Les guerres napoléoniennes du Consulat et de l’Empire : la France face aux coalitions européennes

Auteur(s) : PINON Victor
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Les guerres napoléoniennes constituent un épisode mémorable de notre histoire et attestent du génie militaire de Napoléon Ier. Elles sont parfaitement connues et ont fait l’objet de centaines -voire de milliers- d’études. En quinze ans, les soldats du Consulat et de l’Empire ont accompli des prouesses, parcourant l’Europe à pied, de Marengo à Waterloo, en passant par Vienne, Berlin, Madrid ou Moscou, face à des coalitions de plus en plus fortes organisées autour de l’Angleterre.
Résumé chronologique de la partie la plus brillante de cette épopée… puis de la plus sombre.

Les guerres napoléoniennes du Consulat et de l’Empire : la France face aux coalitions européennes
Bataille d'Austerlitz, 2 décembre 1805, par François Gérard, 1808
© RMN-GP (musée du château de Versailles) / DR

LE TEMPS DES VICTOIRES : 1800 – 1809

A son arrivée au pouvoir, Bonaparte proposa la paix aux adversaires de la France. Il fit connaître à Londres et à Vienne son désir de parvenir à un arrangement général. Ses offres furent repoussées. Pour les deux puissances européennes, il fallait continuer la guerre contre la Révolution incarnée par ce jeune homme considéré comme l’héritier de la croisade initiée par la Législative, amplifiée par la Convention et poursuivie par le Directoire. Six mois après le coup d’Etat, c’est Bonaparte qui passa à l’offensive. Moreau, son « rival républicain », devait attaquer sur le Rhin. Il s’était réservé l’Italie du nord. Sur ce terrain qu’il connaissait bien pour y avoir moissonné la gloire, en 1796, il lui fallait absolument l’emporter. Son pouvoir était encore fragile. Il avait assis son autorité en se débarrassant de ses alliés de Brumaire -tel Sieyès, envoyé méditer au Sénat- mais n’était pas incontesté en France. Les royalistes guettaient sa moindre faiblesse, tout comme les jacobins qui sentaient la Révolution leur échapper.
Comme à chaque campagne, Napoléon jouait gros jeu. Victorieux, il montrait -a posteriori- la légitimité de son coup d’Etat, dirigé contre un Directoire accusé, à tort ou à raison, d’avoir gâché ses succès précédents. Vaincu, il risquait de se voir reprocher à son tour l’échec militaire et de voir fragilisée sa position à l’intérieur, sans parler du danger d’invasion du territoire national, avec à la clef, la victoire de la contre-Révolution.

1 – Du miracle de Marengo à la paix d’Amiens

Au printemps 1800, la situation militaire en Italie était préoccupante : Masséna était bloqué dans Gênes et les Autrichiens s’activaient du côté de Nice. Entre le 15 et le 20 mai, empruntant le col du Grand Saint-Bernard, chemin escarpé, difficile et enneigé, Bonaparte parvint à placer son armée sur les arrières de l’ennemi qui ne l’attendait pas. Le 2 juin, il entra dans Milan. En deux semaines, son sort allait se jouer dans les environs de la grande cité lombarde. Le général autrichien Mélas, tout surpris d’être pris à revers, parvint à forcer Gênes à la reddition puis fit volte-face. La surprise du Grand Saint-Bernard avait fait long feu. Mais avant que les Autrichiens aient eu le temps de regrouper leurs forces, le Premier Consul décida d’aller à leur rencontre. Le 9 juin, Lannes remporta la victoire de Montebello contre les troupes ennemies libérées par la chute de Gênes.
Le 14 juin 1800, croyant avoir face à lui un simple détachement, Bonaparte engagea le combat aux environs du village de Marengo. Il disposait de faibles forces, ayant dispersé ses régiments pour rechercher l’armée de Mélas. Il l’avait à présent toute entière face à lui. Une bataille fort inégale commença. Partout, les Français, submergés par le nombre, durent battre en retraite. La Garde Consulaire résista héroïquement aux charges d’une cavalerie qu’on disait la meilleure du monde. Vers trois heures de l’après-midi, Mélas crut à sa victoire et Bonaparte à la fin de sa carrière. C’est alors qu’arrivèrent sur le théâtre de la bataille les troupes fraîches du général Desaix. La victoire française fut éclatante, à peine ternie par la mort de Desaix. Elle fut surtout miraculeuse, contrairement à ce qu’affirmèrent les bulletins de victoire rédigés par Berthier. Elle fut aussi insuffisante. Le succès décisif vint d’Allemagne. Moreau y remporta la bataille de Hohenlinden, le 3 décembre 1800. Des négociations s’engagèrent sans tarder avec l’Autriche, parachevées à Lunéville, le 9 février 1801. Seule l’Angleterre restait en lice. On parvint à la fin des hostilités avec elle un an plus tard, avec le traité d’Amiens, du 27 mars 1802. Pour la première fois depuis dix ans, la France était en paix. La popularité de Bonaparte était à son comble. Sa réussite aussi.
Mais la paix générale fut de courte durée. Le traité d’Amiens qui semblait équilibré contenait quelques articles secrets qui, par exemple, stipulaient que la France évacuerait tel territoire au moment où l’Angleterre évacuerait tel autre. On se chicana bientôt sur le respect ou le non respect de ces clauses. De plus, Londres et d’autres capitales ne manquaient pas de s’inquiéter devant la politique « impérialiste » de la France consulaire, en tout point semblable à celle du Directoire. Les territoires gagnés depuis 1792 étaient considérés comme annexés, on ne pouvait envisager de seulement négocier leur restitution. La politique coloniale française irritait au plus haut point les marchands anglais. Bientôt, le cabinet britannique ne fut plus seul. L’assassinat du tsar Paul 1er (24 mars 1801), trop francophile, avait amené sur le trône son fils Alexandre, moins favorable à la France et entouré de bellicistes. L’Autriche, de son côté, ne supportait pas d’avoir été exclue de l’Italie par la domination française. Petit à petit, une nouvelle coalition se nouait contre la France. Il ne manquait plus qu’un prétexte pour la concrétiser.
Sur le fond -et comme toujours en pareil cas-, il est difficile de dire qui rompit la paix d’Amiens. Formellement, l’Angleterre, par son refus d’évacuer Malte, donna un bon prétexte à la France pour accepter la lutte. Le 20 mai 1803, après à peine plus d’un an de paix, la guerre reprenait.

