Correspondance générale de Napoléon Bonaparte. Tome 5 : Boulogne, Trafalgar, Austerlitz : introduction

Auteur(s) : KERAUTRET Michel, MADEC Gabriel
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Le cinquième volume de la Correspondance générale de Napoléon Bonaparte rassemble 1 764 lettres pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1805. Ce volume ne couvre donc qu'une seule année, à la différence des précédents. Mais quelle année ! Boulogne, Trafalgar, Austerlitz en forment les jalons les plus marquants. L'année 1805 voit en effet la formation d'une nouvelle coalition, la troisième selon le compte traditionnel, qui part de 1792. Une fois de plus, elle est fomentée par l'Angleterre, désireuse d'éloigner la menace d'invasion : celle-ci trouve d'abord dans la Russie, puis dans l'Autriche, les alliés continentaux qui détournent Napoléon vers le continent. Sans qu'on le sache encore, ce basculement sera irréversible, Trafalgar aidant. C'est dire que l'année 1805 est déterminante pour l'histoire napoléonienne.
Plus de 35 % des lettres rassemblées ici ne figuraient pas dans la Correspondance éditée sous le Second Empire, et un quart n'avait pas été publié non plus dans les monographies de référence. Par ailleurs, grâce aux fonds mis à notre disposition, plus d'un tiers des lettres publiées ici ont pu être confrontées aux originaux, c'est-à-dire aux expéditions et non aux copies ou minutes (1).
En examinant la liste des destinataires, on peut classer – par grands thèmes –, les principaux sujets abordés dans cette cinquième partie de la Correspondance. Au premier rang, les questions militaires et la guerre – sur mer et sur terre –, qui occupent 783 lettres (soit plus de 44 % du total). Napoléon y aborde tous les sujets, de la haute stratégie, notamment maritime, au détail en apparence le plus trivial, tel que les fameux souliers. Berthier est une nouvelle fois le principal destinataire (301 lettres). Il est vrai qu'il cumule les fonctions de ministre de la Guerre et de major général des camps, puis de la Grande Armée. Vient ensuite Decrès, le ministre de la Marine (190 lettres).
Politique étrangère et diplomatie font l'objet de 381 lettres, soit près de 22 % de l'ensemble, dont 244 sont adressées directement par l'Empereur aux chefs d'Etat étrangers. Soulignons toutefois que la majorité (106 lettres) est destinée au vice-roi d'Italie, car Napoléon « télécommande » le gouvernement milanais d'Eugène (2).
Le reste se partage entre une multitude d'affaires intérieures qui concernent la marche du gouvernement : les questions financières, la police (115 lettres adressées à Fouché), la justice et les grands travaux, et jusqu'aux déprédations commises dans les forêts.
 
