22 juin 1815 : l’avènement de Napoléon II ?

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Napoléon s’est toujours méfié des assemblées. C’est contraint et forcé par les événements qu’il avait accepté d’en créer deux dans l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire de 1815 : celle des représentants et celle des pairs.

Synthèse (complément novembre 2019) : Napoléon 1, 2, 3 : qui a régné ? (infographie à télécharger)

22 juin 1815 : l’avènement de Napoléon II ?
Napoléon II, médaillon dessus de porte, Sénat
© Fondation Napoléon / Rebecca Young 2019

La première avait été élue au suffrage universel et avait vu la victoire des « libéraux », en d’autres termes d’une forte opposition à la pure et simple restauration de l’Empire. Quant à la chambre des pairs, elle avait été formée de bric et de broc en raison de l’urgence. Dès l’ouverture de la session, ce que redoutait l’empereur s’était produit : au Palais-Bourbon comme au Luxembourg, les foyers d’opposition s’étaient développés, agitation qui n’avait pas cessé pendant la campagne de Belgique. L’annonce de Waterloo déchaîna les passions. Pendant quelques heures, l’avenir de l’Empire fut suspendu aux débats parlementaires. Napoléon II fut-il proclamé empereur par les chambres pendant ce débat ? La question mérite d’être posée.

Le 21 juin 1815, Napoléon était de retour l’Élysée, son palais depuis le mois d’avril précédent. Soixante heures plus tôt, il avait quitté le champ de bataille de Waterloo, au milieu de la débandade de son armée. Après celle qu’il venait de perdre sur la « morne plaine », il avait une autre bataille à mener, face aux députés. Elle fut brève et s’acheva par la seconde abdication.

Dès son arrivée, les collaborateurs de Napoléon le mirent en garde contre ce qui se passait au Palais-Bourbon : la Chambre des représentants était en ébullition. Une réunion fut immédiatement organisée avec les ministres les plus importants auxquels se joignirent Joseph et Lucien Bonaparte.  La discussion fut bientôt réduite à une série de questions : fallait-il prendre la Chambre de vitesse et proclamer la dictature ? si oui, sous quelle forme ? avec ou sans le soutien des chambres ? Au visage des présents, Napoléon comprit qu’il avait perdu le soutien de la plupart d’entre eux. C’est Regnaud de Saint-Jean d’Angély qui osa aborder le fond du problème. Il parla de « grands sacrifices » à consentir et déclara que la Chambre des représentants souhaitait une prompte abdication. Davout, Lucien et Carnot réagirent avec violence contre cette idée. Ils furent les seuls, premier signe d’un abandon général. On se sépara pourtant sans prendre de décision. Le vaincu de Waterloo était épuisé, physiquement et nerveusement.

Un 18 Brumaire à l’envers

Pendant le conseil des ministres, Fouché n’avait presque rien dit. Depuis que le souverain avait quitté Paris pour l’armée du Nord, le ministre de la Police avait commencé à jouer les premières scènes de son rôle d’homme providentiel. On doit reconnaître qu’en ce qui le concerne, il ne s’agissait pas d’une « trahison ». Il avait tout fait pour rendre impossible le retour de l’île d’Elbe puis, ayant échoué, il avait dès le 20 mars prédit ce qui allait se passer et programmé pour après la première défaite militaire le moment crucial. Pour achever la manœuvre et se retrouver aux commandes de l’État, pour empêcher le retour pur et simple des Bourbons, il devait éloigner l’empereur du centre du jeu afin que, le moment venu, le pouvoir parlementaire y prenne sa place et le désigne lui, Fouché, comme le plus capable de faire face aux malheurs de la nation. Il avait donc besoin que l’agitation parlementaire, à laquelle il n’était déjà pas étranger, se poursuive.

Sur ce dernier point, le duc d’Otrante et ses amis n’eurent guère à forcer leur talent. L’élan que s’étaient donné les libéraux dès la première séance n’était pas ralenti. Les couloirs, les salons et les auberges résonnaient de complots les plus divers. La Fayette apparaissait comme le meneur de toutes les oppositions et s’imaginait tirer les ficelles. Fouché lui laissait pour le moment ce rôle peu discret et risqué. Quelle que soit leur écurie, les opposants s’accordaient cependant sur un point : Napoléon ne pouvait plus gouverner, sauf à se plier aux exigences de la « représentation nationale » au sein de laquelle régnait une ambiance de « ruche d’abeilles en anarchie », selon le mot du général Thiébault.