2 – Les plus belles campagnes

Pour l’heure, seule l’Angleterre était en guerre avec la France. Bonaparte décida donc qu’il fallait aller « chercher la paix à Londres ». On prépara une descente sur les îles britanniques. La Grande Armée -c’est ainsi qu’on commença à appeler officiellement l’armée française- prit ses quartiers au camp de Boulogne et se prépara à traverser la Manche, vieux projet français qui avait déjà été développé par le Directoire mais sans succès. Pour le réussir, il fallait être maître du détroit pendant plusieurs jours. La marine anglaise était puissante, mais le Premier Consul avait entraîné l’Espagne à ses côtés et la flotte combinée franco-espagnole était de taille à rivaliser avec les escadres ennemies. Sur ces entre-faits, la grande conspiration de l’an XII permit à Bonaparte de se coiffer de la couronne impériale. Le changement de régime l’obligea à retarder toujours davantage l’opération finale. L’année 1805 devait lui être consacrée. On fixa même une date : le débarquement devait avoir lieu entre le 8 et le 18 août.
Mais, au centre de l’Europe, le ressentiment montait contre le nouvel empereur. La transformation d’une partie du nord de l’Italie en royaume -dont il serait le monarque- acheva d’indisposer l’Autriche. Révoltée par l’exécution du duc d’Enghien et toujours prompte à suivre la politique du cabinet anglais -qui avait sans doute trempé dans l’assassinat de Paul 1er-, la Russie se joignit aux projets de troisième coalition. Le royaume de Naples, gouverné par un Bourbon de la branche espagnole, emboîta son pas. En août 1805, la coalition fut formée et Napoléon dut se résoudre à remettre son projet de descente en Angleterre.
La Bavière, alliée de la France, fut envahie par les Autrichiens, alors qu’une armée russe se mettait en marche vers l’ouest. Le 25 août 1805, l’Empereur donna l’ordre à la Grande Armée de quitter ses campements du nord-ouest de la France et de marcher vers le nouveau théâtre des opérations. En quelques semaines, la volte-face fut réalisée et « sept torrents » -c’est-à-dire autant de corps d’armée français- fondirent sur les troupes autrichiennes du général Mack, battu à Elchingen par Ney (14 octobre) puis contraint à la reddition à Ulm par Napoléon, cinq jours plus tard. A l’immense surprise de leurs ennemis, les Français aveint traversé la moitié de l’Europe à marches forcées, sans se faire remarquer, ou presque. Le 14 novembre 1805, la Grande Armée entra dans Vienne puis se porta sur la Moldavie où Napoléon voulait en finir avec le gros des troupes austro-russes. C’est à ce moment que l’on n’eut plus aucun regret d’avoir reporté sine die la descente en Angleterre, et pour cause : on apprit, en effet, que le 21 octobre, au large du cap Trafalgar, la flotte franco-espagnole de l’amiral Villeneuve avait été envoyée par le fond par l’escadre anglaise de l’amiral Nelson. Décidément, l’Angleterre restait bien la maîtresse des mers.
Sur terre, Napoléon, lui, demeurait imbattable. Le 2 décembre, jour anniversaire du Sacre et sur le terrain qu’il avait lui-même choisi, ce fut Austerlitz, la bataille des Trois Empereurs, lors de laquelle Napoléon, par une manœuvre fameuse, écrasa les Russes d’Alexandre 1er -et de Koutouzov- et les Autrichiens de François 1er. Triomphe de la tactique napoléonienne, Austerlitz -si elle fit proportionnellement moins de morts que les autres grandes batailles- consacra l’anéantissement moral et matériel des vaincus. Sans attendre, l’Autriche demanda un armistice et signa la paix à Presbourg, le 26 décembre. Quelques mois plus tard, le royaume de Naples fut occupé et Joseph Bonaparte placé sur le trône.
Anglais et Russes poursuivaient la guerre, mais sans espoir de vaincre seuls la Grande Armée. Après l’échec de timides tentatives de négociation, ils comprirent qu’il leur fallait entraîner la Prusse, dernière puissance européenne à n’avoir pas fait donner ses forces. Napoléon fournit à Berlin le prétexte de son entrée dans la coalition. En juillet 1806, il créa la Confédération du Rhin, par laquelle il se proclamait le protecteur des petits Etats de l’Allemagne. Une fièvre de guerre s’empara des militaires et des populations prussiennes, attisée par l’entourage du roi Frédéric-Guillaume emmené par la reine Louise. Le 7 octobre 1807, Napoléon reçut un ultimatum l’invitant à se retirer d’Allemagne. Une nouvelle coalition s’était formée contre lui : la Prusse, mais aussi la Saxe et la Suède, avaient rejoint l’Angleterre et la Russie.
Le lendemain de l’ultimatum s’ouvrit sans doute la plus extraordinaire campagne de Napoléon. La Grande Armée fondit sur les troupes vieillottes mais superbes du roi de Prusse. Elles furent écrasées, pulvérisées, détruites en quelques jours et quelques batailles aux noms illustres : Saafeld, Weimar, Iéna, Auerstadt, etc. Berlin occupée, la poursuite des débris ennemis fut une promenade militaire jalonnée de redditions massives, les places fortes et les villes tombant les unes après les autres. Murat se crut alors le droit d’imiter Corneille, lorsqu’il écrivit à son impérial beau-frère : « Le combat finit, faute de combattants ». Il n’avait pas tout à fait raison : l’armée russe arrivait et la Pologne allait être le théâtre d’un nouvel affrontement.
Dès décembre, alors que l’hiver pointait son nez, on commença à s’entretuer à Soldau, Pultusk ou Golymin. Le 8 février 1807, à Eylau, sous la neige, Napoléon sortit vainqueur in extremis d’une boucherie atroce. Chacun voulait alors la paix, mais nul n’était prêt à la moindre concession. On suspendit pourtant les opérations pour reformer les rangs saignés par la campagne hivernale. Dès les premiers beaux jours, la guerre reprit ses droits. Dantzig se rendit aux Français, le 24 mai 1807. Le 14 juin, à Friedland, l’armée russe fut détruite lors d’une bataille sanglante. Le 25, à Tilsit, Napoléon et Alexandre 1er s’embrassèrent, laissant au second rang le pauvre roi de Prusse. Le 7 juillet, la paix était signée.
Une fois de plus, l’Angleterre restait seule face à Napoléon.

