Présentation du contexte
Le 23 octobre 1812, le général Malet se présenta devant la 10e cohorte de la Garde nationale, caserne Popincourt, pour annoncer la mort de Napoléon (alors en pleine Campagne de Russie) et lire un sénatus-consulte, daté du 22 octobre, annonçant la formation d'un gouvernement provisoire et la fin de la guerre. Après l'arrestation du préfet Pasquier et du ministre de la Police Savary, et la maîtrise de la garde de Paris commandée par le colonel Rabbe, Malet semblait le maître de la capitale. Mais l'opposition du général Hulin, gouverneur militaire de Paris, fit échouer le complot. Arrêté le jour même, jugé le 28, Malet fut fusillé le 29 octobre.
Voici le texte du sénatus-consulte, daté du 22 octobre 1812, qui servit au général Malet dans sa tentative de renversement du régime, et dont il n'avoua jamais le nom de l'auteur.
Texte du Sénatus-consulte
La séance est ouverte à huit heures du soir sous la présidence du sénateur Sieyès.
Le Sénat réuni extraordinairement s'est fait donner lecture du message qui lui annonce la mort de l'Empereur Napoléon qui a eu lieu sous les murs de Moscou, le 7 de ce mois.
Le Sénat, après avoir mûrement délibéré sur un événement aussi inattendu, a nommé une Commission pour aviser, séance tenante, aux moyens de sauver la Patrie des dangers imminents qui la menacent ; après avoir entendu le rapporteur de sa Commission,
A décrété, et nous ordonnons ce qui suit :
Article 1er – Le Gouvernement impérial n'ayant pas rempli l'espoir de ceux qui en attendaient la paix et le bonheur des Français, ce gouvernement et ses institutions sont abolis.
Article 2 – Ceux des grands dignitaires civils et militaires qui voudraient user de leurs pouvoirs ou de leurs titres pour entraver la régénération publique, sont mis hors la loi.
Article 3 – La Légion d'honneur est conservée. Les croix et les grands cordons sont supprimés. Les légionnaires ne porteront que le ruban, en attendant que le gouvernement ait déterminé un mode de récompense nationale.
Article 4 – Il est établi un Gouvernement provisoire, composé de quinze membres dont les noms suivent :
MM le général Moreau, président ; Carnot, ex-ministre, vice-président ; le général Augereau ; Bigonet, ex-législateur ; Destutt-Tracy, sénateur ; Florent-Guyot, ex-législateur ; Frochot, préfet du département de la Seine ; Jacquemont, ex-tribun ; Lambrechts, sénateur ; Montmorency (Mathieu) ; Malet, général ; Noailles (Alexis) ; Truguet, vice-amiral ; Volney, sénateur ; Garat, sénateur.
Article 5 – Ce Gouvernement est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, de traiter immédiatement de la paix avec les Puissances belligérantes, de faire cesser les malheurs de l'Espagne, de rendre à leur indépendance les peuples de Hollande et d'Italie.
Article 6 – Il fera présenter le plus tôt possible un projet de Constitution à l'acceptation du Peuple français réuni en assemblées primaires.
Article 7 – Il sera envoyé une députation à S.S. le Pape Pie VII pour la supplier au nom de la Nation, d'oublier les maux qu'il a souffert et pour l'inviter à venir à Paris, avant de retourner à Rome.
Article 8 – Les Ministres cesseront leurs fonctions et ils remettront leurs portefeuilles à leurs secrétaires généraux ; tout acte subséquent de leur part les mettrait hors la loi.
Article 9 – Les fonctionnaires publics, civils, judiciaires et militaires continueront leurs fonctions ; mais tout acte qui tendrait à entraver la nouvelle organisation les mettrait hors la loi.
Article 10 – Les décrets sur les bans de la Garde nationale sont rapportés : ceux qui ont été appelés aux armées d'après ces lois sont autorisés à rentrer dans leurs foyers.
Article 11 – La Garde nationale sera sur le champ organisée dans tous les départements par municipalité, et conformément aux anciennes lois sur ce sujet.
Article 12 – Les militaires de tout grade composant la Garde impériale, la Garde de Paris et les troupes qui s'y trouvent actuellement en garnison formeront la Garde du gouvernement ; le congé de solde sera donné à ceux qui le demanderont.
Article 13 – Il est accordé une amnistie générale pour tout délit provenant d'opinion politique et délit militaire, même de désertion à l'étranger. Tout émigré, déporté ou déserteur qui voudra rentrer en France, d'après cette disposition, sera seulement tenu de se présenter à la première municipalité frontière pour y faire sa déclaration et recevoir un passeport pour le lieu qu'il désignera.
Article 14 – La mise hors la loi, outre les peines corporelles, entraîne la confiscation des propriétés.
Article 15 – La liberté de la presse est rétablie, sauf la responsabilité.
Article 16 – Le général Lecourbe est nommé commandant en chef de l'armée centrale qui sera assemblée sous Paris, au nombre de cinquante mille hommes.
Article 17 – Le général Malet remplacera le général Hulin dans le commandement de la place de Paris, ainsi que de la première Division militaire. Il pourra nommer les officiers généraux et d'état major qu'il croira nécessaires pour le seconder.
Il est particulièrement chargé de faire réunir les membres du Gouvernement provisoire, de les installer, de veiller à leur sûreté, de prendre toutes les mesures de police qu'il lui paraîtront urgentes, et d'organiser leur garde.
Il est autorisé à donner des gratifications à ceux des citoyens et des militaires qui le seconderont, et qui se distingueront dans cette importante circonstance par leur dévouement à la Patrie. Il est, à cet effet, mis à sa disposition une somme de quatre millions, à prendre sur la Caisse d'amortissement.
Article 18 – Il sera fait une adresse au Peuple français et aux armées pour leur faire connaître les motifs qui ont déterminé le Sénat à changer le mode de gouvernement, à les rendre à leurs droits si souvent violés, et à les rappeler à leurs devoirs trop longtemps oubliés.
Il se dévoue pour la Patrie ; il a l'assurance qu'il sera courageusement secondé par les citoyens et par les armées pour rendre la Nation à l'indépendance, à la liberté et au bonheur.
Article 19 – Le présent sénatus consulte sera proclamé sur le champ dans Paris, à la diligence du général Malet, et envoyé à tous les départements et aux armées par le gouvernement provisoire.
Les Président et Secrétaires
Signé Sieyès, président, Lanjuinais, Grégoire, secrétaires
Certifié conforme à la minute restée entre mes mains
Le général de division commandant en chef la force armée de Paris et les troupes de la 1ère Division militaire
Signé Malet
Source : SHD, dossier Malet.