La proclamation de l’Empire par le Sénat conservateur

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Contrairement à une idée fort répandue, ce n’est pas le Sacre du 2 décembre 1804 qui « créa » l’Empire napoléonien mais un sénatus-consulte adopté par le Sénat dans sa séance du 18 mai 1804. Cette démarche d’apparence « parlementaire » fut l’aboutissement d’une manœuvre politique de grande ampleur.

La proclamation de l’Empire par le Sénat conservateur
Portrait de l’Empereur Napoléon Ier en costume de sacre,
atelier du baron Gérard © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Une idée qui fait son chemin depuis 1802

L’idée d’une monarchie héréditaire avait très tôt germé dans l’entourage de Bonaparte, même si l’intéressé s’employa à afficher son désintéressement, au moins jusqu’à la reprise de la guerre avec l’Angleterre (mai 1803). À ceux qui lui conseillaient de marcher vers la monarchie héréditaire, il s’était contenté de répondre : « Mon héritier naturel, c’est le peuple français ». Pour reprendre une expression qui lui était chère, il considérait que « la poire n’était pas mûre ». Il sanctionna même ceux qui voulaient aller trop vite et c’est ainsi que Roederer dut quitter la présidence de la section de l’Intérieur du conseil d’État pour aller s’ennuyer au Sénat, tandis que Lucien Bonaparte dut rendre son portefeuille ministériel pour aller faire fortune à Madrid, lors d’une ambassade dont les succès diplomatiques ont moins retenu l’attention que la propension du cadet des Bonaparte à remplir son escarcelle.

Lorsque la reprise de la guerre et les complots ourdis contre lui permirent de tenir le pays d’une main de fer, Bonaparte se découvrit et marcha résolument à l’empire.

Un processus constitutionnel

Les documents qui sont présentés ici rendent compte des différentes étapes constitutionnelles du processus qui aboutit à la proclamation de l’Empire par le sénatus-consulte du 18 mai 1804. En les exploitant, on ne perdra pas de vue les autres aspects de ce moment essentiel : conspiration de Cadoudal, arrestation de Moreau, exécution du duc d’Enghien, départements en état de siège. De même, on ne négligera pas « l’ambiance » créée par l’œuvre du Consulat : en peu d’années, le gouvernement de Bonaparte avait résolu nombre de problèmes issus des dix premières années de la Révolution, de la résolution de la crise religieuse à la pacification des départements insurgés, en passant par le redressement financier et économique, la réorganisation administrative et judiciaire, et tant d’autres avancées de cette période féconde que nous avons par ailleurs appelée « le Grand Consulat ».

Pour gravir la dernière marche qui le séparait du trône, Bonaparte avait donc choisi la voie constitutionnelle. Le soutien du Sénat lui était indispensable. Lorsque le gouvernement lui communiqua des pièces officielles établissant le soutien financier de l’Angleterre à la conspiration Cadoudal-Moreau-Pichegru, le Sénat constitua une commission spéciale de dix membres pour répondre à cette communication. Elle se contenta de constater les faits et finit par émettre une adresse de félicitations au Premier consul pour avoir échappé à tant de périls.

Au Sénat

Fouché entra alors en scène. Il demanda la parole et s’opposa au minimalisme de la motion que l’on proposait. Selon lui, il fallait aller plus loin et ajouta, sans vouloir préciser, qu’il en avait parlé avec Bonaparte. Interloqués et désormais dominés par ceux qui suivaient Fouché, les sénateurs décidèrent de constituer une seconde commission qui aboutit à la rédaction d’une adresse où était abordée la question du régime : « Grand Homme, achevez votre ouvrage en le rendant immortel comme votre gloire ». Ayant reçu ce texte, Bonaparte répondit qu’il réfléchissait et donnerait bientôt sa réponse. Pendant que le Sénat hésitait et que Bonaparte se faisait désirer, les partisans du Premier consul suscitaient, dans l’armée et dans les institutions locales et nationales, une campagne de motions qui, mises bout à bout, faisaient penser à un « appel de la nation » pour que le chef de l’État se décide à franchir le Rubicon.

Au Tribunat

Le 28 avril 1804, la surprise vint du Tribunat. Avec l’accord de Bonaparte, le tribun Curée monta à la tribune et demanda à ses collègues de se prononcer pour la création d’un empire et de l’hérédité de la dignité impériale dans la famille Bonaparte. Seul Carnot vota contre. Le Sénat venait d’être pris de vitesse. Il s’employa dès lors à rattraper son retard.

Retour au Sénat

Le 3 mai, une délégation du Tribunat vint présenter la motion Curée aux sénateurs. François de Neufchâteau invita ses collègues à proclamer l’Empire.

Les sénateurs commencèrent par ergoter. Ils adoptèrent un long mémoire demandant que la nouvelle constitution garantisse l’indépendance des grandes autorités, le vote libre et éclairé de l’impôt, la liberté individuelle et de la presse, la responsabilité des ministres, etc. En prenant connaissance de ce texte, Bonaparte se fâcha, incrimina les idéologues et leurs « réminiscences de constitution anglaise » (ce qui dans sa bouche, voulait tout dire). La publication du mémoire fut interdite. Une nouvelle commission sénatoriale fut nommée. Elle travailla sous le contrôle de Cambacérès et de Talleyrand, entamant ses travaux le 11 mai. Le 13, un projet de sénatus-consulte fut arrêté et approuvé par le conseil privé. Le 16, Portalis présenta le texte au Sénat. La commission sénatoriale conclut à l’adoption.

Le 18 mai 1804, le sénatus-consulte fut approuvé à l’unanimité moins les voix de Grégoire, Lambrechts et Garat et deux abstentions.

L’Empire était fait.

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