3 – La sale guerre d’Espagne

Qu’allait-il faire dans cette galère ? C’est la question qu’on doit poser lorsqu’on pense à l’aventure espagnole de Napoléon. Il l’avoua lui-même à Sainte-Hélène, tous ses ennuis sont venus de cette opération commencée dans la vilenie et achevée dans le désastre.
De Berlin, Napoléon avait décrété l’Angleterre en état de blocus. Vieille idée – déjà testée par le Directoire-, la mise en quarantaine économique d’Albion supposait une parfaite mainmise de la France sur le continent. Or, il subsistait au Portugal un allié de l’Angleterre qui refusait d’obtempérer. Napoléon demanda et obtint de l’Espagne l’autorisation de traverser ses territoires pour aller punir, à Lisbonne, la maison de Bragance. Au passage, le roi d’Espagne, Charles IV et son ministre Godoy demandèrent le partage du Portugal entre la France et l’Espagne. Le 30 novembre 1807, Junot entra à Lisbonne et le roi Jean prit le chemin de l’exil. Mais entre temps, Napoléon avait décidé de régler, à sa manière, les affaires espagnoles…
A Madrid, Charles IV gouvernait avec l’aide de son ministre-favori, Manuel Godoy, lui même amant de la reine Marie-Louise. Godoy était détesté d’une grande partie de l’entourage du roi. On conspirait contre ce ménage à trois, avec pour projet de placer sur le trône le prince des Asturies, Ferdinand. Les déchirements de la cour de Madrid faisaient de l’Espagne un maillon faible de la politique continentale de la France. Les gouvernements français successifs avaient méprisé -semble-t-il à juste titre- ce gouvernement voisin qui avait perdu toute la grandeur de ses devanciers et avait gâché leur puissance. L’Espagne était devenue un satellite et un auxiliaire des projets de Napoléon. Début 1808, Charles IV avait fait arrêter son fils et s’était placé sous la protection de l’empereur des Français, dont les troupes occupaient -opérations portugaises obligent- le nord de la péninsule.
Conseillé par Talleyrand (qui nia plus tard toute responsabilité), Napoléon décida d’exercer sa « médiation » dans le conflit dynastique espagnol. Comme Louis XIV, il se voyait placer un des siens à Madrid. Renversé par les émeutes d’Aranjuez (18 mars 1808), Charles IV abdiqua en faveur de son fils qui devint Ferdinand VII. Il reprit sa parole quelques jours plus tard, poussé par Murat dont les troupes venaient d’entrer, par ordre de Napoléon, dans la capitale espagnole. L’imbroglio était total et l’Empereur invita tous les acteurs de la tragi-comédie à le rejoindre à Bayonne. Là, il leur tendit un véritable piège, obtenant l’abdication du père comme du fils au profit de Joseph Bonaparte (9 mai 1808), déplacé de Naples à Madrid. Quelques jours plus tôt, prélude à la guerre d’indépendance qui allait ravager le pays et engloutir les plus belles unités de la Grande Armée, le peuple de la capitale s’était soulevé, massacrant plusieurs centaines de soldats de Murat avant de subir une terrible répression.
L’annonce de l’avènement de Joseph Bonaparte provoqua une insurrection générale dont les meneurs firent appel à l’Angleterre. Londres accepta l’aubaine et envoya un corps expéditionnaire. Pendant ce temps, c’est par la force que le roi Joseph dut se frayer un chemin jusqu’à sa capitale où il fit son entrée, le 20 juillet 1808. Mais le lendemain, on apprit la capitulation déshonorante du général Dupont à Baylen, en rase campagne, face à des bribes d’armée espagnole. Dans toute l’Europe, on fêta cette humiliation française : on venait d’apprendre que la Grande Armée n’était pas invincible. Ce qui suivit dans la Péninsule fut terrible et a bien été peint par Goya : combats d’embuscades, massacres, villages incendiés. En quelques semaines, l’Espagne fut à feu et à sang et bientôt, le frêle trône de Joseph fut menacé. Seule une intervention directe, et en force, de Napoléon pouvait sauver la situation.
Après avoir réuni ses alliés à Erfurt, entrevue diplomatique décevante -lors de laquelle Talleyrand encouragea Alexandre 1er à tenir tête à son allié-, Napoléon prit la route du sud et bouscula tout sur son passage. Après la victoire de Somosierra, il entra dans Madrid et se dirigea vers le corps expéditionnaire anglais qui prit la fuite. Encore quelques semaines, et l’Espagne serait pacifiée. Mais, le 1er janvier 1809, l’Empereur reçut de bien mauvaises nouvelles : l’Autriche réarmait et le risque d’être pris à revers par une nouvelle coalition n’était pas à négliger. De plus, Talleyrand -grand seigneur de l’Ancien Régime- et Fouché -jacobin aux méthodes brutales mais à l’abord onctueux-, qui s’étaient réconciliés, complotaient contre lui. Il fallait rentrer, mettre de l’ordre et faire face aux Autrichiens. Il laissa donc le commandement à Soult. Il venait de mettre le doigt dans l’engrenage qui allait broyer son œuvre. Pendant cinq ans, l’Espagne serait une plaie béante dans le flanc de son Empire, une gangrène qui finirait par pourrir le tout.