Très vite, dans la matinée du 21 juin, la nouvelle du retour de Napoléon s’était répandue. Devant l’Élysée, la foule commençait à se masser et à l’acclamer. Ce soutien populaire était presque inutile : c’est ailleurs que le sort du régime se jouait. A midi et quart, tandis que les ministres étaient encore à l’Élysée, la Chambre des représentants entra en séance, sous la présidence de Lanjuinais, élu en son temps contre le candidat de l’empereur, alors Lucien Bonaparte. Tout se passa rapidement. La Fayette monta à la tribune. Il obtint en quelques minutes le vote d’une motion décrétant la permanence de la Chambre et la convocation devant elle des ministres de l’Intérieur, de la Guerre, de la Police et des Affaires étrangères, pour lui rendre compte de la situation. Un des articles de la motion décrétait : « Toute tentative pour dissoudre [la chambre] est un crime de haute trahison ; quiconque se rendrait coupable de cet tentative sera traître à la patrie, et sur-le-champ jugé comme tel ». Pas un mot dans ce texte sur l’empereur et encore moins sur la dynastie : il s’agissait bien d’un coup d’État de la Chambre des représentants. Pour se défendre, les représentants disposaient même de troupes : un détachement de quatre cents gardes nationaux, emmené par le député Benjamin Delessert, vint se placer en travers du pont de la Concorde. On vivait une sorte de 18 brumaire à l’envers.

Réunie pour sa part au Luxembourg, la Chambre des pairs ne connaissait certes pas la même agitation, mais le soutien à l’empereur y était (déjà) mou. Carnot y fut accueilli avec politesse. On le laissa lire à la tribune la version officielle des combats de Belgique, avant d’informer son auditoire du désir de l’empereur de « se concerter avec les Chambres sur les mesures législatives [qu’exigeaient] les circonstances ». Même si elle était exceptionnelle venant d’un homme qui avait tant malmené et méprisé les assemblées, la proposition fut accueillie avec une sorte d’incrédulité : était-ce là tout ce que l’empereur avait à dire, dans des circonstances aussi dramatiques ? Une chape de silence tomba sur la chambre des pairs. L’arrivée de deux messagers de la Chambre des représentants annonçant le vote de la motion La Fayette remit un peu de vie dans les rangs. Alors que Cambacérès laissait le perchoir à Lacépède pour se précipiter à l’Élysée, Thibaudeau prit la parole et proposa à ses collègues d’adhérer à la motion des représentants. Il fut suivi par la majorité des présents. De manière tout à fait inattendue, Napoléon avait quasiment perdu aussi le soutien de la Chambre haute.

L’Empereur accepte le coup de force

À l’Élysée, le chef de l’État paraissait déboussolé (1). Il avait perdu son énergie et, partant, son autorité. Il finit même par laisser les ministres répondre à la convocation des Chambres : « Non seulement l’empereur n’entreprit rien contre la chambre des représentants, mais il se résigna à son coup d’autorité, il entra en communication avec elle et marchanda encore son union et son concours. Les rôles étaient intervertis », témoigna Thibaudeau.

