JUNOT, Andoche, duc d’Abrantès (1771-1813), général

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Andoche Junot nait le 25 septembre 1771 à Bussy-le-Grand, près d’Alésia, d’une famille bourgeoise.

Après des études de droit, il entre au début de la Révolution, dans le bataillon des volontaires de la Côte-d’Or. Dès cet instant, il se signale par son courage, à tel point que ses camarades le surnomment « Junot la tempête ».
Bientôt sergent de grenadiers, il est envoyé pour servir au siège de Toulon.
C’est là que deux anecdotes sont à l’origine de sa fortune. Un jour, il entend un capitaine d’artillerie demander pour une mission de confiance un homme sûr et intelligent. Aussitôt il se présente : « Tu vas quitter ton uniforme, lui dit le capitaine et porter cet ordre. _ Je ne suis pas un espion, répond Junot; j’irai où vous m’envoyez mais en uniforme, ou je n’irai pas. C’est encore trop d’honneur pour les Anglais. _ Mais, ils te tueront! _ Que vous importe. _ Comment s’appelle ce jeune homme ? demande le capitaine Bonaparte, Junot ? Très bien ! il fera son chemin. » Peu de temps après, le capitaine demande un homme qui a une belle écriture. Junot se propose et écrit. A peine a-t-il terminé sa lettre qu’une bombe anglaise éclate à proximité et le couvre de débris. « Tant mieux, dit en riant Junot, nous n’avions pas de sable pour sécher l’encre. »
Après une telle expérience, Bonaparte, devenu général, ne peut que se l’attacher comme aide de camp. A partir de ce moment c’est plus que du dévouement, c’est un culte que voue le sergent de Toulon à Napoléon Bonaparte. Lorsque le général est mis en disponibilité pour avoir refusé de servir en Vendée, Junot partage son existence précaire. Puis vient le retour de la fortune, le 13 Vendémiaire, la campagne d’Italie: Junot n’est pas oublié. Il se distingue à Millesimo, à Lonato, à Venise : il est récompensé en étant chargé de porter au Directoire les drapeaux pris à l’ennemi et en étant promu colonel.

Vient l’expédition d’Égypte. Junot est un des premiers avertis des projets de Bonaparte et désigné pour le suivre. A peine débarqué, il obtient les étoiles de général.

Très vite il montre qu’il mérite cette distinction par un des exploits qui l’ont rendu populaire dans l’armée: pendant le siège de Saint-Jean d’Acre, 25 000 Turcs arrivent au secours de la place. Bonaparte, devant ce danger, détache la division Kléber au-devant de l’ennemi. Junot, qui en commande l’avant-garde, rencontre les Turcs près de Nazareth (8 août 1799). Il forme sa petite troupe de 500 hommes en carré et passe à l’offensive et ne recule sur Kléber qu’après avoir pris cinq drapeaux à l’adversaire. Par cette preuve d’audace, comme ordinaire chez lui, il a empêché la jonction des armées ennemies. Peu de temps après, son amitié excessive pour le commandant en chef lui vaut un duel avec le général Lanusse où il manque de perdre la vie. De tout cela, Bonaparte est conscient. Aussi lui écrit-il, lorsqu’il est obligé de quitter l’Égypte sans Junot: « Je quitte l’Égypte. Tu te trouves trop éloigné du lieu de l’embarquement pour que j’aie pu t’emmener avec moi; mais je laisse l’ordre à Kléber de te faire partir dans le mois d’octobre. Enfin, dans quelques lieux, dans quelques positions que je me trouve, soit sûr que je te donnerai des preuves positives de la tendre amitié que je t’ai vouée. Salut et amitié! » Malheureusement, fait prisonnier par la flottille anglaise pendant son retour, Junot ne peut débarquer en France que le jour même de Marengo et ne peut participer à la bataille.

Il est ensuite nommé gouverneur de Paris, et doté de revenus considérables.

