Augustin Fresnel : de Napoléon-ville au chat de Schrödinger, la carrière d’un ingénieur exceptionnel de Napoléon

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
Partager

Entre 1818 et 1822, Augustin Fresnel apporte sa pierre à l’édifice de la recherche sur la nature d’un phénomène universel : il confirme la théorie ondulatoire de la lumière. Fresnel est ainsi connu internationalement pour cette contribution au plus grand débat, peut-être, qui anime la physique depuis l’Antiquité, grossièrement résumable à la question « La lumière est-elle sécable ou pas ? ». Fait moins célèbre, ce scientifique a débuté sa carrière pendant le Premier Empire, en tant qu’ingénieur issu de l’école des Ponts et Chaussées, dont il est sorti en 1809.

Augustin Fresnel : de Napoléon-ville au chat de Schrödinger, la carrière d’un ingénieur exceptionnel de Napoléon
© INHA

Jean-Augustin Fresnel naît le 10 mai 1788, d’un père architecte et d’une mère de la famille Mérimée, à Broglie (Eure). Prosper Mérimée est le cousin germain d’Augustin. Ces lieu de naissance et ascendance maternelle joueront un rôle dans sa reconnaissance scientifique et sa postérité. Les Mérimée aideront à faire connaître les travaux du jeune homme issu d’une fratrie orientée vers les sciences (lieutenant d’artillerie, son frère aîné meurt durant la campagne d’Espagne de 1809 ; ses frères cadets sont ingénieur et linguiste). Et Louis de Broglie sera un de ses successeurs les plus connus dans le domaine de la recherche en Physique puisqu’il s’intéressera également à la nature ondulatoire de la lumière et proposera de l’étendre à toute la matière, travaux qui lui vaudront le Prix Nobel de Physique en 1929.

Fresnel, bien que venant d’une famille royaliste, est en fait le pur produit des institutions révolutionnaires mises en place en 1795 : de 1801 à 1804, il fait sa scolarité à l’école centrale, à Caen. Puis il est formé à l’École polytechnique, pendant deux ans. En intégrant l’école des Ponts et Chaussées, en 1806, il se coule tout naturellement dans le moule d’une formation grandement réformée par Napoléon. L’école des ingénieurs-arpenteurs a en effet été profondément restructurée par décret impérial du 27 messidor an XII (16 juillet 1804). De fait, il devient fonctionnaire de l’État napoléonien et sa première affectation le conduit à l’aménagement de… Napoléon-Ville, future La Roche-sur-Yon, en 1811.

Remplissant ses missions par conscience professionnelle mais également par passion, Fresnel ne porte pas Napoléon dans son cœur. Affecté dans la Drôme pendant que se déroule la campagne de France, il accueille le retour des Bourbons en 1814 avec enthousiasme et va jusqu’à prendre les armes contre l’Empereur lors des Cent-Jours, si bien qu’il est démis de ses fonctions (qu’il réintègrera lors de la Seconde Restauration).
C’est pendant cette période de désœuvrement qu’il se tourne vers la recherche. Il a en effet jeté son dévolu sur l’optique depuis quelques mois déjà, totalement novice en la matière. Il a même demandé à un ami parisien dans une lettre du 28 décembre 1814 de l’aider à en maîtriser les fondamentaux : « Je ne sais ce qu’on entend par polarisation de la lumière, écrivait-il; priez M. Mérimée [NdR : le peintre Léonor Mérimée, père de Prosper Mérimée], mon oncle, de m’envoyer les ouvrages dans lesquels je pourrais l’apprendre. » (Source : La Science populaire : journal hebdomadaire illustré, 19 août 1880).
Dès l’année suivante, alors que l’Empire s’effondre définitivement, Fresnel commence déjà à formuler de nouvelles hypothèses sur la nature apparemment paradoxale de la lumière, qui se comporte à la fois comme une onde (flux indénombrable, infini) et comme un faisceau de particules (flot de corps séparables, avec une vitesse définissable), selon les propriétés que l’on considère.

