De Longwood (Atlantique sud) à Vitteaux (Côte-d’Or) avec Jacques Coursot

Auteur(s) : MACÉ Jacques
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Parmi nos fidèles lecteurs, nul n’ignore les noms de Las Cases, Bertrand, Gourgaud, Montholon, ou de Marchand. De même que ceux de Saint-Denis (alias mamelouk Ali), de l’abbé Vignali et de Cipriani. Les noms du maître d’hôtel Pierron, du second chasseur Noverraz et du cocher Achille Archambault ne sont pas non plus méconnus car, avec Bertrand, Gourgaud, Marchand et Ali, ils ont participé en 1840 à la mission du Retour des Cendres. Leur présence n’avait pas été jugée indispensable par le gouvernement mais Gourgaud et Bertrand insistèrent vivement  pour que ces modestes acteurs du drame de la captivité puissent effectuer le voyage du souvenir. Pourtant, à bord de la Belle Poule, se trouvait un autre ancien de Sainte-Hélène, un certain Jacques Coursot, qui avait été pendant dix-neuf mois maître d’office à Longwood House.

De Longwood (Atlantique sud) à Vitteaux (Côte-d’Or) avec Jacques Coursot
Hôpital de Vitteaux, auquel Jacques Coursot légua une partie de ses biens © Wikipedia

Après le décès de Cipriani en février 1818, Bertrand écrivit au cardinal Fesch et à Madame Mère pour demander l’envoi d’un médecin, d’un aumônier, d’un maître d’hôtel et d’un cuisinier. Ainsi fut constituée la ‘Petite Caravane’’ qui, partie de Rome le 25 février 1819, arriva à Sainte-Hélène, via Londres, le 20 septembre. Madame Mère avait choisi pour la fonction de maître d’hôtel ce Jacques Coursot qui était à son service à Rome, après avoir été valet personnel du général Duroc, grand maréchal du Palais, pendant plusieurs années et jusqu’à sa mort en 1813. Coursot partit dans l’espoir de devenir le maître d’hôtel de l’Empereur dont il était un fidèle mais, entretemps, le poste fut attribué au maître d’office Alexandre Pierron qui avait fait ses preuves et n’entendait pas lâcher la place. Coursot dut donc se contenter du poste de maitre d’office et ne semble pas en avoir été affecté, même si son intégration dans l’équipe des domestiques présents depuis quatre ans ne fut pas facile, si on s’en réfère aux remarques d’Ali à son sujet dans ses lettres.

Notre chef d’office fut présent au décès de l’Empereur et, dans son testament, celui-ci attribua à ‘‘Curson’’ (sic) deux legs (de 25 000 et 10 000 francs) et le charge de porter à Madame Mère des objets-souvenirs. Il fut bien accueilli par la famille impériale à Rome, avant de rejoindre sa petite ville natale de Vitteaux, en Côte-d’Or, où résidaient ses trois sœurs et leurs familles.

En 1840, lors de l’annonce de la mission du Retour des Cendres, il résidait à Paris. Déçu de ne pas avoir été retenu pour le voyage, parce qu’il n’était pas resté assez longtemps à Longwood, il se débrouilla si bien auprès des généraux Gourgaud et Bertrand que ces derniers décident de le recruter comme valet de chambre et l’embarquent avec eux sur la Belle Poule.

Le 15 octobre suivant, il n’était pas non plus sur la liste des personnes devant assister à l’exhumation. Il eut encore de la chance. Bertrand et Gourgaud était montés au Val du Géranium en petites tenues de général, qui, comme il pleuvait à verse étaient trempées. Et comme il voulaient de surcroît assister à l’exhumation en grandes tenues, Coursot les leur porta et les aida à les passer. Il put ainsi assister à l’identification du corps de l’Empereur. Saint-Denis (Ali) en fut d’ailleurs fou de rage.

