Pages napoléoniennes : Mme Cottin, Claire d'Albe Paris : Michaud frères, 1811

Une oubliée, à l'orée du romantisme : Mme Cottin

Qui se souvient du nom de Mme Cottin et qui lit encore ses oeuvres ?
Bien qu'elle fut un des auteurs les plus lus et estimés du Premier Empire (Napoléon n'a t-il pas fait apporter ses romans en exil à Sainte-Hélène ?), son nom a sombré dans l'oubli.

Marie-Sophie Ristaud est née en 1773 près de Bordeaux. Elle reçut une éducation soignée auprès d'une mère qui aimait les lettres et les arts. Mariée à 17 ans à un banquier bordelais, M. Cottin, elle fut veuve à 20 ans. Sophie put alors se retirer du monde et consacrer ses loisirs à l'écriture. Mme Cottin ne désirait pas publier ses oeuvres, car elle pensait qu'épancher ainsi ses sentiments était contraire à la décence demandée aux femmes.

Un évènement inattendu servit l'histoire littéraire : en 1792, un ami de son mari, en fuite, avait besoin de 50 livres pour passer la frontière. N'ayant cette somme, elle se décida à vendre un manuscrit à un libraire. Publié anonynement, Claire d'Albe fut un succès européen.

L'intrigue est sentimentale et dramatique : une jeune femme épouse un vieillard avec la ferme résolution d'être fidèle à ses devoirs ; elle aime bientôt un jeune homme que son mari protège ; elle succombe à cet amour et meurt ensuite de désespoir et repentante. La construction épistolaire du roman, très efficace, décrit l'évolution de cet amour que la morale réprouve, mais que le coeur comprend, et permet l'introspection amoureuse.

Devenue écrivain à la mode, Sophie Cottin publia quatre autres romans, tous portant des prénoms féminins :
– Malvina, 1800
– Amélie Mansfield, 1805
– Mathilde ou Mémoires tirés de l'histoire des Croisades, 1805
– Elisabeth ou les Exilés de Sibérie, 1806
Les héroïnes sont à l'image de leur auteur : bonnes, douces, religieuses, seulement elles sont dominées par des événements sombres, comme par une sorte de fatalisme d'amour.
L'auteur sait parfaitement décrire les sentiments humains, en particulier les passions amoureuses, tout en nuance, en clair-obscurs. Mais ce sont des passions fatales pour les femmes : leur mort clôt le roman, car il ne peut y avoir d'autres issues pour celles qui ne se conforment pas au modèle dominant de la femme-épouse. Ce sentimentalisme funèbre annonce celui des romantiques.

La carrière de Sophie Cottin fut brève. Elle mourut d'une maladie foudroyante en 1807, à l'âge de 34 ans.

Ses livres furent réédités tout au long du 19e siècle et furent très rapidement traduits dans les principales langues européennes.

Extrait
Sentiment de Claire, jeune femme mariée à 15 ans à un homme de 60 ans
« Ces images [de temple de l'Amour] me font faire des retours sur moi-même, et où je soupçonne que mon sort n'est pas rempli comme il aurait pu l'être. Ce sentiment [l'amour] qu'on dit être le plus délicieux de tous, et dont le germe était peut-être dans mon coeur, ne s'y développera jamais ».

Pages napoléoniennes : Mme Cottin, Claire d’Albe Paris : Michaud frères, 1811