28 mai 1807 : Le maréchal Lefebvre devient duc de Dantzig

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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La vie et la carrière de François Joseph Lefebvre offrent un bel exemple de ce que la Révolution a permis aux enfants du peuple. Sans les événements formidables qui suivirent 1789, cet homme aurait peut-être finit bas-officier de l’armée de l’Ancien Régime. Grâce à sa bravoure, son dévouement (ce que Napoléon appelait son « feu sacré »), mais aussi grâce à la chance, il mourut maréchal de France et duc, riche et honoré. Nanti du titre de duc de Dantzig dès mai 1807, il fut un des premiers titrés de ce que l’on appelle improprement la « noblesse » d’Empire. L’Empereur ne le choisit pas par hasard : il était emblématique de toute une génération de généraux et de serviteurs de la patrie. Bref retour sur la vie d’un homme qui n’était pas seulement le mari de Madame Sans-Gêne…

28 mai 1807 : Le maréchal Lefebvre devient duc de Dantzig
Maréchal François-Joseph Lefebvre, duc de Dantzig en 1807, Césarine Davin-Mirvault
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux

Né à Rouffach le 28 mai 1755, orphelin d’un meunier alsacien qui avait servit dans les hussards, Joseph Lefebvre fut élevé par un oncle qui, lui-même prêtre, voulut sans succès lui faire embrasser la carrière ecclésiastique. Il entra au service du procureur de Colmar comme clerc mais ayant sans doute déjà la bougeotte, il s’engagea dans les gardes françaises en 1773. Il gagna donc la capitale, premier hasard bénéfique. Commença ainsi une lente ascension qui le vit passer du grade de caporal, obtenu en 1777, à celui de premier sergent, en avril 1788. Lors des événements de 1789, il était donc à Paris, mais n’y joua pas un rôle essentiel : il aurait simplement sauvé quelques péquins menacés par la foule. Après la dissolution de son unité, il entra dans la garde nationale soldée de Paris, obtint le grade de lieutenant et fut blessé en défendant la famille royale lors d’une émotion populaire. Il fut bientôt versé dans une unité régulière d’infanterie.

Général de la Révolution

Lefebvre était capitaine à la déclaration de guerre d’avril 1792 et, la disparition des cadres aidant, progressa rapidement jusqu’à devenir général de brigade à l’armée de Moselle, le 2 décembre 1793. Il multiplia les actions d’éclat, montrant un courage, une fougue et une ténacité exceptionnels. Ce diable d’homme commandait bien et montrait l’exemple, n’hésitant pas à mener les charges ou les assauts. Très vite remarqué, il fut nommé à la tête de plusieurs divisions avec lesquelles il remporta un grand nombre de succès sur les fronts belges et rhénans. C’est là qu’il rencontra Kléber, Alsacien comme lui, qui le prit sous sa protection et donna un nouvel élan à sa carrière. Il combattit avec lui pendant plusieurs années, commandant même un temps l’armée de Sambre-et-Meuse.
Général de division connu et reconnu, il se lança dans la politique à la fin du Directoire. Elu au conseil des Cinq-Cents en mai 1799, il fut même présenté comme candidat à la fonction de Directeur à la place de Treilhard. Il ne fut pas élu mais, en compensation, obtint le commandement de la division militaire de la capitale. Déjà riche en surprises et en événements, son destin bascula alors. On était à quelques mois de changements radicaux dans la politique et les institutions de la République.

