Le lieutenant-colonel Du Pin pendant la campagne de Chine

Auteur(s) : MIGNARD Gérard
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Introduction

Lorsqu'il fut demandé des volontaires pour l'expédition de Chine, chez les soldats, l'élan fut immense mais fort restreint chez les officiers supérieurs. Il fallut des avantages fort intéressants, tel qu'un supplément de solde de 12 F par jour, pouvant être doublé, et accompagné de la promesse d'un congé d'une année, dès le retour. De plus, une large part dans les prises de guerre pourrait être accordée.

Ce fut un cavalier d'Afrique qui fut choisi, à la surprise générale, pour commander les 7 480 soldats, en majorité d'infanterie : le général Cousin de Montauban. Le 5 décembre 1859, la flotte quitte Toulon. Le lieutenant-colonel Du Pin, à la recherche d'aventures nouvelles, bien rétribuées, embarque le 11 décembre sur le Duperré.

En Chine les Français rejoignent les 7 800 Anglais, accompagnés de 4 900 soldats indiens sous les ordres du général sir Hope Grant, aussi splendide officier qu'excentrique ; il ne se déplace jamais, en campagne, sans son violoncelle. Un de ses adjoints deviendra l'un des plus célèbres généraux anglais : sir Wolseley.
Ne se satisfaisant pas de ses fonctions d'ingénieur
 topographique (ses remarquables croquis de la prise de la Smala d'Abd El-Kader avaient déjà aidé Horace Vernet pour la réalisation de son célèbre tableau où il figure d'ailleurs en glorieuse position), Du Pin s'arrange pour participer aux reconnaissances des zones de débarquement possibles. Il prend d'énormes risques, s'aventurant en terre ennemie ; il s'en faut de peu qu'il ne soit capturé par des cavaliers tartares. Deux semaines plus tard, il est volontaire pour une nouvelle mission périlleuse : la prise du fort du Pe-Tang. Sur ses conseils, le 2e bataillon de chasseurs à pieds s'empare des redoutes. Une citation lui est accordée le 21 août 1860.

C'est une guerre d'un autre siècle ; les échelles sont dressées contre les remparts, les Chinois tirent avec des arbalètes et des fusils à pierre. Le clairon sonne la charge… : « Le lieutenant-colonel et deux sapeurs, restés debout par miracle, bondirent comme des lions sur les Tartares, et, renversant à coups de baïonnettes et de revolvers tout ce qui était devant eux, s'ouvrirent un sanglant passage ».

La route de la capitale Pékin est ouverte, en dépit d'une rivalité franco-britannique frisant la caricature. Les Anglais qui avaient la plus importante armée, considéraient les Français plus comme des gêneurs que des alliés. À chaque combat gagné, les Français s'arrangeaient pour que les drapeaux tricolores flottent toujours sur un mât plus élevé que celui des Anglais, à la grande fureur de ceux-ci. Écoutons Du Pin relater un tel incident, à sa gloire : « Lors de la prise d'une redoute, avec une rare présence d'esprit il [Du Pin] pria l'officier anglais de passer le premier ; ce que fit le colonel Folley, qui, en loyal soldat, tendit la main au représentant de notre armée et le pria, à son tour, de passer de front avec lui… Ces deux hommes de coeur et de tact terminèrent ainsi le conflit qui, aux dires de beaucoup, menaçait de brouiller les deux armées ».

Le sac du Palais d’Été

Arrivés devant Pékin, les alliés découvrent les fabuleuses richesses du Palais impérial. Elles vont très vite faire perdre la tête à tous.

De par ses fonctions, Du Pin est l'un des premiers à visiter ce Versailles chinois, qu'il décrit ainsi : « Avant de commencer la visite, Montauban déclara qu'il comptait sur l'honneur de ses officiers pour respecter et faire respecter le palais… Dans la première salle de marbre blanc, se trouvait un tronc en bois précieux noir, d'un travail merveilleux… tout autour, c'était une profusion de vases sculptés, tous d'une extraordinaire beauté, livres écrits à la main, reliés en laque rouge, enfermés dans des écrins en or…

Derrière, se trouvait une seconde salle regorgeant de pierres précieuses, d'armes richement damasquinées, de coupes en jade vert et blanc, des chasses incrustées de turquoises… les yeux en étaient éblouis et les désirs comme saturés… Une troisième salle offrait une vision des Mille et une nuits… aucune imagination en délire ne saurait la décrire… Tout se passait selon les ordres de Montauban, lorsque les officiers anglais, ne pouvant plus se contenir, commencèrent à opérer sans façon ce qu'on appela plus tard un déménagement… on sentait que ces richesses étaient le prix du sang, le fruit de la conquête, qu'à notre place, les Anglais n'apporteraient pas tant de délicatesses… chacun trouva au fond de sa conscience un droit indiscutable de propriété ». Le sac du Palais d'Été va jeter le discrédit sur l'armée française ; bien qu'en fait les Anglais et les pillards chinois se soient appropriés une très grande part du butin. Ce fut un scandale politique en France et une cause de déchirement au sein des militaires, par suite des abus de certains, et cela en dépit du succès de la campagne.

