Les aménagements du Palais de Compiègne sous le Premier Empire

Auteur(s) : DUMONT Jean
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Lorsqu'éclate la Révolution, le château de Compiègne, voulu et commencé par Louis XV pour remplacer la demeure assez hétéroclite réalisée au gré des circonstances par ses prédécesseurs, continué par Louis XVI, est enfin complètement terminé et meublé. C'est une vaste demeure dont les plans ont été établis par JacquesAnge Gabriel en 1751 et qui trouve donc son aboutissement quarante ans plus tard.
Ses dispositions sont commodes, sa composition reprend celles que la tradition a imposé à Versailles pour le cérémonial de la Cour, et rien d'essentiel n'a été changé aux plans établis par Gabriel et scrupuleusement réalisés par son successeur Le Dreux de la Chatre.
Mais ce beau château tout neuf ne va pas servir ; Louis XVI et Marie-Antoinette qui s'étaient cependant beaucoup intéressés à sa réalisation, discutant et mettant au point jusqu'aux détails de certaines parties de leurs appartements ou de celui des enfants de France, n'y viendront pas.
La Révolution ne va cependant pas y porter atteinte gravement ; certes tous les meubles seront vendus, les insignes royaux supprimés, mais aucune dégradation importante ne viendra l'altérer.
C'est vers l'an VI que les choses vont commencer à se gâter ; on y loge des soldats, des blessés, des prisonniers ; puis, en 1800, le château est affecté à la 4e section du Prytanée Militaire, qui devait devenir en 1803 l'Ecole des Arts et Métiers pour être transférée, en 1806 à Châlons-sur-Marne.
C'est qu'à cette époque Napoléon qui n'avait fait que trois courtes apparitions à Compiègne pendant le Consulat et au tout début de l'Empire, commence à faire du château une de ses résidences impériales.
Sur l'instance de Joséphine, dont c'était le protégé, il charge l'architecte Berthault des travaux de restauration et d'aménagement. Malheureusement, le plan que celui-ci présente à l'Empereur le 22 octobre 1807 ne rencontre pas son approbation, et il charge Fontaine de réétudier sa distribution ; quelques jours plus tard le nouveau plan est accepté en même temps que Fontaine est chargé de l'inspection générale des bâtiments impériaux, fonction qu'il conservera jusqu'en 1848.
Berthault, toujours défendu par l'Impératrice. va être chargé de la conduite des travaux qui vont nécessiter des crédits importants et vont être menés activement pendant les trois ans qui précéderont le second mariage de Napoléon.
La richesse des décors intérieurs va être encore accrue lorsqu'il décide d'y accueillir l'archiduchesse Marie-Louise, comme y avait été accueillie MarieAntoinette par le Dauphin, futur Louis XVI, quarante années auparavant.
Nous allons maintenant examiner les travaux réalisés pendant ces quelques années pour rendre tout son lustre à l'ancien domaine royal.

Aménagement des alentours

Tout d'abord les extérieurs.
Dessiné par Jacques-Ange Gabriel, suivant les canons du jardin à la française, le Petit Pare du château de Compiègne comprenait à l'origine un vaste parterre de broderies disposé au pied de la terrasse bordant la longue façade du château.
Bien que le plan de Gabriel le mentionne, il est à peu près certain que le monumental emmarchement reliant cette terrasse au parterre n'a jamais été réalisé, et que seuls furent construits à cette époque, les deux escaliers latéraux subsistants.
Un dessin aquarellé de Tavernier de Jonquières, pouvant être daté des toutes dernières années de la royauté, atteste cette hypothèse.
De chaque côté du parterre se développait un quinconce de tilleuls taillés, agrémentés de chambres de verdure, dont les alignements actuels évoquent le souvenir ; bordant ces quinconces, de robustes murs de soutènement complétés d'un fossé, toujours visibles, limitaient latéralement et frontalement le Petit Parc ; au-delà s'étendait le Grand Parc, c'est-à-dire la forêt et ses allées rayonnantes.
Cette organisation, très simple et très monumentale mettait pleinement en valeur la façade sur le Parc du Château qui s'étendait, entièrement visible depuis le parterre, sur 200 m de long, affirmant son horizontalité et celle du mur de soutènement de la terrasse sur laquelle il s'appuyait.