4 – Wagram, la dernière grande victoire

La défaite de Baylen avait donné du baume au cœur à l’Autriche et l’opinion publique, qui ne s’était jamais remise de l’occupation de Vienne en 1805, poussait son gouvernement à la guerre. Celle-ci fut incontestablement déclenchée par les Autrichiens. Début avril 1809, l’archiduc Charles passa à l’offensive en Bavière. La contre-offensive française fut immédiate. Napoléon était sur place et, bien que disposant de troupes jeunes et peu aguerries, il réussit à repousser les tentatives ennemies. Les victoires d’Abensberg (20 avril), Landshut (21 avril), Eckmühl (22 avril) et Ratisbonne (23 avril) ouvrirent la route de Vienne qui fut occupée, le 13 mai 1809. L’archiduc Charles avait préféré se retirer et mettre le Danube entre lui et les Français.
Les adversaires s’observèrent, dans les semaines qui suivirent. Napoléon décida de franchir le fleuve en prenant appui sur l’île de Lobau. Une première tentative fut une échec et s’acheva par la défaite d’Essling (22 mai), bataille au cours de laquelle fut mortellement blessé le maréchal Lannes. L’Empereur décida d’attendre des renforts qui arrivèrent en juin, suite à la défaite d’une seconde armée autrichienne en Italie. La deuxième attaque fut la bonne et aboutit, le 6 juillet 1809, à la victoire (difficile mais nette) de Wagram. Un armistice fut conclu et la paix signée à Vienne, le 14 octobre suivant.
La première phase des guerres napoléoniennes s’achevaient pas une nouvelle victoire de la France, plus puissante que jamais. Mais les premiers craquements se faisaient entendre dans l’édifice de domination de l’Europe. L’Espagne continuait à saigner. Le Tyrol s’était soulevé à l’appel des princes autrichiens. Le nationalisme allemand gagnait encore du terrain. Les Anglais, sentant qu’il leur faudrait bien s’impliquer militairement sur le continent, avaient tenté de débarquer dans l’île hollandaise de Walcheren. Ils avaient été repoussé mais la volonté d’Albion était toujours aussi forte.
Alors que trois années de paix (très) relative s’ouvraient, que l’Empire français était à son apogée, les signes du déclin commençaient à être visibles.

LE TEMPS DES REVERS : 1809 – 1815

Après Wagram, l’Empire napoléonien était à son apogée. Trois années de paix relative allaient permettre de penser que, cette fois, la France avait trouvé un équilibre extérieur et intérieur propre à finir les vingt années de troubles révolutionnaires. C’était oublier que la guerre continuait avec l’Angleterre et que l’Europe, humiliée à Austerlitz, à Iéna, à Friedland et à Wagram, n’avait rien pardonné à Napoléon qui, plus que le fils de la révolution, était aussi l’homme du « système continental »  dont la France était le centre. L’ambition de l’empereur des Français n’avait pas de limite géographique.
De la campagne de Russie à Waterloo, suite et fin du résumé chronologique de l’épopée…

Divorce avec Joséphine, remariage avec l’archiduchesse Marie-Louise, naissance du roi de Rome, Napoléon aurait pu se croire maître de l’avenir. Et, c’est vrai, en 1811, le « Grand Empire » apparaissait stable, solide et durable. Les affaires d’Espagne stagnaient mais la puissance militaire de la France finirait bien par venir à bout de la rébellion. L’Angleterre était en proie à une grave crise économique. Le Blocus continental semblait porter ses fruits. Chacun s’attendait à l’ouverture de négociations et à la conclusion d’une paix toute à l’avantage de la France, plus que jamais dominatrice en Europe. Mais c’était faire fi de la ténacité des Britanniques. C’était faire peu de cas du réveil des nationalités, en Allemagne, en Espagne, voire en Italie. La domination du continent était partagée entre la France à l’ouest et la Russie à l’est. Londres tablait logiquement sur un prochain conflit entre les deux colosses et n’acceptait pas de discuter avec Napoléon. L’Empereur lui-même, sûr de sa force, n’acceptait pas d’envisager la moindre concession pour parvenir à une paix dont il pensait qu’elle récompenserait de toute façon -et sans coût pour lui- sa patience. Finalement, c’est le calcul des Anglais qui fut le bon.