Du Pin, qui ne connaît pas la mesure, va se retrouver au coeur de la tempête. Ce simple extrait d'un article du polémiste Horace de Viel Castel, donne une idée du climat détestable : « Le Palikao [titre de Montauban] a été le pillard le plus effronté de l'armée de Chine. Il est revenu, précédé de 200 grandes caisses, contenant les produits de sa razzia ».
Si, militairement, le courage de Du Pin n'est pas contesté, il en va autrement pour sa personnalité.

Montauban note au retour de Chine : « Le colonel Du Pin possède des qualités de hardiesse et d'initiatives mais il a des défauts qui les ternissent… Le caractère de cet officier supérieur n'est pas bon ; il parle mal de ses chefs et ne peut guère vivre avec ses camarades ; il a une ambition démesurée qui l'engage dans des démarches inconsidérées… on serait satisfait de faire son éloge s'il ne s'acquittait aussi bien de le faire lui-même ».

Bref, il s'est rendu si « impossible » que l'amiral Charner refuse de le prendre comme chef d'état-major du corps expéditionnaire en Indochine. Son goût pour l'exotisme est cependant satisfait car il est envoyé pour six mois au Japon afin de dresser des cartes de ce pays qui s'ouvre, avec méfiance, aux Européens. Il publiera un passionnant ouvrage en 1868 relatant ses pérégrinations au Pays du Soleil Levant, car l'homme est fin
lettré.

L’après Chine

Fin 1861, le voilà de nouveau à Paris avec une affectation au dépôt de la guerre, en charge de la rédaction de cartes qu'il a dressées en Chine et au Japon, ce en quoi il excelle.
« Le Musée de Monsieur le colonel Du Pin »

Malheureusement, les séjours en métropole sont néfastes à notre homme. Sa folle passion du jeu continue et les besoins d'argent se font pressants. Une solution lui apparaît, avec un double objectif : gagner de l'argent en soignant sa propre renommée et régler ses comptes avec Montauban et quelques autres. Sous le pseudonyme de Paul Varin, il publie un important ouvrage sur la Campagne de Chine (avec quatre cartes qui auraient dû rester secrètes) en 1862. C'est un autopanégyrique de Du Pin qui y est présent, quasiment toutes les deux pages.

Trop c'est trop ! Un rapport confidentiel du maréchal Randon, ministre de la Guerre, destiné à Napoléon III, va briser momentanément sa carrière. Reproche lui est fait d'avoir rédigé un livre « où l'on trouve un éloge exagéré de ses actions, fondé sur des circonstances imaginaires et qui contient des renseignements et des plans secrets, pour cela, il a gravement manqué aux devoirs de réserve imposés, surtout à un officier d'état-major ».
Mais le pire survient le jour de son départ pour sa nouvelle affectation à Lyon, au 4e corps d'armée. Des journaux, dont Le Moniteur du 11 février 1862, annoncent la vente aux enchères publiques (qui dureront quatre jours, tant le nombre d'objets à vendre est important) à l'Hôtel Drouot, « d'objets d'art provenant en partie du Palais d'Été, composant le Musée de Monsieur le colonel Du Pin ». Quelle inconscience ! Parmi ces trésors, il y a une pièce unique : un album peint sur soie représentant 40 vues du Palais impérial détruit par les Anglais.

Le maréchal Niel avertit Randon « de l'effet déplorable qu'une telle vente peut avoir sur l'opinion publique ». Un épais dossier est adressé à Napoléon III, en personne : « Il ne faut pas qu'on puisse penser, en Europe, que des vues intéressées et des calculs de lucre entrent dans l'ardeur qui motive les officiers de l'armée française… Un officier ne doit pas s'approprier les objets de valeur, les rapporter sur un bâtiment de l'État et en tirer profit… Je vous prie donc, Majesté, de décider de la sanction ». De sa main, Napoléon III écrit en bas du dossier : « en retrait d'emploi ».

Cette sanction apparaît surtout comme symbolique ; elle ne durera que six mois car, une nouvelle campagne lointaine commençant au Mexique, Du Pin obtient, sur décision ministérielle du 15 août 1862, d'être chargé de l'organisation de l'armée impériale. Une nouvelle aventure, très controversée, débute alors pour lui, la célèbre contre-guérilla.

À consulter > notre dossier thématique consacré à l’expédition de Chine de 1860

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
439
Numéro de page :
57-58 puis 95
Mois de publication :
Février-mars
Année de publication :
2002
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