Mais tout est excès chez Junot, le bon comme le mauvais et de cette date commence une vie déréglée où il ne sait pas faire la part des amis et des ennemis. Bonaparte est obligé de l’éloigner et l’envoie à Arras instruire le corps nouvellement constitué des grenadiers réunis. Il y fait merveille et donnera à Oudinot, pour les guerres de l’Empire une troupe parfaitement entraînée.
Il subit une première désillusion lorsqu’il se rend compte qu’il n’est pas de la première promotion des maréchaux; il a le tort de trop écouter certains cherchant à le persuader que son mérite a été méconnu et commet la maladresse de laisser percer son mécontentement, avec pour conséquence un second exil: il est nommé ambassadeur en Portugal. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, il se rend à sa nouvelle affectation mais s’empresse de quitter son poste dès qu’il apprend que la Grande Armée est en campagne et arrive à la joindre à temps pour participer à la bataille d’Austerlitz. Nouvelle maladresse. Il est à ce moment bien avec un banquier de Paris, Récamier, « dont la femme s’était rendue insupportable à la Cour impériale par ses airs dédaigneux et par sa grande amitié pour Madame de Staël, une des rares personnes que Napoléon ait honorées d’une haine persistante » (Gaffarel). Le banquier fait de mauvaises affaires. Emporté par son coeur mais toujours aussi imprudent, Junot demande à l’Empereur un prêt de 2 millions pour Récamier. La réponse vient sous forme d’un troisième exil: il est envoyé à Parme pour y réprimer une insurrection, muni de recommandations de l’Empereur teintées d’humanité: « Faites brûler cinq ou six villages, faites fusiller une soixantaine de personnes, faites des exemples sévères… »
De retour à Paris, Junot a une agréable surprise : il est réintégré dans son poste de gouverneur de Paris. Grisé par ce retour de fortune, il retombe dans les excès d’antan, entretenant des maîtresses, soldants ses créanciers à coups de sabre. Il faut dire qu’il était plus que secondé dans sa prodigalité outrancière par sa femme, la future duchesse d’Abrantès. Tout cela et de mystérieuses transactions avec certaines femmes du clan Bonaparte lui valent son quatrième exil : il est mis à la tête d’une armée chargée d’envahir le Portugal. Il passe la Bidassoa le 8 octobre 1807 et, après une chevauchée fantastique de deux mois atteint Lisbonne, glanant en chemin le titre de duc d’Abrantès, alors qu’il attendait le bâton de maréchal. Il est nommé gouverneur du Portugal et se console de l’absence de la duchesse, restée à Paris, en organisant ce que les Anglais nommaient son sérail, concurremment à l’administration du pays.
Le 1er août 1808 paraît à l’embouchure du Mondego une armée anglaise forte de 10 000 hommes, commandée par Arthur Wellesley, juste au moment où la population de Lisbonne est en état de révolte larvée. Junot fait face, mais le général Delaborde est battu à Roliça (15 août) et lui-même à Vimeiro. Il est obligé d’entamer des négociations qui aboutissent à la convention de Cintra (30 août) prévoyant le rapatriement de l’armée française. Dès son retour en France Napoléon lui donne le commandement du 3e corps, chargé d’assiéger Saragosse.

En 1809, il rejoint la Grande Armée et participe à la campagne d’Autriche mais sans grand commandement : le bâton de maréchal semble ne pas vouloir sortir de la giberne…

A peine la paix avec l’Autriche est-elle signée que Junot demande à retourner au feu. Napoléon lui donne le commandement du 8e corps, chargé de chasser les Anglais du Portugal. Nouvelle désillusion, il est mis sous les ordres de Masséna. Pour diverses raisons, dont le mauvais esprit des chefs de corps Junot, Ney, et Reynier, l’expédition est un échec et Junot, qui a reçu une balle en plein visage, est ramené mourant à sa femme.
Napoléon essaie d’oublier et lui donne un commandement pour la campagne de Russie. Tant qu’il reste près de l’Empereur, tout se passe bien mais, dès que les circonstances le mettent dans la nécessité de prendre une détermination sans consulter son maître, il perd la tête. Déjà diminué par les excès de toutes sortes, il est pris d’une sorte d’apathie au moment où à la bataille de Valoutina (19 août 1812) son intervention pourrait permettre à Napoléon une victoire décisive sur les Russes. Junot se voit retirer son commandement et accuser par le Bulletin d’avoir manqué de résolution. C’en est trop: à partir de ce moment il sombre dans la folie qui va l’emporter. Nommé gouverneur des Provinces illyriennes, il organise à Raguse un grand bal et s’y présente vêtu de ses seules décorations. Revenu en Bourgogne, il se jette d’une fenêtre et succombe des suites de ses blessures le 29 juillet 1813.

Jacques Garnier

Source : Dictionnaire Napoléon, Paris: Fayard, 1987.
Avec l’aimable autorisation des Editions Fayard.

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