On retrouve encore Coursot lors du défilé du 15 décembre 1840 à Paris. On ne sait pas vraiment ce qu’il est devenu après, jusqu’à son décès, célibataire, à son domicile parisien du 2 Passage de Tivoli, le 29 mai 1856. On trouve néanmoins son nom à l’hôpital de Vitteaux sur une plaque de donateurs : il a en effet légué par testament une somme de 10 000 francs pour la rénovation de l’établissement.

Pour savoir ce qu’il a fait de 1822 à 1840, puis de 1841 à 1856, on n’est à peine aidé par un historien local, le docteur Rouyer, qui publia un petit recueil sur lui, en 1956. Pour le composer, il avait interrogé des membres de la famille Coursot, recueilli leurs souvenirs de jeunesse. Mais au fond, sa brochure n’apportait que des précisions d’intérêt local. Elle était notamment muette sur le style de vie de l’ancien de Sainte-Hélène et la provenance de son legs (assez coquet) à l’hôpital de Vitteaux. Nous avons saisi l’occasion de la volonté de cette ville de commémorer le bicentenaire prochain de l’arrivée de ce concitoyen et bienfaiteur à Sainte-Hélène pour mener une recherche historique complémentaire.

L’enquête

Le règlement du testament de l’Empereur en 1827 a permis de verser la majeure partie des legs principaux aux serviteurs. Ainsi Marchand a perçu 248 572 francs et a pu mener une vie de grand bourgeois, avec résidences à Paris, Auxerre et Trouville. Saint-Denis, Pierron et Noverraz ont reçu chacun 94 721 francs. Ils ont mené une vie confortable, le premier à Sens, le second à Paris et Fontainebleau, le troisième à Lausanne. Ainsi Pierron  acquit pour 90 000 francs un immeuble proche de l’église de La Madeleine, estimé 227 000 francs à son décès en 1876 et qui lui apportait alors un revenu annuel net de 13 800 francs. Quant à Archambault, il ne reçut que 47 360 francs, vécut à Sannois au nord de Paris où sa famille possédait des vignes et, en 1832, sollicita l’appui de Gourgaud, devenu aide de camp du roi Louis-Philippe, pour bénéficier d’un emploi d’huissier aux Tuileries.

Coursot ne perçut quant à lui que 23 680 francs en 1827, venant s’ajouter au petit héritage de son père, décédé en 1821. Nous ignorons ce qu’il fit de cette somme. D’autre part, en 1855, lorsque Napoléon III débloqua quatre millions de francs pour la liquidation des legs qui n’avaient pu être honorés en 1827, Coursot se vit attribuer un complément de 9 654 francs au titre de son second legs. Et c’est le 1er janvier 1856 qu’il rédigea son testament léguant 10 000 francs à l’hôpital de Vitteaux. Il mourut cinq mois plus tard.

Il y a donc un testament Coursot. Nous l’avons cherché et finalement retrouvé grâce à un indice : une délibération du conseil municipal  de Vitteaux faisant état d’une facture de quelques francs en lien avec notre homme, à régler à Me Dupont, notaire à Paris. Nous avons ensuite poursuivi nos recherches au Minutier central des notaires parisiens des Archives nationales. Le dossier de l’étude Dupont en 1856 contient . . . une copie authentifiée du testament enregistré par ce notaire après le décès de Coursot (document joint, à la fin de cet article), ainsi qu’un extrait de son acte de décès, l’original ayant disparu dans les incendies de la Commune.

Nous découvrons avec surprise que ce testament distribue neuf legs alors que le Dr Rouyer ne faisait état que de deux. Le premier est celui à l’hôpital de Vitteaux, bien connu. Le second est celui de deux assiettes de Sèvres (on peut supposer qu’il s’agit d’assiettes du service dit « des quartiers généraux »), d’une plaque de la Légion d’honneur et d’un couvert en argent, ayant appartenu à Napoléon (certainement la part de Coursot dans le partage entre les généraux et les domestiques de mai 1821). Ce legs est fait au marquis de Montholon (alors consul à New York), c’est-à-dire au fils du général de Montholon décédé en 1852. Que s’est-il passé entre Coursot et Montholon qui puisse expliquer ce legs ? Il est à craindre que nous n’en sachions jamais plus rien.