Ce grand parti, très « français » et encore très proche de la tradition de Versailles. va être sensiblement modifié par Berthault qui créera en 1810 une rampe reliant le niveau de la terrasse à celui du parterre, afin de permettre aux voitures et aux chevaux d'accéder à cette terrasse et donc de plain-pied avec les grands appartements qui se développent à ce niveau.
Berthault modifie aussi le tracé du Petit Parc, supprime les broderies et y introduit, par des plantations d'arbres à grand développement, le charme romantique mais déplacé d'un jardin à l'anglaise, en respectant toutefois les quinconces latéraux.
Une tente de coutil rayé bleu et blanc, s'étend le long de la façade sur la terrasse, des lampadaires l'éclairent, un berceau de treillage et de verdure court du Château au Grand Parc, et c'est sous son couvert qu'au grand galop, les équipages partent pour la chasse.
Pour rappeler à la nouvelle Impératrice la percée de Schönbrunn, on ouvre, axée sur le Château, une large trouée dans les arbres de la colline des Beaux-Monts et l'on édifie à l'extrémité de chacun des quinconces un petit kiosque d'architecture très classique, coiffé d'ardoises et dont le plafond à caissons sera enrichi de motifs peints.
Nous pouvons regretter le tracé primitif, plus en harmonie avec le classicisme de la façade, mais il faut croire que tout le XIXe siècle continuera à préférer les souplesses des jardins « anglo-chinois » à la régularité des jardins français, puisqu'en 1862 encore, Pelassy de l'Ousle. auteur de « L'Histoire du Palais de Compiègne » saluait « L'architecte Berthault, qui en fit le dessin et lui donna cette forme gracieuse et variée que l'on admire encore ».
Permettons-nous de ne pas être tout à fait de son avis !
Complémentairement à cet aménagement des jardins, on va se préoccuper de résoudre le problème déjà rencontré sous Louis XV, d'amener l'eau nécessaire à leur entretien.
A la pompe mue par les aubes de deux péniches amarrées dans le courant de l'Oise. d'un rendement incertain, on va substituer une « pompe à feu », c'està-dire une pompe à vapeur, dont le mécanisme à rouage en bois et le bâtiment qui l'abrite le long de la rivière, subsistent encore à l'heure actuelle.
On se préoccupa également de la place qui précédait la cour d'honneur ; le projet d'avant-cour qui n'avait été qu'ébauché dans les dernières années du règne de Louis XVI, fut abandonné et remplacé par celui d'une place d'armes entourée d'arbres, fermée par une grille. et ornée d'une fontaine en son milieu ; mais seuls les arbres furent plantés et c'est cet état qui s'est perpétué jusqu'à nos jours.

Travaux intérieurs

A l'intérieur, les travaux vont, dans leurs grandes lignes, avoir pour but d'installer l'appartement de l'Empereur dans la partie gauche de l'avant-corps sur le Parc, et ceux de l'Impératrice dans l'aile gauche le prolongeant, les anciens appartements de Marie-Antoinette situés dans l'aile droite étant respectés.
Quels vont donc être ces travaux ?
Tout d'abord le grand degré du Roi, dont Louis XVI lui-même avait déclaré qu'il n'était pas satisfaisant, va avoir sa cage surélevée par suppression de l'entresol le surmontant. et un décor en trompe-l'oeil, peint par Dubois et Redoute que nous retrouverons souvent dans d'autres pièces du Palais, va en orner la voussure et le plafond.
La salle des Gardes, devenue Galerie des Ministres, va s'orner d'une pendule, entourée d'un autre décor en trompe-l'oeil, récemment retrouvé et restauré.
L'antichambre commune au Roi et à la Reine, devenue Salon des Huissiers va être simplement repeinte, ainsi que le couloir menant à l'appartement de la Reine, qui va recevoir un décor de faux-granit bleu.
Ce sont ces états restitués qui sont aujourd'hui visibles.
La salle des Gardes de la Reine, transformée en antichambre va être agrandie et peinte dans un décor de faux marbre blanc, également retrouvé et restauré il y a quelques années.
L'antichambre des Nobles chez la Reine et son Salon des jeux, devenant le 1er et le 2e salons du Roi de Rome, ne subissent pas de modifications.
L'antichambre du Grand Couvert sera convertie en salle à manger de l'Empereur et son architecture, purement Louis XVI, respectée, sera repeinte dans un décor de faux-marbre et de faux-onyx.
Peu de changements dans l'antichambre des Nobles chez le Roi dénommé aussi « OEil de Boeuf » par tradition versaillaise et convertie en salon des Grands Officiers, pas plus que dans la chambre du Roi devenue salle du Trône, et dans le Cabinet du Conseil dénommé Grand Cabinet de l'Empereur, tendu de tapisseries des Gobelins.
Mais à partir de là, le talent de Percier et Fontaine qui dessinent le décor mural et le mobilier, celui de Jacob Desmalter qui l'exécute, celui de Girodet qui peint les plafonds, l'habilité de Darrac qui réalise la tapisserie à partir des somptueux damas tissés à Lyon par Pernon et brodés à Paris, à partir de là donc, tous ces talents font des merveilles.

Ils réalisent l'ensemble le plus complet et le plus homogène de décor Empire qui existe, avec lequel seul, celui de l'Hôtel de Beauharnais, peut rivaliser.
C'est la Chambre de l'Empereur, ancien cabinet de la poudre, toute tendue de damas nacarat rebrodé d'or, la Bibliothèque somptueusement habillée par Jacob Desmalter de rayonnages « en bois français imitant l'acajou » rehaussés de sculptures dorées, le salon de Déjeun, actuellement en cours de restauration, la chambre à coucher de l'Impératrice avec son magnifique lit en bois doré, son ciel de lit d'où s'échappent des rideaux ornés de galons et de franges d'or, soutenues par deux statues implorantes, son boudoir-salle de bains tendu de taffetas blanc plissé, ses salons très richement décorés également.
Enfin, la Galerie de Bal, édifiée à l'emplacement de l'ancien appartement du comte et de la comtesse d'Artois va couronner dignement cet ensemble.
Tout cela va coûter cher, et Napoléon, à Sainte-Hélène, jugera absurdes les crédits qui y furent engagés.
Mais c'est sans doute la faiblesse et l'honneur des grands hommes que de vouloir commémorer et perpétuer l'éclat de leur règne dans ce qu'il y a d'humainement de moins périssable, c'est-à-dire. dans les monu. ments, et les dépenses qu'ils firent, nous apparaissent maintenant bien peu de choses au regard du merveilleux témoignage d'un instant de notre civilisation qu'ils ont laissé.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
300
Numéro de page :
4-6
Mois de publication :
07
Année de publication :
1978
Année début :
1807
Année fin :
1810
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