Fresnel contredit les théories, consensuelles alors, développées par Newton à la fin du XVIIe siècle sur la nature uniquement corpusculaire de la lumière. L’ingénieur suit une autre école de la physique, alors minoritaire : celle de Huygens, ou encore de Young. Il formalise mathématiquement le comportement en onde de la lumière, notamment la courbure de cette onde lors du phénomène de diffraction lumineuse, qui rend compte d’une réalité : les rayons de la lumière sont déviés à proximité des corps opaques. Ce phénomène était resté inexpliqué par la vision corpusculaire développée par Newton. Fresnel reçoit, en 1819, un prix de l’Académie des sciences pour ces travaux.

« Passionné de physique, il réussit à fonder l’essentiel de la science de l’optique au début du XIXe siècle. Il lui revient d’avoir expliqué et formalisé le fait que la lumière est une sorte d’ébranlement qui se propage en cercles dans un milieu étendu, ou éther matériel, à partir de la source de l’éclairement, par analogie avec la propagation du son dans l’air. La compréhension des phénomènes d’interférences en découle. Il explique aussi de cette façon la propagation des rayons lumineux en ligne droite, utilisant le concept de front d’onde perpendiculaire à la direction de propagation. » (Extrait du résumé de l’intervention « Augustin Fresnel et la théorie ondulatoire de la lumière » par Michèle Leduc, directrice de recherches émérite, CNRS, journée d’études « La lumière au prisme d’Augustin Fresnel entre arts et sciences (1790-1900) » Auditorium du Louvre, 2 novembre 2015).

Ce principe deviendra le « Principe de Huygens-Fresnel ». L’expérience que Fresnel réalise pour en faire la démonstration devant l’Académie (et qu’on peut facilement reproduire chez soi) restera connue sous le nom de « tâche de Fresnel » ou encore « point blanc de Poisson » (curieusement, du nom du professeur qui se voulait détracteur de la théorie du jeune physicien).

Fresnel vient de poser les bases de l’optique contemporaine et il ouvre la voie à la théorie de l’électromagnétisme de Maxwell, développée sous le Second Empire. En renforçant les connaissances sur la lumière en tant qu’onde, Fresnel n’a pas éliminé l’autre hypothèse sur la nature de la lumière, faisceau de particules. Mais il a posé de nouveaux jalons rationnels pour la science du XIXe s.

Cette réflexion continuelle aboutira au début du XXe s. aux hypothèses d’Einstein, de Broglie et les autres pionniers de la physique quantique : les concepts de photon et de quanta d’énergie lumineuse réconcilient les tenants de la nature corpusculaire et ceux de la nature ondulatoire de la lumière en introduisant une notion d’onde de probabilité au comportement de la particule lumineuse. Avant observation, la nature ondulatoire permet de quantifier la probabilité de mesure de la particule à tel endroit ; après expérience, la nature corpusculaire permet d’en faire la mesure précise. Cette problématique de la mesure avant/après expérience a été résumée par le paradoxe du chat de Schrödinger… dont Fresnel est donc un des lointains « maîtres ».

Fresnel n’a pas été qu’un théoricien génial. Nommé commissaire aux Phares en 1819, il contribuera à l’amélioration du système lumineux de ces derniers en proposant un nouveau système d’éclairage formalisé en 1822 (le principe des lentilles de Fresnel est encore largement utilisé de nos jours). Alors atteint de tuberculose, il est élu membre de l’Académie des sciences l’année suivante. Il meurt le 14 juillet 1827, à l’âge de 39 ans. Son frère Léonor lui succède au commissariat aux Phares et contribuera à faire publier l’œuvre d’Augustin Fresnel (cf. bibliographie indicative).
Pour sa contribution à l’amélioration de nos connaissances sur la lumière, il fait partie des 108 savants retenus pour la grande fresque La fée Électricité, de Raoul Dufy, commandée pour l’Exposition internationale de 1937. 

Augustin Fresnel par Raoul Dufy, dessin, 1936 © Centre Pompidou
Augustin Fresnel par Raoul Dufy, dessin, 1936 © Centre Pompidou

Marie de Bruchard
Avril 2022

Bibliographie indicative

Partager