ROSTOPCHINE, Fédor, comte (1765-1826), gouverneur de Moscou

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Héros militaire de la Russie pour les uns, incendiaire supposé de Moscou en 1812 pour les autres, Fédor Rostopchine fut l'ambigu gouverneur de Moscou dont il disait des habitants qu'ils "sont trop difficiles à gouverner [...], car ils n'ont jamais aimé aucun de leurs chefs".
ROSTOPCHINE, Fédor, comte (1765-1826), gouverneur de Moscou
Rostopchine, par Salvator Tonci, 1800

Fédor Vassiliévich Rostopchine est né à Orel le 23 mars 1763, d'une famille noble d'origine tatare et au service de l'Empereur depuis le XVe siècle. il participa à la guerre russo-turque de 1787-1791 et se dinstingua particulièrement aux batailles de Rymnik et Focsani. En 1797, il devint aide de camp puis directeur des Postes du tsar Paul Ier. Bien que fait comte en 1799 et après avoir largement contribué à créer la seconde Coalition anti-française, il tomba en disgrâce après la paix de Tilsit pour des raisons obscures et fut contraint à s'exiler dans sa demeure à cinquante kilomètres de Moscou.
Resté en bonne grâce auprès de la Grande Duchesse Catherine, il fut rappelé en mai 1812 par Alexandre Ier qui en fit son gouverneur général de Moscou. Le tsar craignait les éventuels mouvements de foule suscités par l'avancée des troupes françaises et entendait donner des pouvoirs étendus à la fonction de Rostopchine, l'engageant à garder la ville calme.

La prise de Smolensk par l'armée napoléonienne poussa alors le nouveau gouverneur à mettre à l'abri les trésors de la capitale et à superviser le rassemblement de la milice qui devait partir le 14 août défendre la ville. 
Dans la cité régnait alors une atmosphère délétère où chaque étranger était suspecté d'être un espion à la solde de Napoléon. Malgré une campagne d'affichage visant à donner courage aux moscovites (les « affiches Rostopchine »), le gouverneur général pressentit l'inexorabilité de la chute de Moscou et écrit à son ami le prince Bagration : « Si Dieu nous refuse son secours dans notre noble entreprise, alors suivant la formule russe « Tu ne tomberas pas dans les mains du méchant », la ville sera réduite en cendres, et au lieu d'un riche butin, Napoléon ne trouvera qu'un amas de poussière à la place de l'ancienne capitale de Russie ». 


Le 26 août, dans la ville, déjà en partie désertée par ses habitants les plus pauvres et qui accueillait les blessés de plus en plus nombreux, il exécuta l'ordre de l'Empereur de faire évacuer les institutions publiques de leurs objets les plus précieux. Il ordonna également le départ de la brigade du feu de la ville, ordre qui eut des conséquences désastreuses lors du célèbre incendie de la ville. Il quitta lui-même la ville le 3 septembre, en compagnie du Général en chef Koutouzov. La veille il aurait écrit à son épouse : « Lorsque tu recevras cette lettre, Moscou sera réduite en cendres ; pardonne-moi d'avoir voulu faire le Romain, mais si nous ne brûlons pas, nous pillerons la ville. Napoléon le fera dans la suite et c'est un triomphe que je ne veux pas lui laisser. » (1)

Dès les premiers temps de l'incendie, il était difficile savoir s'il avait réellement mis cette pensée à exécution, et d'imaginer qu'il le fît sans l'accord tacite de l'Empereur surtout. De fait, le tsar ne le condamna pas officiellement quand il fut publiquement accusé d'être l'instigateur de l'incendie et Rostopchine resta gouverneur de Moscou jusqu'en 1814, date à laquelle il devint membre du Conseil d'État.
De manière plus évidente, il mit le feu à sa propre demeure secondaire, à Voronovo le 19 septembre après avoir fait écrire au-dessus de l'église l'inscription suivante : « J'ai embelli pendant huit ans cette campagne et j'y ai vécu heureux, au sein de ma famille. Les habitants de cette terre, au nombre de 1720, la quittent à votre approche, et moi je mets le feu à ma maison pour qu'elle ne soit pas souillée par votre présence. Français, je vous ai abandonné mes deux maisons de Moscou avec un mobilier d'un demi-million de roubles, ici vous ne trouverez que des cendres. »(2)

En 1823, année de sa retraite pour cause de maladie, Rostopchine écrivit sa défense sur l'incendie de Moscou : sa Vérité sur l'incendie de Moscou fut publiée à Paris par la maison Ponthieu. Il mourut trois ans plus tard à Saint-Petersbourg et fut enterré au cimetière Pyatnitskoye.

 
Article originel de Jean Tulard du Dictionnaire Napoléon, dirigé par Jean Tulard, Editions Fayard.
Citations (1), (2) et compléments : L'incendie de Moscou raconté par Rostopchine et par Mme Narichkine, sa fille, Éditions Historiques Teissèdre, 2000
 

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