1 – La dégradation des relations franco-russes

Après Tilsit, Alexandre 1er avait semblé devenir l’ami sincère de Napoléon. L’amourette entre les deux empereurs -qui, avant d’être des « frères » étaient d’abord des hommes d’Etat- n’avait cependant pas duré. La Russie avait une revanche à prendre et aurait pu s’en passer si l’alliance avec la France avait porté de bons et beaux fruits. Le principal aurait pu être le partage des dépouilles de l’empire ottoman. Napoléon avait promis qu’on examinerait cette question. La Turquie était, déjà, une « homme malade » en Europe et demeurait l’ennemi traditionnel de la Russie, à ses frontières sud. Pour la France, elle était un contrepoids dans le cas d’une reprise de la guerre avec Alexandre. Il ne fallait donc pas hâter le dépeçage de la Sublime Porte. Autre pomme de discorde, la création d’un grand-duché de Varsovie par Napoléon apparaissait, à Saint-Pétersbourg, comme un premier pas vers la reconstitution de la Pologne, ennemi et victime héréditaire des appétits russes. Enfin, l’adhésion au Blocus continental avait notablement perturbé les affaires des commerçants et producteurs russes, si bien que son application était devenue fantomatique, avec l’accord tacite du tsar. En décembre 1810, le gouvernement russe avait même décidé de taxer les importations en provenance de France. Pour envenimer encore les relations franco-russes, Alexandre avait fait la fine bouche lorsque Napoléon lui avait demandé sa jeune sœur en mariage. Il avait retardé sa réponse et… avait fort mal pris que l’empereur des Français se soit tourné vers l’Autriche. Pour mettre le feu aux poudres entre la France et la Russie, il ne manquait plus qu’une étincelle.
Le prétexte fut trouvé par le tsar lorsque Napoléon décida d’occuper puis d’annexer le duché d’Oldenbourg, en Allemagne du nord, afin de rendre plus hermétique le Blocus dans cette partie de l’Europe. Or, le souverain de ce minuscule état était un parent d’Alexandre. Au milieu de 1811, la guerre était devenue inévitable. Elle tarda pourtant car le tsar voulut d’abord vérifier que l’Autriche et la Prusse ne se rangeraient pas aux côtés de Napoléon.
Ces deux puissances avaient passé des accords avec la France. Les émissaires russes se rendirent vite compte que, si Vienne et Berlin n’étaient pas prêtes à reprendre tout de suite la lutte contre Napoléon, elles ne voulaient pas non plus mettre leurs forces à sa disposition et, en cas de conflit, ne fourniraient que des troupes auxiliaires. Alexandre obtint, en outre, la neutralité du nouveau prince royal de Suède, le maréchal français Bernadotte. Enfin, un traité fut signé entre la Russie et la Turquie, qui libérait le flanc sud de toute pression immédiate.
Du point de vue russe, le grand affrontement pouvait à présent avoir lieu.

2 – La campagne de Russie 1812

Napoléon n’était pas resté l’arme au pied pendant les préparatifs diplomatiques du tsar. Il avait commencé à forger la plus extraordinaire armée de tous les temps, réunissant des contingents venus de toute l’Europe. Cette Grande Armée -qu’on appela aussi « armée des Vingt Nations »- comprenait des régiments français, italiens, espagnols, allemands, hollandais, autrichiens, prussiens, etc. Elle représentait plus de 500 000 hommes qui commencèrent à faire mouvement vers les marches orientales de l’Empire, pour se masser sur les rives du Niémen.