Lucien, Carnot et Caulaincourt se rendirent d’abord au Palais-Bourbon. Ils tentèrent de convaincre que l’armée n’était pas totalement détruite et d’obtenir que les députés se regroupent autour du souverain. La Fayette et ses alliés les contrèrent systématiquement. Selon eux, Napoléon menait l’armée « à sa ruine » et la France ne pouvait pas être sauvée « avec l’empereur ». Il fallait négocier avec l’ennemi et celui-ci ne voulait pas le faire avec le « perturbateur de la paix du monde », comme il n’avait cessé de le dire depuis l’annonce du débarquement de Golfe-Juan. Pour s’en sortir, Lucien proposa qu’une commission de cinq députés vienne travailler avec les ministres. Il parut marquer un point. Jusque-là, Fouché était resté silencieux, convaincu que le frère de l’empereur échouerait. Il sentait la détermination des députés entamée par cette proposition de compromis.  Pour accéder au pouvoir, éviter une bataille devant Paris et une restauration sans conditions de Louis XVIII, il devait se débarrasser rapidement du régime impérial… que ses adversaires parlementaires eux-mêmes étaient sur le point de sauver (ou de prolonger) en acceptant de collaborer avec l’exécutif. Le ministre de la Police lança alors ses complices dans la bataille. Le député Jay prit la parole : « Je prie le président d’interpeller les ministres de déclarer avec franchise s’ils pensent que la France peut résister aux armées combinées de l’Europe, et si la présence de Napoléon n’est pas un obstacle invincible à la paix ? ». Brûlant la politesse aux autres membres de la délégation ministérielle, Fouché se précipita à la tribune pour déclarer que « les ministres [n’avaient] rien à ajouter à leurs rapports antérieurs ». Ce fut comme le signal de l’offensive. S’estimant insatisfait de la réponse « des » ministres, Jay se lança dans un vibrant plaidoyer contre l’empereur. Un tonnerre d’applaudissements accompagna cette intervention. Et comme Lucien tentait de répliquer, La Fayette lui lança : « Depuis dix ans, trois millions de Français ont péri pour un homme qui veut lutter encore aujourd’hui contre l’Europe. Si nous devons encourir de justes reproches, c’est pour avoir montré trop de persévérance. Nous en avons assez fait pour Napoléon ; maintenant, notre devoir est de sauver la patrie ».  Plus personne ne prit la défense du régime impérial. Les représentants nommèrent bien cinq commissaires (Lanjuinais, Flaugergues, La Fayette, Dupont de l’Eure et Grenier) mais leur mission serait plus de dicter leur loi que de collaborer avec les ministres.

La bataille du Palais-Bourbon était perdue. Restait à livrer celle du Luxembourg. Elle fut moins pénible mais se termina aussi par la nomination de cinq pairs chargés de rencontrer les ministres : Boissy d’Anglas, Thibaudeau, Drouot, Dejean et Andréossy.

Avant que les chambres ne cessent leurs travaux pour la nuit, on apprit que le général Durosnel avait mis en alerte toute la garde nationale parisienne (qu’il commandait) pour défendre les assemblées.

Les chambres obtiennent « le sacrifice »

Un peu plus de douze heures après son retour à Paris, Napoléon était acculé. La seule façon de conserver le pouvoir était pour lui de tenter un coup de force. Sur le moment, il tint un langage de fermeté. Sa résolution ne dura guère. Ses principaux conseillers –Maret, Lavalette, Benjamin Constant et même Savary- penchaient pour une abdication en faveur du roi de Rome. Pour sauver l’Empire, disaient-ils en substance, il fallait se décider vite sans quoi les chambres proclameraient la déchéance. « Ils n’oseront pas ! » se récria l’empereur, avant de se rendre compte qu’au point où on en était, « ils » n’avaient plus d’autre choix que d’aller jusqu’au bout. Épuisé par quatre jours de campagne, les émotions de deux grandes batailles et l’inconfort de longues heures de voyage, le souverain paraissait sans ressort et se contentait de « s’indigner de la violence qui lui était faite », nota son valet de chambre, Louis Marchand. Il décida d’attendre encore avant de trancher.

Vers onze heures du soir, dans la salle de réunion du Conseil d’État, aux Tuileries, Cambacérès assembla les deux commissions nommées par les chambres, tous les ministres, les princes Lucien et Joseph, soit une trentaine de personnes. Après que le point ait été fait sur la situation militaire, l’orage jusque là contenu éclata : La Fayette déclara sans fard que, selon lui, aucune paix ne serait possible avec Napoléon sur le trône. Il proposa donc une motion réclamant l’abdication.

Cambacérès refusa de la soumettre au vote, mais accepta de consulter l’aréopage sur l’idée que, puisque l’ennemi refusait de traiter avec l’empereur, les chambres pourraient envoyer au quartier général de Wellington leurs propres négociateurs avec comme mandat de ne sacrifier ni l’intégrité du territoire ni la liberté constitutionnelle. Cette proposition revenait à écarter l’empereur aussi sûrement qu’un renoncement au trône. Fouché, les cinq représentants et le pair Boissy d’Anglas l’appuyèrent. Finalement, vers trois heures du matin, il fut convenu que les chambres désigneraient des commissaires pour traiter avec l’ennemi et que les ministres tenteraient d’obtenir une décision de l’empereur quant à son renoncement au trône. En quittant la réunion, Fouché confia à Thibaudeau : « Il faut en finir aujourd’hui ».