Sénateur et maréchal de l’Empire

Lors du coup d’État de Brumaire, le concours de la garnison de Paris était indispensable aux conspirateurs. Approché par l’entourage de Sieyès, Lefebvre ne se montra pas défavorable à l’oprétauon de « régénération » qui se préparait. Au premier jour de l’action, le 18 brumaire, Bonaparte se fit nommer à la tête des troupes de Paris. Il eut l’habileté de conserver Lefebvre auprès de lui. Le duo fonctionna fort bien et on peut dire qu’à ce moment, la fortune de celui qui avait accepté de n’être que second fut faite. Le nouveau maître sut « renvoyer l’ascenseur », d’autant que Lefebvre paraissait déjà lui être dévoué corps et âme. Un nouveau et large commandement, celui des trois divisions militaires entourant Paris, lui fut confié dès le lendemain de la prise de pouvoir. Il s’y montra efficace et loyal, même s’il avait ses humeurs et son franc-parler. Bonaparte commença à le couvrir d’honneurs : sénateur (il présida même un temps la chambre haute), membre de la Légion d’Honneur et commandant de la 5è cohorte, grand aigle en 1805. Évidemment, le 19 mai 1804, Lefebvre figura sur la liste des quatre sénateurs nommés à ce titre maréchaux de l’Empire. Au sacre, c’est lui qui porta l’épée dite « de Charlemagne ».
On aurait pu penser que, compte tenu de son âge et de sa position, Lefebvre ne retournerait plus au feu. C’était mal le connaître et mal connaître l’estime que l’Empereur avait pour lui. Il lui confia le corps de réserve réuni autour de Mayence, en septembre 1805, en même temps que le commandement de trois départements de la rive gauche du Rhin. Puis, pendant la campagne de 1806, Napoléon le plaça à la tête de l’infanterie de la Garde impériale. Le 23 janvier 1807, il lui confia la direction du siège de Dantzig.
À force de ne voir dans la manœuvre napoléonienne que le mouvement, on a oublié que le siège des places fortes y avait aussi sa place. La campagne de 1806-1807 en offre un excellent exemple. Le blocus de Dantzig est restés célèbre. Lefebvre, même s’il ne fut pas toujours félicité par un empereur impatient, s’en tira plutôt bien. Secondé par Drouet d’Erlon, Chasseloup-laubat (un génie du Génie), Kirgener et Lariboisière, commandant avec fermeté des troupes bigarrées formées majoritairement d’Allemands et de Polonais (« tous ne comprenaient pas les insultes de leur chef » a écrit Jean-paul Bertaud), il s’exposa personnellement lors de plusieurs assauts. Il reçut la capitulation de la ville le 24 mai 1807.
Quatre jours plus tard, Napoléon le faisait duc héréditaire de Dantzig.