Le 8 avril 1812, la Russie adressa un ultimatum à la France, la sommant de replier ses troupes et de signer avec elle un traité de commerce. Napoléon réunit ses alliés à Dresde, pour montrer sa force et, le 22 juin, la Grande Armée franchit le Niémen.
Au départ, Napoléon ne pensait pas aller chercher la paix à Moscou. Son objectif était d’obliger les Russes à attaquer le grand-duché de Varsovie pour les prendre à revers par un ample mouvement tournant. Mais l’armée du tsar refusa de se prêter à ce jeu. Consciente de sa faiblesse numérique et tactique, elle battit partout en retraite, obligeant la Grande Armée à s’avancer toujours plus avant et à étirer ses communications. Vilna fut prise, puis Vitebsk et Smolensk, sans qu’une bataille décisive ait eu lieu. Le tsar nomma bientôt Koutouzov à la tête de son armée. Le vaincu d’Austerlitz prit à son compte la tactique de repli systématique et de terre brûlée de ses prédécesseurs, Bagration et Barclay de Tolli. Finalement, il se laissa influencer par l’entourage du tsar et accepta le combat pour défendre Moscou.
Le 7 septembre 1812 eut lieu la bataille de la Moskowa -que les Russes appellent bataille de Borodino- à 120 km de Moscou. On s’étripa pendant une longue journée. Napoléon, voulant économiser ses forces en prévision d’une autre bataille devant Moscou, laissa ses régiments aller jusqu’au bout de leurs forces, refusant de faire donner ses réserves. Le soir venu, Koutouzov battit en retraite et décida même d’évacuer sans combattre la capitale historique de la Russie. Le 14 septembre, avec environ 100 000 hommes, Napoléon occupa Moscou. On connaît la suite : à l’instigation du gouverneur Rostopchine (vrai patriote sans doute moins diabolique et sans scrupules qu’on l’a dit), les Russes incendièrent la ville, ne laissant que des ruines fumantes à la Grande Armée au sein de laquelle un certain désordre commençait à s’installer. Contrairement à ses espoirs, Napoléon ne reçut, au Kremlin, aucune proposition de paix d’Alexandre, malgré l’envoi de messagers auprès de lui.
Après avoir, funeste erreur, perdu plusieurs semaines à attendre, l’Empereur décida d’évacuer Moscou pour resserrer ses lignes et regrouper ses forces à l’ouest. Mais l’hiver russe avait fait son apparition et les réserves de nourriture ainsi que l’équipement des soldats ne permettaient pas d’y faire face. Le 27 novembre 1812, la Grande Armée put, par un dernier effort, franchir la Bérézina. Après cette date, la débandade fut totale. Un troupe disloquée, en haillons, harcelée par les cosaques : voilà tout ce qui restait de l’armée des Vingt Nations. Le 6 décembre, l’Empereur décida d’abandonner ses soldats pour rentrer à Paris, mettre sur pied une nouvelle armée et préparer la suite de la guerre. Il confia le commandement à Murat qui, à son tour, abandonna son poste pour rentrer dans « son » royaume de Naples. Seuls 20 000 hommes repassèrent le Niémen, fin 1812. Les autres étaient morts ou prisonniers, déserteurs ou, comme les corps autrichiens et prussiens, rentrés dans leur pays sans attendre.

