Une chronique d’Arnaud Teyssier : Napoléon III par Philippe Séguin

Auteur(s) : TEYSSIER Arnaud
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S’il découvre aujourd’hui le Louis-Napoléon le Grand de Philippe Séguin, paru chez Grasset en 1990, le lecteur pressé pourrait croire qu’il s’agit d’une de ces « grandes biographies » composées par de « petites mains » industrieuses pour le compte d’hommes politiques en mal d’image, selon un usage très en vogue au cours des dernières décennies… Or le « Napoléon III » de Philippe Séguin n’entre pas vraiment dans cette catégorie. De surcroît, j’ai été personnellement témoin de ses derniers moments d’écriture, de ses relectures, de ses corrections multiples : si à l’évidence l’ancien ministre a été aidé, sur le plan documentaire, par des proches, le livre lui-même reste bien son œuvre, sans cesse remise sur le métier « dans le train, l’avion, en auto »…

Une chronique d’Arnaud Teyssier : Napoléon III par Philippe Séguin
Arnaud Teyssier

Après sa brève et difficile expérience de ministre des Affaires sociales sous la première cohabitation (1986-1988), le député-maire d’Epinal s’ennuyait un peu. Son propre camp – le RPR de Jacques Chirac – l’agaçait passablement par des réorientations qui lui paraissaient chaque jour de moins en moins gaullistes, et le pouvoir en place – François Mitterrand à l’Elysée et Michel Rocard à Matignon – lui semblait également parti pour de laborieuses recompositions. Philipe Séguin avait le goût de l’histoire depuis son enfance tunisienne (il fit, un temps, des études à Aix auprès de maîtres prestigieux) et ne le perdit jamais, même lorsqu’il décida de passer l’ENA, avant d’entrer en politique quelques années plus tard.

En cette fin des années 80, la tentation de l’écriture historique lui vint donc de manière presque naturelle : au cours d’un dîner en ville, où il sortit de son silence pour défendre la mémoire de Napoléon III qui lui paraissait injustement attaquée dans le feu de la conversation. Ses hôtes lui firent rencontrer l’état-major des éditions Grasset, qui lui proposa d’écrire une biographie de l’empereur en forme de réhabilitation. L’éditeur n’était pas naïf : une figure montante de la politique française, se réclamant du général de Gaulle et s’attaquant à la vie d’un personnage controversé, tout cela pouvait faire un beau succès de librairie. En retour, sans être dupe, Philippe Séguin ne pouvait que se laisser tenter : il se doutait certainement que l’on esquisserait des parallèles, et il ne tiendrait qu’à lui que ces parallèles fussent flatteurs. Beaucoup de traits de Napoléon III pouvaient paradoxalement séduire ce républicain convaincu, et lui permettre d’adresser quelques messages politiques plus que subliminaux : l’empereur social… et pourtant maître d’œuvre en parallèle d’une formidable période d’expansion économique ; le côté prophète et « perpétuel incompris » du personnage ; le sens de l’autorité, aussi, et la passion de la modernité administrative.

Au début de 1990, alors qu’il était en campagne avec Charles Pasqua pour la reconquête idéologique du RPR, Séguin mit la dernière touche à son ouvrage. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Une entreprise de réhabilitation délibérée, et en ce sens, l’ouvrage est moins novateur qu’il n’y paraît : depuis un certain temps déjà, les historiens avaient rétabli l’équilibre sur cet empereur mal aimé. La politique étrangère, désastreuse, était plus difficile à justifier. Mais Philippe Séguin, dans son livre, glissait assez rapidement sur ce sujet. Ce qui l’intéressait surtout ? Le mélange, donc, de politique autoritaire et d’esprit social dans un contexte de modernisation économique très volontariste ; mais aussi, par exemple, la compréhension prophétique de l’Algérie avec le projet de royaume arabe. Au total, la preuve ainsi faite qu’il n’existe pas de contradiction entre le libéralisme économique – notamment le libre-échange – et un Etat fort, entre l’intervention constante de la puissance publique et l’émergence d’une société autonome. Par moments, l’identification de l’auteur au personnage – un « homme seul » – était flagrante : « On est bien obligé de convenir qu’il n’a vraiment pas été bien compris. Parce qu’il voyait trop loin, trop grand et, surtout, trop tôt. » Les têtes de chapitre parlaient d’ailleurs d’elles-mêmes : « le politique », « le mondialiste », « le rénovateur », « le libéral »

Au total, la dimension « autoportrait » était bien présente… mais quel biographe, même non politique, est-il à même d’échapper totalement à ce phénomène d’adhérence ? Philippe Séguin a bien écrit un véritable livre d’histoire, intéressant et enlevé, qui va rencontrer dès sa sortie, en septembre 1990, un succès important, facilité il est vrai par une forte couverture médiatique : au total, en moins de trois ans, et en tenant compte de toutes les éditions (club, livre de poche), les ventes atteindront 100.000 exemplaires. Et Séguin y gagnera une notoriété affectée d’un « coefficient » d’estime intellectuelle sans doute plus élevé que la moyenne chez les hommes politiques saisis par le démon de l’écriture.

Il faut ajouter qu’il éprouvait un attachement sincère pour Napoléon III, et qu’il eut toujours en tête de faire revenir un jour d’Angleterre ses cendres et celles de l’impératrice, en l’église Saint-Augustin. Il en parlait souvent…

Arnaud Teyssier est historien et enseigne à SciencesPo. Il vient de publier une biographie de Philippe Séguin, aux éditions Perrin.

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