En 1805 Napoléon, selon ses propres déclarations, ne poursuit que deux grands projets : l'invasion de l'Angleterre et la création du royaume d'Italie. La campagne militaire sur le continent ne serait donc que la résultante de l'échec maritime du premier de ces projets et de la coalition continentale provoquée par le second.
Au début de l'année, l'Empereur des Français avait pourtant tenu à faire part de ses dispositions pacifiques en s'adressant directement à plusieurs souverains. On peut croire ou non à la sincérité de ses annonces. Quoi qu'il en soit, il saisit l'occasion du Nouvel An pour écrire au roi George III et à l'empereur François II : il offre la paix au premier, et annonce au second son intention de renoncer à ses droits personnels sur l'Italie pour faire de celle-ci un royaume séparé de la France, sous le sceptre de son frère Joseph. D'autres souverains reçoivent des lettres moins amènes : Marie-Caroline de Naples est sommée de rompre avec les Anglais et les Russes, sous peine de perdre bientôt ses Etats ; quant à Charles IV, il est prié d'activer le paiement de la contribution espagnole et de mobiliser sa flotte pour la cause commune.
Là est bien l'enjeu en effet. Abattre l'Angleterre est l'objectif prioritaire, et Napoléon attend beaucoup pour cela du concours naval de l'Espagne. Il se voue entièrement, au cours des premiers mois de l'année, à la stratégie maritime, d'autant plus qu'il estime n'avoir rien à craindre sur le continent, de la part de la Russie ou de l'Autriche – en dépit d'une fausse alerte en janvier du côté de la frontière vénitienne. C'est donc à Boulogne que se trouve alors la seconde capitale de l'Empire (3). Napoléon y a réuni des forces importantes, tenues en haleine par un entraînement intensif, cependant que le gouvernement de Pitt, qui prend la menace au sérieux, organise soigneusement sa défense sur terre et sur mer.
La difficulté, pour Napoléon, reste toujours de faire franchir la Manche à son armée. Pour trouver, l'espace de quelques jours, la liberté d'action nécessaire, il échafaude une nouvelle stratégie maritime qui manque de simplicité. L'objectif est de réunir aux Antilles une flotte franco-espagnole afin de semer le doute et la confusion chez l'adversaire, puis de la faire revenir – « comme un trait » – dans la Manche pour couvrir la traversée de la flottille. Ce projet ambitieux, fondé sur l'effet de surprise et la vitesse, était fort hasardeux, compte tenu des éléments naturels du milieu maritime. Génial peut-être, ce plan nécessitait des moyens techniques et humains, et surtout des chefs audacieux dont Napoléon ne disposait pas. Pour résumer, au risque de caricaturer, il s'agissait d'organiser une course à la voile avec l'adversaire plutôt qu'une guerre d'escadres (4). Le leitmotiv de Napoléon est d'ailleurs de faire sortir les siennes sans combattre. Il faut convenir que Nelson – obsédé par l'Egypte – s'y laissa prendre d'abord, et qu'il fallut un hasard minuscule, la rencontre imprévisible d'un brick au milieu de l'Océan, pour que le vaste dessein fût éventé. Les conséquences furent néanmoins terribles à Trafalgar (21 octobre).
 
C'est le mois d'août qui forme la charnière de l'année 1805. Le 2, Napoléon quitte une nouvelle fois Saint-Cloud pour Boulogne, afin de réaliser enfin la descente préparée depuis des mois. Or, il va prendre peu à peu la mesure des risques, y compris la menace d'une nouvelle coalition qu'il avait délibérément ignorée jusque-là. Devant les reculades de Villeneuve et le blocus de la flotte de Ganteaume à Brest, il se résigne à admettre que sa stratégie navale conduit à une impasse, tandis que la menace de l'Autriche se précise aux frontières de la Bavière. Napoléon décide alors ce basculement spectaculaire, cette « pirouette » qui va transformer soudain les camps de la Manche et de la mer du Nord en « Grande Armée » (5). Initialement organisée pour « nager » en direction des côtes anglaises (6), l'armée va marcher, ou plutôt courir jusqu'à l'extrémité du continent, et consolider symboliquement l'Empire à Austerlitz, le jour où il célèbre son premier anniversaire.
En cet été et cet automne de 1805, l'armée napoléonienne, formée à Boulogne, se montre irrésistible. Mais l'irréductible Albion s'acquiert d'autre part à Trafalgar la supréma

Notes

(1) Nous remercions ici très vivement toutes les personnes qui ont oeuvré avec nous à la réalisation de ce volume, et notamment Alain Pillepich, Jacques Garnier, Jacques Macé, Michelle Masson, Patrick Le Carvèse, ainsi que les conservateurs des Archives nationales, des Archives du ministère des Affaires étrangères et du Service historique de la Défense. Sans oublier bien sûr Elodie Lerner et François Houdecek, qui assurent toujours avec la même compétence et le même dévouement la continuité de l'entreprise.
(2) Voir l'étude d'Alain Pillepich sur la politique italienne de Napoléon en 1805, tome 5, p. 927-942.
(3) Voir l'étude de Fernand Beaucour, tome 5, p. 959-960.
(4) Voir l'étude complète de l'amiral Rémi Monaque, tome 5, p. 1001-1005.
(5) Voir l'étude de Gabriel Madec, tome 5, p. 961-1000.
(6) Voir l'introduction de François Houdecek dans le précédent volume, tome 4, p. 11-13.
(7) Voir Michel Kerautret, Les Grands Traités de l'Empire (1804-1810), Paris, Nouveau Monde / Fondation
Napoléon, 2004.
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