3 – La campagne d’Allemagne 1813

Cette fois, la situation s’était retournée et l’Europe tenait sa revanche. En Espagne, les Anglais du duc de Wellington repoussaient partout les Français. Les Russes -eux aussi éprouvés par l’hiver- poursuivaient malgré tout leur avance. L’Autriche et la Prusse s’interrogeaient sur le choix du meilleur moment pour rejoindre la coalition contre Napoléon. A Paris, l’Empereur avait constaté la fragilité de sa dynastie : le général Malet, simplement en annonçant la mort du maître, avait réussi à prendre une partie du pouvoir pendant une journée. En février 1813, les contours de la nouvelle coalition furent précisés : le roi de Prusse appela à la mobilisation générale de toute l’Allemagne contre les Français. De nombreux duchés et principautés rejoignirent la Prusse dans le camp de l’Angleterre et de la Russie. Napoléon allait devoir se battre sur deux fronts : en Espagne et en Allemagne.
La campagne d’Allemagne commença en mai. Avec environ 300 000 hommes, Napoléon battit les Russo-Prussiens à Lutzen, Bautzen et Wurschen. L’ennemi dut se replier. Un armistice fut signé, le 4 juin, et un congrès réuni, à Prague. C’est le moment que choisit l’Autriche pour dévoiler ses intentions : elle réarmait depuis des mois, et sûrement pas pour voler au secours de Napoléon, ni pour assurer une « médiation armée » comme l’affirmait son ministre Metternich. Pour faire bonne mesure, Bernadotte entraîna la Suède dans la coalition. A la mi-août, les opérations militaires reprirent. Encore vainqueur à Dresde, Napoléon fut cependant mis en danger par les défaites subies par ses maréchaux. Il fut contraint d’accepter une grande bataille décisive à Leipzig. Choc frontal où les Français luttèrent à un contre deux,  l’affrontement dura trois jours, du 16 au 19 octobre 1813. La défection des troupes saxonnes, encore alliées de la France, précipita la retraite de Napoléon. Après un succès à Hanau, l’Empereur repassa le Rhin, le 2 novembre 1813. Au sud, l’Espagne était définitivement perdue, suite au désastre de Vittoria (21 juin 1813) et à la retraite générale des lieutenants de l’Empereur. A Naples, Murat, maréchal de France et roi par la seule volonté de son beau-frère Napoléon, commençait à négocier la conservation de son titre en échange d’une déclaration de guerre à la France. En Hollande et en Belgique, les armées françaises avaient dû céder partout du terrain.
Cette fois, le « sanctuaire » national était directement menacé. La France était revenue à la situation de 1792.