À l’aube du 22 juin, Napoléon oscillait toujours entre la résistance et la résignation. C’est cette dernière qui finit par l’emporter, sous de nouvelles pressions venues du Palais-Bourbon. A huit heures, les représentants avaient repris leur séance. L’impatience les avait gagnés dès les premières secondes : ils avaient entendu parler de la séance des Tuileries et voulaient que toutes les décisions envisagées (délégation, abdication) soient appliquées sans tarder. Lanjuinais gagna du temps jusqu’à onze heures, moment où il ne put faire autrement que de laisser le député (et général) Grenier rendre compte, cette fois en détail, des discussions de la nuit. Le débat sur l’abdication s’emballa. L’Élysée en fut informé et fit prévenir que sa décision serait connue à trois heures de l’après-midi. Dans les couloirs, lors d’une courte suspension de séance, Lucien Bonaparte croisa La Fayette qui le provoqua : si « son frère » n’envoyait pas son abdication, on allait lui envoyer sa déchéance. Lucien répondit du tac au tac : « Et moi je vous enverrai La Bédoyère et un bataillon de la garde ! ».

Le dénouement se joua donc à l’Élysée. On y venait de toutes parts et l’antichambre de l’empereur se remplissait. Carnot et Lucien Bonaparte tentèrent une dernière démarche pour amener Napoléon à la fermeté. Ils échouèrent. L’empereur se retira dans une pièce de ses petits appartements, le « boudoir d’argent », et commença à dicter à Lucien son acte d’abdication qui prit la forme d’une « déclaration au peuple français » : il se retirait en faveur de son fils : « Français, en commençant la guerre pour soutenir l’indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et sur le concours de toutes les autorités nationales ; j’étais fondé à espérer le succès, et j’avais bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances paraissent changées. Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations de n’en avoir jamais voulu qu’à ma personne ! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, Empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L’intérêt que je porte à mon fils m’engage à inviter les Chambres à organiser, sans délai, la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public, et pour rester une nation indépendante ».

C’est ce que Dominique de Villepin a appelé « l’esprit de sacrifice ». On relèvera que ce sacrifice avait été rendu inévitable par deux défaites : la première militaire, la seconde politique. L’une avait été consommée à Waterloo, l’autre au Palais-Bourbon. L’empereur était cerné par les armées des puissances autant que par les forces parlementaires. Ce qui frappe pourtant est qu’il déposa les armes presque sans combattre, en moins d’une journée.

Napoléon II, par la grâce des chambres ou de la constitution ?

Le 26 juin 1815 fleurissait sur les murs de Calais une proclamation annonçant aux populations l’abdication de « Napoléon Bonaparte » (sic) et l’avènement de son fils : « De grands événements viennent de se passer ; il est important que vous les connaissiez. Napoléon Bonaparte a abdiqué. Le Prince Impérial, son fil, a été reconnu à l’unanimité par les chambres, pour son successeur à l’Empire, sous le nom de Napoléon II » (2). Ce texte participe d’une légende qui fit les beaux jours du bonapartisme et est encore prise pour argent comptant par de nombreux napoléonistes. Le fameux historien du Second Empire Adrien Dansette n’écrivait-il pas, pour justifier Napoléon III,  « Napoléon II avait été proclamé empereur par une déclaration de son père, approuvée par la chambre le lendemain, et quelques manifestations de l’autorité publique » (3). En réalité, il n’en fut rien. Le roi de Rome ne fut pas « proclamé » empereur par les chambres. Il n’en avait d’ailleurs juridiquement pas besoin : la succession automatique de son père lui revenait de par la constitution. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut interpréter la « proclamation d’abdication » de Napoléon.
Mais le premier Empereur n’ignorait pas que le respect de la constitution ne serait pas facile à obtenir. Les temps avaient changé depuis le plébiscite de 1804.  Dans un dernier sursaut, l’empereur-sortant avait tenté de sauver politiquement le trône de son fils, dans une sorte de donnant-donnant : l’abdication contre la reconnaissance. Mais lui-même n’était pas optimiste :  « Vous n’avez plus de ressources que dans les Bourbons », aurait-il lâché devant Maret et Lucien..
Dans l’après-midi du 22 juin, deux délégations se rendirent au Palais-Bourbon et au Luxembourg pour les informer les députés et les pairs de l’abdication et de sa condition dynastique. Le roi de Rome fut totalement escamoté des premiers débats. On commença à parler de l’instauration d’un « gouvernement provisoire ». Quelques heures seulement après l’abdication, il n’était presque plus question de Napoléon II.