Les legs 3 à 9 sont attribués à ses cousins, neveux et petits-neveux habitant Vitteaux. Ils représentent un montant total d’environ 60 000 francs. Pour le reste de ses biens et fonds, Coursot désigne pour unique héritier son neveu et filleul Jacques Bize, dit Lamy, d’ailleurs présent à Paris le jour de son décès. Comme il ne nomme pas d’exécuteur testamentaire, ce sera lui qui aura la charge de distribuer les legs, ainsi que les divers souvenirs personnels conservés par l’ancien maître d’office. On le voit, Coursot disposait à sa mort d’une notable fortune.

Le 6 juin 1856, le tribunal civil de la Seine déclare que Jacques Bize peut entrer en possession de l’héritage de Jacques Coursot et, le 7 juin, on procède à l’inventaire après décès à son domicile où des scellés ont été apposées.

Cet inventaire ne figure pas, hélas, dans les dossiers de l’étude Dupont. On n’y trouve que la couverture et la première page. On déduit cependant du peu qui est disponible que Coursot était propriétaire de son domicile, 2 passage de Tivoli, et que la garde des scellés avait été confiée à un certain Adrien Drouet, qualifié de « principal locataire », puis de « tenant d’hôtel meublé, Passage de Tivoli, 2 ». On croit comprendre que Coursot est propriétaire d’une maison dont il occupe une partie et loue l’autre à ce Drouet qui y exploite un hôtel meublé.

À Tivoli

C’est dès 1730 que fut créé à Paris un parc de loisirs dénommé Tivoli, lieu de plaisir et de libertinage pour la bonne société. Il occupera divers emplacements dans le nord de Paris (Clichy, Saint-Georges, Trinité, Saint-Lazare). En 1828, une voie y menant est dénommée Passage de Tivoli et lotie. Elle débouche sur la rue Saint-Lazare par une double arche cochère – qui existe toujours – et elle est depuis 1910 nommée rue de Budapest. Au milieu du XIXe siècle, elle abritait plusieurs hôtels meublés, ayant selon une photo de l’époque une enseigne à l’entrée du Passage : Grand Hôtel de Vauclin, Hôtel de Tivoli,  Hôtel de Lisieux. Il devait s’agir d’hôtels populaires louant seulement des chambres (sans restaurant) et dont la rentabilité était assurée par la proximité de la gare Saint-Lazare, inaugurée en 1837.

Il est vraisemblable que Coursot investit en 1828 le legs de Napoléon dans l’acquisition du lot n° 2 de ce Passage, y établit son logement et y créa un hôtel de chambres meublées, qu’il géra lui-même ou par l’intermédiaire d’un tenancier. Les revenus de cet établissement seraient à l’origine de sa situation financière aisée.

A la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe,  ce Passage devenu rue de Budapest s’est dégradé et est devenu un site connu de la prostitution parisienne, repéré par ses hôtels de passe et le racolage sur ses trottoirs. Mais Coursot n’était plus là. Aujourd’hui, de nouvelles lois réprimant plus sévèrement la prostitution et  le délit de « proxénétisme hôtelier » ont redonné une physionomie convenable au « Passage de Coursot », du moins en apparence et au profit d’Internet.

Ajoutons enfin que Coursot est bien connu à Malmaison car, dans les années 1950, ses petits-neveux, issus de plusieurs branches familiales, ont regroupé les différents souvenirs de Sainte-Hélène en leur possession et les ont remis au Musée, ainsi qu’une montre que, selon Coursot, Duroc lui aurait léguée le matin de sa mort « au cas où ». On veut bien le croire, à moins que Duroc ne l’ait tout simplement oubliée ce jour-là. Fut également déposée à Malmaison une relique anatomique qui serait un tendon momifié de Napoléon, prélevé par Antommarchi lors de l’autopsie. Effectivement, Ali signale dans ses Souvenirs le prélèvement par Antommarchi de deux tendons, remis à Coursot et à Vignali. Du fait que Antommarchi, Vignali et Coursot, qui avaient voyagé sept mois ensemble (sur le même bateau ), étaient devenus amis, l’anecdote est vraisemblable. Le tendon remis à Vignali se trouverait, lui, aux Etats-Unis, où, pour corser l’affaire, on le qualifierait de morceau de pénis.