4 – La campagne de France 1814

Avec énergie, Napoléon reforma une petite armée d’environ 60 000 hommes. « Soixante mille homme et moi, disait-il pour rassurer son entourage, cela fait cent soixante mille ». Il refusa les offres de paix draconiennes avancées par les Alliés au congrès de Francfort et imagina que la France pourrait retrouver l’ardeur des guerres révolutionnaires. Ce faisant, il perdit l’ultime occasion de sauver son trône. Lorsque, au début de 1814, 250 000 coalisés fondirent sur l’est du pays, on ne donnait pas cher des chances des Français. Ils furent d’ailleurs battus à La Rohière, le 1er février. C’est alors que les Alliés commirent l’erreur de séparer leurs forces. Napoléon, qui n’avait rien perdu de sa vision tactique, décida de les battre les uns après les autres. Il l’emporta à Champaubert, Montmirail, Chateau-Thierry, Vauchamp, Montereau. Abattus par ce retournement de situation, mais aussi soucieux de regrouper leurs forces et d’adopter -enfin- la bonne marche des opérations, les Alliés proposèrent un congrès à Chaumont. Pendant les négociations -conduites, pour la France, par Caulaincourt-, les hostilités continuèrent. Napoléon fut encore vainqueur à Craonne et Reims. Il fut battu à Arcis-sur-Aube (« J’ai tout fait pour mourir à Arcis », déclara plus tard Napoléon). Des courriers interceptés apprirent aux coalisés que leur adversaire envisageait de les prendre à revers. Sans plus attendre, ils décidèrent de marcher sur Paris au lieu d’accepter le contact.
Le 31 mars 1814, les Alliés entraient dans la capitale abandonnée par Marie-Louise et Joseph Bonaparte, pourtant chargé de la défendre. Napoléon s’installa à Fontainebleau, défendu par le corps de Marmont et sa garde impériale. Petit à petit, son sort avait été scellé. Si le tsar voulait encore éviter cette solution, ses alliés penchaient de plus en plus pour un retour des Bourbons. A Paris, Talleyrand avait décidé de jouer aussi cette carte. Il constitua un gouvernement provisoire. Les 2 et 3 avril, le Sénat puis le Corps législatif votèrent la déchéance de Napoléon.
Quant à l’Empereur, il envisageait encore d’attaquer. Mais ces maréchaux n’avaient plus le moral et, lors d’une scène fameuse, lui demandèrent d’abdiquer en faveur de son fils. Dans la nuit du 4 avril 1814, le corps de Marmont passa à l’ennemi, avec armes et bagages. Le 6, Napoléon abdiqua sans condition alors que le Sénat appelait Louis XVIII à monter sur le trône. Les Alliés accordèrent à l’ex-empereur la souveraineté de l’île d’Elbe pour laquelle il partit, après la célèbre scène des « Adieux ». Le 3 mai, le frère de Louis XVI était de retour à Paris.

5 – Waterloo 1815 : la fin de l’épopée

L’Europe n’en avait pourtant pas fini avec Napoléon. Le 20 mars 1815, il était de retour aux Tuileries et Louis XVIII reprenait la route de l’exil. Entre temps, il avait fallu que le peuple se désenchante de la restauration, que le roi mette beaucoup de mauvaise volonté à verser la pension promise à son prédécesseur, que l’ennui ronge Napoléon et qu’un complot aux contours encore mal connus aujourd’hui lui permette d’envisager son retour. Le 1er mars 1815, il avait débarqué à Golfe Juan et, sans tirer un coup de feu, accompagné de quelques centaines de soldats, avait reconquis son empire.
A son retour, Napoléon affirma à l’Europe qu’il en avait fini de troubler sa paix. Il était revenu avec la ferme intention de préserver le statu quo né de la campagne de France. Mais les puissances, menées par l’Angleterre, ne voulaient rien entendre. Réunies en congrès à Vienne, elles firent savoir qu’elles ne voulaient pas de Buonaparte à Paris. Le 13 mars, elles publièrent une déclaration sans équivoque : « En reparaissant en France, (Napoléon Bonaparte) s’est privé lui-même de la protection des lois (…). (Il) s’est placé hors des relations civiles et sociales, (…) comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s’est livré à la vindicte publique ». La guerre allait reprendre et l’Empereur se consacra, à nouveau, aux préparatifs militaires. Il décida d’attaquer d’abord au nord, les corps britanniques et prussiens stationnés en Belgique.
Le 12 juin 1815, l’Empereur rejoignit ses 130 000 soldats et entama, trois jours plus tard, sa dernière campagne. Le 16, à Ligny, il remporta sa dernière victoire. Le 18, à Waterloo, il livra sa dernière bataille.
Commencée vers onze heures du matin, la bataille de Waterloo fut gagnée par Napoléon jusqu’à la tombée du jour. L’arrivée sur le champ de bataille du corps prussien de Blücher, que l’on attendait pas, fit que la victoire changea de camp. Les Français furent écrasés et mis en déroute, malgré la légendaire résistance du dernier carré des grenadiers de la garde impériale. Plus tard, Waterloo fut rendue pathétique et bénéficia de la vague romantique qui suivi la chute définitive de Napoléon. Ainsi, bien qu’étant écrasante pour l’armée française, que ses conséquences aient été terrible pour la nation, elle n’est mise qu’avec prudence au débit de Napoléon. La postérité ne réserva pas le même sort à la défaite finale de Napoléon III à Sedan, alors qu’à bien des égards, l’attitude du dernier empereur, sacrifiant son trône pour éviter une effusion de sang et acceptant de capituler, fut moins entêtée que celle de son oncle.
Rentré à Paris, Napoléon fut contraint à une nouvelle abdication, environ cent jours après être rentré de l’île d’Elbe. Mais cette fois, les conséquences de sa défaite furent plus dures pour la France de Louis XVIII restauré (et surnommé Louis-deux-fois-neuf par les ouvriers parisiens). Amputée de territoires, occupée par l’ennemi, rançonnée par les Alliés, la France aurait sans doute pu se passer de l’aventure des Cent-Jours. Pas la Légende.

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