Document > Discours de l’Empereur aux Grands Corps de l’État pour leur annoncer son mariage [22 janvier 1853]

Auteur(s) : NAPOLÉON III
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Le 22 janvier 1853, Napoléon s’adresse au Corps législatif et au Sénat pour annoncer son mariage ; il s’agit de son premier discours officiel de l’année aux grands corps de l’État. Le 15 janvier précédent, il a fait sa demande à la mère d’Eugénie. Ce mariage est célébré en la cathédrale Notre-Dame de Paris le 30 janvier suivant.

Document > Discours de l’Empereur aux Grands Corps de l’État pour leur annoncer son mariage [22 janvier 1853]
Mariage de Napoléon III avec Eugénie de Guzman le 30 janvier 1853 (c) D.R.

Palais des Tuileries, le 22 janvier 1853.

Messieurs,

Je me rends au voeu si souvent manifesté par le pays, en venant vous annoncer mon mariage.
L’union que je contracte n’est pas d’accord avec les traditions de l’ancienne politique ; c’est là son avantage.
La France, par ses révolutions successives, s’est toujours brusquement séparée du reste de l’Europe ; tout gouvernement sensé doit chercher à la faire rentrer dans le giron des vieilles monarchies; mais ce résultat sera bien plus sûrement atteint par une politique droite et franche, par la loyauté des transactions, que par des alliances royales, qui créent de fausses sécurités et substituent souvent l’intérêt de famille à l’intérêt national.
D’ailleurs, les exemples du passé ont laissé dans l’esprit du peuple des croyances superstitieuses ; il n’a pas oublié que depuis soixante-dix ans les princesses étrangères n’ont monté les degrés du trône que pour voir leur race dispersée et proscrite par la guerre ou par la révolution. Une seule femme a semblé porter bonheur et vivre plus que les autres dans le souvenir du peuple, et cette femme, épouse
modeste et bonne du général Bonaparte, n’était pas issue d’un sang royal.

Il faut cependant le reconnaître; en 1810, le mariage de Napoléon Ier avec Marie-Louise fut un grand événement: c’était un-gage pour l’avenir, une véritable satisfaction pour l’orgueil national, puisqu’on voyait l’antique et illustre maison d’Autriche, qui nous avait si longtemps fait la guerre, briguer l’alliance du chef élu d’un nouvel empire.
Sous le dernier règne, au contraire, l’amour-propre du pays n’a-t-il pas eu à souffrir lorsque l’héritier de la couronne sollicitait infructueusement, pendant plusieurs années, l’alliance d’une maison souveraine, et obtenait enfin une princesse accomplie
sans doute, mais seulement dans des rangs secondaires et dans une autre religion ?

Quand, en face de la vieille Europe, on est porté par la force d’un nouveau principe à la hauteur des anciennes dynasties, ce n’est pas en vieillissant son blason et en cherchant à s’introduire à tout prix dans la famille des rois qu’on sa fait accepter. C’est bien plutôt en se souvenant toujours de son origine, en conservant son caractère propre, et en prenant franchement vis-à-vis de l’Europe la
position de parvenu, titre glorieux lorsqu’on parvient par le libre suffrage d’un grand peuple.

Ainsi, obligé de s’écarter des précédents suivis jusqu’à ce jour, mon mariage n’était plus qu’une affaire privée. Il restait seulement le choix de la personne. Celle qui est devenue l’objet de ma préférence est d’une naissance élevée. Française par le cœur, par l’éducation, par le souvenir du sang que versa son père pour la cause de l’Empire, elle a, comme Espagnole, l’avantage de ne pas avoir en France de famille à laquelle il faille donner honneurs et dignités. Douée de toutes les qualités de l’âme, elle sera l’ornement du trône, comme au jour du danger elle deviendrait un de ses courageux appuis. Catholique et pieuse, elle adressera au ciel les mêmes prières que moi pour le bonheur
de la France ; gracieuse et bonne, elle fera revivre dans la même position, j’en ai le ferme espoir, les vertus de l’Impératrice Joséphine.

Je viens donc, Messieurs, dire à la France : J’ai préféré une femme que j’aime et que je respecte à une femme inconnue dont l’alliance eût eu
des avantages mêlés de sacrifices. Sans témoigner de dédain pour personne, je cède à mon penchant, mais après avoir consulté ma raison et mes convictions. Enfin, en plaçant l’indépendance, les qualités du cœur, le bonheur de famille au-dessus des préjugés dynastiques et dés calculs de l’ambition, je ne serai pas moins fort, puisque je serai plus libre.
Bientôt, en rue rendant à Notre-Dame, je présenterai l’Impératrice au peuple et à l’armée ; la confiance qu’ils ont en moi assure leur sympathie à celle que j’ai choisie,-et vous, Messieurs, en apprenant à la connaître, vous serez convaincus que cette fois encore j’ai été inspiré par la Providence.

 

Source : Gallica/BnF

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