Conclusion

En 2005, dans l’ouvrage collectif Sainte-Hélène, île de mémoire, publié par Fayard, nous avons tracé un rapide portrait de Coursot, que nous avons surnommé « le débrouillard » de l’équipe de Longwood. Nous connaissons maintenant un peu mieux sa vie et les dernières découvertes à ce sujet ne peuvent que confirmer et renforcer l’opinion que les Vitelliens conservent de leur compatriote hélénien et bienfaiteur.

Les élèves de 4e du collège de Vitteaux, sous la conduite de leur professeur-documentaliste, ont consacré leur temps libre de l’année scolaire 2018-2019 à étudier, au-delà de leur programme scolaire, l’histoire du Consulat et de l’Empire pour non seulement développer leur connaissance de cette époque et de l’épopée impériale, mais aussi pour évoquer dans une exposition  la vie et le dévouement d’un gars de Vitteaux qui, le 21 septembre 1819, débarqua à Sainte-Hélène pour servir son Empereur et l’accompagner jusqu’à ses derniers instants.

 

Annexe : Testament de Jacques Coursot

Ceci est mon testament ou acte de ma dernière volonté fait aujourd’hui premier janvier de dix-huit cents cinquante-six.

1 – Je lègue à l’hôpital  de Vitteaux dix mille francs en reconnaissance des soins  que j’ai reçus dans mon enfance à l’hôpital de la Charité à Paris.
2 – Je lègue à monsieur le marqui(s) Montholon deux assiettes de sèvres, un cracha (t), un couvert en argent, le tout venant de sa majesté l’empereur napoléon 1er.
3- Je lègue à ma cousine Gogotte née Enfert deux cents francs de rentes viagères.
4 – Je lègue à mon cousin Coursot, celui qui est estropié de naissance, deux cents francs de rentes viagères.
5 – Je lègue à mon beau-frère Thuillier les intérêts de douze mille francs, sa vie durant. Après sa mort, je lègue ces douze mille francs à mon neveu Thuillier Bénine.
6 – Je lègue à mon neveu Pierre Bize dix mille francs.
7 – Je lègue à mon neveu Levêque douze mille francs.
8 – Je lègue à mon filleul Levêque dix mille francs.
9 – Je lègue à ma filleule Devevey cinq cents francs de rente sur le grand livre des quatre et demi pour cent.
10 – J’institue pour mon héritier universel mon neveu et filleul Jacques Bize dit Lamy.

Fait à Paris le jourd’hui premier janvier dix-huit cent cinquante-six.
Coursot Jacques

Appendice : Coursot et l’orthographe

En 1828, le peintre Charles Auguste de Steuben fait poser tous les acteurs du drame de Longwood, ou recueille leurs portraits, pour réaliser son célèbre tableau de la mort de Napoléon. Aussi Coursot écrit à son ami l’abbé Vignali, retiré au hameau de Vignale dans la commune corse de Bisinchi, non loin de Ponte-Novo. Cette lettre permet d’observer son niveau d’instruction :
« Monsieur Staube, un fameux pintre vien dentreprendre de faire le tableau de la maure de l’empereur. I represente toutes les personne qui se trouvait autour de son lit de maure. Il voudrait bien vous avoire pour vous i mettre. I mengage à vous écrire pour que vous lui envoyer votre portrait ou une exquise de la manière de la copie que vous trouverez dans ma lettre. Vous ête le seulle de tous seux qui étaient à Sainte-Hélenne qui nete point paint. 30 septembre 1828. »
Malgré l’effort méritoire de Coursot pour prendre la plume, Steuben ne reçut pas le portrait de Vignali et choisit donc de le représenter de dos, à l’extrême gauche du tableau. Coursot y est bien, lui, discrètement et pieusement entre Montholon et l’officier anglais.

Juillet 2019

 

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