Témoignages sur l’entrée de Napoléon à Berlin

Auteur(s) : PAPOT Emmanuelle
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Témoignages sur l’entrée de Napoléon à Berlin
Entrée de Napoléon à Berlin © Fondation Napoléon

Introduction

Quinze jours à peine après les brillantes victoires d'Auerstedt et Iéna remportées sur les troupes prussiennes, Napoléon fait une entrée solennelle à Berlin. Ce 27 octobre 1806, le soleil brille sur la capitale. Entouré de ses troupes Napoléon se rend maître de la ville. Si les rapports officiels font état d'une liesse populaire, les témoignages de ceux qui y étaient sont tout autres…

Les rapports officiels :

Le Bulletin de la Grande armée : 21e Bulletin, 28 octobre 1806

Berlin : « L'Empereur a fait, hier 27, une  entrée solennelle à Berlin. Il était environné du prince de Neufchatel, des maréchaux Davoust et Augereau, de son grand maréchal du Palais, de son grand-écuyer et de ses aides-de-camp. Le maréchal Lefebvre ouvrait la marche à la tête de la garde impériale à pied ; les cuirassiers de la division Nansouty étaient en bataille sur le chemin. L'empereur marchait entre les grenadiers et les chasseurs à cheval de sa garde. Il est descendu au Palais, à trois heures après-midi ; il a été reçu par le grand maréchal du palais, Duroc. Une foule immense était accourue sur son passage, l'avenue de Charlottembourg à Berlin est très belle ; l'entrée par cette porte est magnifique. La journée était superbe. Tout le corps de la ville, présenté par le général Hullin, commandant de la place, est venu à la porte offrir les clés de la ville à l'Empereur. Ce corps s'est rendu ensuite chez S.M. Le général prince d'Hatzfeld était à la tête… »
 
Bulletins de la Grande armée, Prieur Dumaine, pp.399-400, t3, 1844.
 
Le Moniteur
« Berlin, 27 octobre 1806. S.M. l'Empereur des Français et roi d'Italie a fait son entrée dans cette capitale aujourd'hui, à trois heures après-midi, par le plus beau temps du monde. L'Empereur était précédé de sa garde à pied et à cheval, et suivi d'un superbe régiment de cuirassiers. Tous les habitants s'étaient portés au-devant de Sa Majesté ; on ne voyait que chapeaux agités en l'air ; on n'entendait que les cris de Vive l'Empereur ! Ce soir la ville entière est illuminée ; les rues sont remplies de monde. En vérité l'on croirait être en France, au milieu d'une solennité publique ».

Le Moniteur du 4 novembre 1806

Souvenirs de soldats français

Souvenirs du  commandant Parquin

« Le 25, nous arrivâmes sur les hauteurs de Berlin, ayant marché par étapes, sans rencontrer un tirailleur ennemi. Qu'était donc devenue cette belle armée prussienne qui nous attendait naguère si orgueilleusement sur le champ de bataille d'Iéna, et dont le plus médiocre officier se croyait un grand Frédéric ?
Elle était en partie détruite, et le reste cherchait refuge dans les forteresses prussiennes, qui ne devaient pas non plus tarder à tomber au pouvoir de l'armée française. […]
Notre brigade, qui marchait après le troisième corps entra à Berlin à deux heures après midi. C'était par un beau jour d'automne. La ville était belle, mais triste ; toutes les boutiques étaient fermées ; personne aux fenêtres, et peu de monde dans les rues ; aucun équipage ne circulait ; le seul bruit qu'on entendait dans les rues était produit par l'artillerie et les caissons de notre armée.
Nous ne fîmes que traverser la ville pour aller occuper plusieurs villages à quelques lieues au-delà de Berlin. L'infanterie de notre armée y logea. L'empereur, le quartier général, la garde impériale, cavalerie , infanterie et artillerie y arrivèrent le 27 ; le général Rapp fut nommé gouverneur de la ville.
Dans le village que nous occupions, les paysans avaient déserté leurs maisons. Nous y trouvâmes des fourrages en abondance : les récoltes venaient d'être faites. Mais les vivres, viande, pain, bière, etc., ainsi que l'avoine, devaient nous être fournis par la ville de Berlin.
Le lendemain de notre arrivée, la trompette sonna aux fourriers : c'était pour aller prendre à Berlin, pour quatre jours, les vivres qui nous manquaient. Après nous être munis de charrettes, nous partîmes donc, fourriers, hommes de corvée, tous sous les ordres de l'adjudant Mozère, et nous nous dirigeâmes sur Berlin. Lorsque notre régiment avait traversé la ville, nous l'avions trouvée peu bruyante et triste ; nous y trouvâmes, le lendemain une toute autre physionomie ; c'était absolument un petit Paris. Tout le monde y vaquait à ses affaires.. »
 
Souvenirs du  commandant Parquin, Bibliothèque napoléonienne, Tallandier, Paris, 1979 pp.82-83