C’est à la chambre des pairs qu’eut lieu le seul incident. La Bédoyère tenta d’entraîner ses collègues en leur mettant le marché en main : « Si on ne reconnaît pas son fils pour lequel il abdique, il n’a pas abdiqué ». L’argument était fondé, ce que reconnut l’orateur suivant, Boissy d’Anglas, qui ajouta cependant qu’il serait « impolitique d’offrir la couronne à un enfant captif » (4). Les applaudissements de la majorité des pairs sonnèrent le glas du Premier Empire. Quelques instants plus tard, on apprit que Napoléon avait déclaré à une délégation venue le saluer à l’Elysée qu’il pourrait reprndre sa signature si on ne reconnaissait pas son fils. L’annonce de ces propos dans les hémicycles ranima les débats. Passant outre les conditions impériales, les représentants et les pairs entreprirent d’élire la commission provisoire de gouvernement, en dépit d’un dernier discours de Lucien Bonaparte, toujours devant les pairs : « Messieurs, il s’agit en ce moment de prévenir la guerre civile et de conserver à la patrie son indépendance et sa liberté. L’empereur est mort ; vive l’Empereur !, ce sont les deux cris publics, les deux acclamations populaires des monarchies fondées sur une loi constante et pour un avenir durable. Il ne peut y avoir d’intervalle entre l’empereur qui meurt, ou abdique, et son successeur ; toute interruption serait anarchie […]. Dès lors, la proposition de former un Conseil de régence devra seule vous occuper, car, seule, elle est conciliable avec la transmission non interrompue du pouvoir […]. Je vous adjure donc, Messieurs, comme gardiens héréditaires de la foi publique et des lois fondamentales, je vous adjure, au nom de notre droit constitutif et des libertés qu’il consacre, de repousser une entreprise anticonstitutionnelle, et d’être fidèles à vous-mêmes et à la France, en proclamant aujourd’hui Napoléon II ». Ségur, Flahaut, Maret et Roederer virent appuyer le frère de l’empereur. Ils ne furent pas entendus.

La chambre des pairs bascula sur l’intervention inattendue de l’amiral Decrès : « Est-ce le moment de s’occuper des personnes ? Avant tout la patrie ! Elle est en danger ; ne perdons pas un moment pour prendre des mesures que son salut exige. Je demande que la discussion soit fermée ». Finalement, après un vote qui marqua la défaite des partisans de l’Empire, le président Lacépède fit adopter des remerciements à Napoléon 1er et élire les pairs membres du gouvernement provisoire (Caulaincourt et Quinette) qui allèrent rejoindre ceux désignés par les représentants (Fouché, Grenier et Carnot). Il était trois heures du matin. On alla se coucher et c’est véritablement le lendemain que la question « Napoléon II » fut définitivement tranchée.

Une ultime tentative de défendre l’indivisibilité de l’abdication fut tentée, sur demande de Napoléon, par Boulay de la Meurthe et Defermon. La chambre des représentants les laissa s’exprimer dans le calme. Celui-ci fut rompu par l’intervention du député Manuel. Il obtint qu’aucune motion proclamant Napoléon II ne soit votée : selon lui, son avènement allait de soi, par la simple mécanique constitutionnelle, et il n’était pas utile de le confirmer. Il fut acclamé. La séance s’acheva même aux cris de Vive l’empereur !.

L’Aiglon avait été tacitement reconnu, en application d’une constitution qui n’existait plus et sous un gouvernement provisoire dont le premier des buts était de mettre fin à l’Empire.

Notes

(1) Sur les événements parisiens des 22 et 23 juin 1815, nous renvoyons à notre ouvrage Nouvelle histoire du Premier Empire. IV. Les Cent-Jours (1815), Fayard, 2010.
(2) Affiche datée du 26 juin 1815, imprimée à Boulogne, catalogue de vente, étude Couteau-Bégarie, 1er juillet 2004, n° 116. Souligné par nous.
(3) Du 2 décembre au 4 septembre, Hachette, 1972, p. 41.
(4) Les procès-verbaux des débats parlementaires figurent dans le volume 40 de P. J.-B. Duchez et P.-C. Roux, Histoire parlementaire de la révolution française, ou Journal des Assemblées nationales, de 1789 à 1815, Libraire Paulin, 1888.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
HS 04
Numéro de page :
pp.20-27
Mois de publication :
Décembre
Année de publication :
2011
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