Duc de Dantzig

On donne traditionnellement comme date de la création de la « noblesse » d’Empire un décret du 1er mars 1808. Et l’on ajoute que la nomination de Lefebvre comme duc de Dantzig était, de la part de Napoléon, une sorte de « ballon d’essai ». Nous pensons qu’il faut nuancer cette tradition.
Partant du principe que « l’on a vraiment détruit que ce que l’on a remplacé », Napoléon n’avait en effet cessé d’instaurer des titres depuis son avènement impérial. Et d’abord dans la constitution de l’an XII qui créait des princes français entourant l’empereur. Mais c’est par un sénatus-consulte du 14 août 1806 que fut engagée la systématisation de cette pratique. Voté pour rendre applicable les décrets des 30 et 31 mars 1806 organisant la famille impériale, ce texte avait rendu constitutionnel (car adopté sous la forme d’un sénatus-consulte) le principe même de la création des titres. Ses dispositions concernaient certes les duchés et fiefs créés par les décrets mais aussi « les autres titres que Sa Majesté [pourrait] ériger à l’avenir ». Les auteurs napoléoniens n’ont pas toujours pris en compte cet important élément juridique. Le décret du 1er mars 1808 ne fit dès lors que préciser les modalités d’application du texte voté par le Sénat neuf mois plus tôt. Il suffit d’ailleurs de lire les textes de 1808 pour s’en rendre compte : ils se fondent sur le sénatus-consulte de 1806 auquel ils se réfèrent explicitement dans leurs considérants.
Le délai respecté par Napoléon avant de mettre en œuvre librement cette faculté « d’ériger d’autres titres » montre qu’il avait conscience que l’idée de créer une nouvelle « noblesse » (le mot ne fut pas utilisé car il rappelait trop la notion « d’ordre » abolie par la Révolution) devait être maniée avec soin et prudence dans une société très attachée à l’égalité. L’opinion ne devait pas ressentir la création systématique des titres comme un retour sur les principes révolutionnaires. On ne devait créer de titre que pour récompenser le mérite.
Jusqu’à la nomination de Lefebvre, l’évolution nobiliaire du régime avait été lente et maîtrisée. Un an après que la constitution eut créé les princes français, les beaux-frères Bacciochi (mari d’Élisa Bonaparte) et Borghèse (mari de Pauline) avaient été élevés à la même dignité. Avec les décrets des 30 et 31 mars 1806, Pauline (Guastalla), Talleyrand (Bénévent), Murat (Clèves-Berg), Berthier (Neufchâtel) et Bernadotte (Ponte-Corvo) avaient été nantis à leur tour, tandis qu’une réserve de « grands fiefs » était mise à disposition de l’empereur et que le sénatus-consulte du 14 août 1806 offrait discrètement des possibilités illimitées d’anoblissement.
Le Rubicon nobiliaire fut définitivement franchi le 28 mai 1807, avec la dévolution à Lefebvre du titre héréditaire de duc de Dantzig. Le maréchal ne recevait aucun droit de souveraineté, ni aucune rente sur Dantzig. Il était simplement élevé en raison d’une action d’éclat : la prise de la ville. Napoléon s’en expliqua dans un long message au Sénat, précaution remarquable car il ne se donna pas toujours un tel mal pour justifier ses décisions.
Le choix d’un homme véritablement issu du peuple et du rang ne devait rien au hasard. Il permettait de mettre en relief que c’était bien le mérite personnel (notion révolutionnaire) et non la naissance (notion d’Ancien régime) qui assurait la réussite sociale. L’octroi du titre n’était pas un prétexte pour emplumer davantage un homme déjà favorisé mais avait un objectif pédagogique : le choix s’était porté sur un vieux serviteur de la patrie.
On raconte que lors d’un entretien avec son souverain, celui-ci lui offrit… une boîte de chocolat. Interloqué, le maréchal ne l’ouvrit qu’une fois rentré dans ses quartiers. La boîte contenait trois cents mille francs en billets de la Banque de France. La troupe surnomma immédiatement l’argent : « Les chocolats de Dantzig ». Les lettres patentes de Lefebvre ne furent délivrées que le 10 septembre 1808.

Commandant de l’infanterie de la Vieille Garde

On aurait pu croire enfin que le nouveau duc, alors âgé de 58 ans, allait pouvoir jouir de ses rentes, aux côtés de sa femme Catherine Hubscher, la fameuse « Madame Sans-Gêne », ancienne blanchisseuse épousée en 1783, qui lui avait donné quatorze enfants ( !) dont deux seulement avaient survécu. Il n’en fut rien.
Alors que ses lettres patentes n’étaient pas encore signées, le duc de Dantzig partit pour l’Espagne. Il s’y illustra encore, battant La Romana à Durango (31 octobre 1808) et Blake à Guenes et Valmeceda (7 et 8 novembre). Et comme la route d’un maréchal de Napoléon se poursuivait toujours et traversait l’Europe, on le retrouva quelques mois plus tard à l’armée d’Allemagne, gagnant à Arnofhen (19 avril 1809), combattant à Eckmühl (22 avril) et pacifiant avec dureté le Tyrol.
Avec tout l’Empire, il se reposa ensuite jusqu’à la campagne de Russie à laquelle il participa comme commandant de l’infanterie de la Vieille Garde. Il participa à la bataille de la Moskova puis à la retraite, rentrant en France en janvier 1813. Toujours avec la Vieille Garde, il fut à Champaubert, Montmirail et Montereau, avant de rentrer à Paris. Il aurait bien aimé défendre la ville mais on sait que cela ne fut pas nécessaire. Les trahisons avaient commencé. Lefebvre s’assit d’ailleurs dans son fauteuil de sénateur pour voter la déchéance, le 4 avril 1814.
Louis XVIII le conserva à la chambre des pairs. Napoléon l’y maintint. Il en fut donc exclu après Waterloo et n’y rentra qu’en 1819. Il mourut à Paris, le 14 septembre 1820 et repose depuis au Père-lachaise.

Thierry Lentz
Novembre 2006

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