Le capitaine Coignet
 
« Le 25 nous arrivâmes à Potsdam ; nous eûmes séjour le 26 et le 17 à Charlottenbourg, un beau palais du roi de Prusse qui face à berlin. Cet endroit est boisé. Jusqu'à la belle porte d'entrée de cette capitale […]. L'Empereur fit son entrée le 28, à la tête de vingt mille grenadiers et des beaux régiments de cuirassiers ; et toute notre belle garde à pied et à cheval. L'on peut dire que la tenue était aussi belle qu'aux Tuileries. L'Empereur au milieu de cette colonne de toutes les élites de la France, comme il était fier dans son modeste costume, avec son petit chapeau et sa petite cocarde d'un sou ! Mais il était là, et son Etat-major qui avait leur grand uniforme et qui entourait le grand homme. C'était curieux pour les étrangers de voir le plus mal habillé le maître d'une si belle armée. Le peuple était aux croisées comme les Parisiens le jour de notre arrivée d'Austerlitz ; c'était magnifique de voir un si beau peuple se porter en foule sur notre passage. On aurait dit des libérateurs tant le peuple nous suivait.
On nous forma en bataille devant ce beau palais qui est détaché devant et derrière par de belles places et un beau carré d'arbres où le grand Frédéric est sur un piédestal avec ses petites guêtres.
Nous fûmes logés chez les  habitants et nourris à leurs frais, et une bouteille de vin par jour. C'était terrible pour les bourgeois : le vin trois francs la bouteille. Ils nous prièrent : ne pouvant pas se procurer du vin, ils nous donneraient de la bière en cruchon. Et, à l'appel, tous les grenadiers en parlèrent à nos officiers qui nous prièrent de ne pas les contraindre à nous donner du vin, que la bière était excellente. […].
L'Empereur passa la revue de sa Garde devant le palais, du côté de la statue du grand Frédéric, du côté des belles plantations de beaux tilleuls […]. Nous étions en bataille devant le palais et l'Empereur arrive, fait croiser la baïonnette et fait porter les armes. Notre colonel qui répétait le commandement. L'Empereur commande : demi tour ! le colonel répète. Et l'Empereur commande : en avant ! pas accéléré, marche ! […]
Le corps du maréchal Davout fit son entrée dans Berlin le premier dans cette capitale, et marcha sur la frontière de Pologne pour se porter sur l'Elbe et l'Oder et marcher sur Posen. Nous apprîmes avant de partir de Berlin, que Magdebourg était rendue et on rapportait cinquante drapeaux…
 
Les cahiers du capitaine Coignet, Paris, Hachette, 1968, pp.126-128.

Un témoin inattendu : Stendhal

Opposant farouche à l'Empire dans ses jeunes années, Henri Beyle, dit Stendhal (1783-1842), se ralliera grâce à l'intervention de Daru, son protecteur qui lui fit obtenir les fonctions d'intendant des domaines de l'Empereur à Brunswick. Le 27 octobre 1806 il entre à Berlin à la suite de Napoléon.
 
« Je rends grâce à Dieu d'être entré sain et sauf, avec mes pistolets soigneusement chargés, à Berlin, le 27 octobre 1806. Napoléon prit, pour y entrer, le grand uniforme de général de division. C'est peut-être la seule fois que je lui ai vu. Il marchait à vingt pas en avant des soldats ; la foule silencieuse n'était qu'à deux pas de son cheval ; on pouvait lui tirer des coups de fusil de toutes les fenêtres. »
 
Stendhal, Correspondance, Gallimard, Paris, 1968.
 
 
« Dans tous les endroits qui ne sont pas pavés, on entre jusqu'à la cheville ; le sable rend déserts les environs de la ville ; ils ne produisent que des arbres et quelque gazon.
Je ne sais pas qui a donné l'idée de planter une ville au milieu de ce sable ; cette ville aurait cent cinquante-neuf mille habitants, à ce que l'on dit. »
 
Stendhal, Correspondance, Le divan, 1933. Extrait d'une lettre du 3 novembre 1806 à sa soeur Pauline.


L’arrivée des troupes napoléoniennes vue par un Prussien

« Le premier fantassin entra ; c'était un homme grand et  maigre avec un visage pâle, couvert d'une chevelure noire en broussaille […] Nous fûmes étonnés de son équipage : une capote courte couvrait son corps ; sur sa tête un petit chapeau tout décati, d'une forme indescriptible, mais ajusté si crânement et insolemment que cette tête et ce chapeau étaient pour nous un extraordinaire sujet d'étonnement. Les pantalons étaient de toile sale et très déchirée ; les pieds nus dans des souliers troués ; un caniche hirsute fixait attentivement sa bouche avec laquelle il arrachait de gros morceaux de pains qu'il lui jetait. Qu'on s'imagine ! Un soldat avec un chien en laisse et avec un demi-pain enfilé sur sa baïonnette ; à son briquet pendait une oie et sur le chapeau, au lieu de l'enseigne, brillait une cuillère étamée. »
 
George, Erinnerungen eines Preussen aus der Napoleonischen Zeit, Grima 1840.

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