Pages napoléoniennes : Les Mémoires de Robert Guillemard, sergent en retraite (Paris : Delaforest, 1826). Quand le meurtrier de Nelson et le témoin de la mort de Villeneuve se révèle être un personnage fictif

Auteur(s) : LHEUREUX-PRÉVOT Chantal
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Pages napoléoniennes : <i>Les Mémoires de Robert Guillemard, sergent en retraite</i> (Paris : Delaforest, 1826). Quand le meurtrier de Nelson et le témoin de la mort de Villeneuve se révèle être un personnage fictif
Page de titre, 1826

Histoire d’une supercherie littéraire

En 1826, parait dans une librairie parisienne, un des tous premiers recueils de souvenirs militaires sur le Premier Empire, Les mémoires de Robert Guillemard, sergent en retraite.

Fils d'un notaire de Six-fours, conscrit de 1805, Guillemard raconte les épisodes les plus fameux de sa vie riche d'aventures : embarqué sur le Redoutable lors de la bataille de Trafalgar, il fait feu sur les officiers anglais du Victory depuis la hune et blesse mortellement Nelson ; devenu domestique de l'amiral Villeneuve, il est témoin de son assassinat [?!] ; il connaît ensuite une succession de campagnes et d'évasion, l'Espagne et Cabrera, la Russie et la Sibérie, assiste à l'exécution de Murat à Naples, part de nouveau en Espagne en 1823, avant de prendre une retraite qu'on peut juger bien méritée.
 
Ces mémoires connaissent immédiatement un grand succès aussi bien en France qu'en Angleterre ou en Allemagne (introduit et commenté par Goethe lui-même), mais suscitent également beaucoup d'interrogations et de scepticisme.
Les Anglais n'ont jamais cru à ce récit, ayant leurs propres candidats auréolés du titre de « vengeurs nationaux », qui assurent avoir décimé tous les Français perchés dans le mât de misaine du Redoutable. 

Les Français se montrent surtout intéressés par la mort de Villeneuve, car les rumeurs courent sur un faux suicide, commandité dit-on par Napoléon lui-même … Malheureusement, l'histoire racontée par Guillemard présente tellement d'erreurs et d'inexactitudes que la supercherie est révélée dès 1828 dans les Annales maritimes et coloniales. D'autant qu'il est impossible de rencontrer le sergent en retraite, personne ne l'a jamais vu !

La mort de Nelson (H. Vernet, 1840)Le dénouement final a lieu en 1830, toujours dans les colonnes des Annales maritimes et coloniales, quand un certain Lardier, ancien agent comptable de la Marine, certainement effrayé par l'impact de ses faux mémoires, avoue que  » Guillemard n'est qu'un personnage d'imagination, et ses prétendus mémoires, un roman historique ».

Les bibliographes pensent qu'Alexandre Lardier, lui aussi fils de notaire près de Six-Fours, marin sous l'Empire et donc bon connaisseur du monde de la Marine, se fit aider ou aida un avocat, Charles-Ogé Barbaroux, un Provençal lui-aussi, que la Restauration avait réduit aux travaux d'écriture pour vivre.
 
Mais l'histoire est trop belle et encore de nos jours, on peut lire des articles et des livres qui citent Guillemard comme l'auteur du coup de feu mortel qui mit fin à la carrière de l'amiral Nelson. Une avenue à Six-Fours, une place à Toulon et une rue à Paris perpétuent ce nom de pure imagination, mais qui aurait sauvé un peu d'honneur national un certain 21 octobre 1805.

 

Pour en savoir plus sur cette rubrique Pages napoléoniennes, contactez Chantal Lheureux-Prévot, responsable de la Bibliothèque M. Lapeyre – Fondation Napoléon.


Bibliographie

Édition originale et unique
Guillemard (Robert), Mémoires de Robert Guillemard, sergent en retraite ; suivis de documens historiques, la plupart inédits, de 1805 à 1823. – Paris : Delaforest ; Mons : M.J. Leroux, 1826. 2 vol.
(Réédition en 1827)
 
Traduction anglaise
Guillemard (Robert), Adventures of a French serjeant during his campaigns in Italy, Spain, Germany, Russia, from 1805 to 1823, written by himself, London, H. Colburn, 1826. xvi-345 p.
(Réédition en 1898, par Hutchinson and Co (London))
 
Traduction allemande
Guillemard (Robert), Memoiren Robert Guillemard's verabschiedeten Sergenten. Begleitet mit historischen, meisten Theils ungedruckten Belegen von 1805 bis 1823. Aus dem französischen. Eingeführt und eingeleitet von Goethe. Erster und zweiter Teil, Leipzig, Weygand'she Buchhandlung, 1827. 2 vol.

Doutes et révélations 1828-1830
Hennequin, « Notice historique sur le vice-amiral Villeneuve », Annales maritimes et coloniales, 1828, 2e partie, tome 2, p. 93
 
« Lettre de l'auteur des Mémoires du sergent Robert Guillemard, publiés en 1826 et 1827, qui déclare que tout ce qu'il a raconté sur la port du vice-amiral Villeneuve est une fiction, et que Guillemard est un personnage imaginaire », Annales maritimes et coloniales, 1830, 2ème partie, tome 2, p. 185-187
 
Articles
« John Pollard, Nelson's avenger », Nelson Dispatch, 2000/10, vol. 7, part. 4, p. 258-262
 
Lachèze (Henri), Leclère (Yves G.), « Robert Guillemard a-t-il tué Nelson ? », La Revue maritime, juillet 2002, n° 462, p. 56-61
 
Mills (Doug), « The death of Villeneuve from Doug Mills, Castlemaine, Australia », Nelson Dispatch,  2002/10, vol. 7, part. 12, p. 851-854
 
Rose (R.), « Who shot Nelson ? Who killed Robert Guillemard ? », The Mariner's Mirror, May 2004, vol. 90, n° 2, p. 1-2

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