 1997 (dactylographié).
[4] A. Damien, « Code pénal », Dictionnaire Napoléon, 1999, t. I, p. 455.
[5] R. Allen, Les tribunaux criminels sous la Révolution et l'Empire. 1792-1811, Rennes, 2005, p. 60. L'auteur a travaillé sur un échantillon de 20 000 affaires environ, dans seize départements.
[6] Bulletin de police, 4 juillet 1809.
[7] Bulletin police, 1er juillet 1807.
[8] Bulletins de police des 6 octobre 1807 et 20 avril 1810.
[9] I. Woloch, The New Regime : Transformations of the French Civic Order. 1789-1820, New York, 1994, p. 369.
[10] T. A. Blayney, Relation d'un voyage forcé en Espagne et en France dans les années 1810 à 1814, 1815, t. I, p. 5-6.
[11] Chiffres d'A. Soboul, La civilisation de la France napoléonienne, p. 61. Voir aussi Marcel Le Clère, « Prisons et bagnes en France du Directoire aux Cent-Jours », Revue de l'Institut Napoléon, 1974, n° 130, p. 33-43.
[12] A. Palluel-Guillard, « Les événements en France », Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire, 1995, p. 321.
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