Document > Lettre de Lewis Gideon à son ami le capitaine John Dillon (30 octobre 1840) : récit de l’exhumation du corps de Napoléon à Sainte-Hélène

Auteur(s) : GIDEON/SOLOMON Lewis
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Pour connaître le contexte de cette missive, lire la chronique de Peter Hicks (avril 2022) : Lewis Solomon/Gideon et son récit de l’exhumation de Napoléon.

Document > Lettre de Lewis Gideon à son ami le capitaine John Dillon (30 octobre 1840) : récit de l’exhumation du corps de Napoléon à Sainte-Hélène
Vue nocturne de l'exhumation du corps de Napoléon à Sainte-Hélène

Lewis Gideon au capitaine John Dillon
Lettre datée du 30 octobre 1840

[…]
Un grand événement a récemment eu lieu ici, dont une brève esquisse ne sera peut-être pas tout à fait inintéressante pour vous. Je veux parler de l’enlèvement de la dépouille mortelle de feu l’empereur Napoléon (c’est ainsi qu’il a été désigné et qu’il a reçu les honneurs en tant que tel pendant la procession, un titre, comme vous le savez, que le gouvernement britannique lui avait refusé de son vivant). Le 8 de ce mois-ci est arrivée la frégate française la Belle Poule commandée par son altesse royale le prince de Joinville, accompagnée de la corvette la Favorite à bord de laquelle se trouvaient le maréchal Bertrand, le général Gourgaud, le baron de Las Cases et Marchand, ainsi que quatre serviteurs du feu l’Empereur. L’exhumation et la procession ont eu lieu le 15 octobre, jour anniversaire de l’arrivée du Northumberland dans cette rade avec Napoléon et sa suite à bord il y a 25 ans.

Les commissaires, Monsieur le comte de Chabot, pour la nation française, et le capitaine Alexander des Royal Engineers, pour la nation britannique, accompagnés de son honneur le juge en chef Wilde, l’honorable col. Trelawney R.[oyal] A.[rtillery], l’honorable lieutenant-colonel Hodson (ces trois personnes sont membres du Conseil de l’île), W. H. Seale Esq., secrétaire colonial, et le lieutenant Littlehales, commandant du brick le H.M. [S.] Dolphin, et les officiers français avec le prêtre, Mons. Coqueroux [sic], se sont rassemblés sur la tombe à 12 heures dans la nuit du 14, lorsque l’exhumation a commencé. On a rencontré de grandes difficultés pour briser le ciment. À 10 heures du matin, cependant, on a pu atteindre les cercueils et les enlever pour les placer sous une tente à proximité.

Quand ils ont été ouverts, le corps semblait parfait. Le visage avait à peine varié de ce qu’il était lorsqu’il avait été déposé là 19 ans auparavant. La main était très ferme. Le cercueil extérieur en acajou n’était pas détérioré, celui en étain et en plomb dans lequel il reposait (ce dernier a été de nouveau soudé) a été placé dans un superbe sarcophage en ébène venu de France, portant le nom « Napoléon » en lettres d’or sur le couvercle. Il aurait coûté 12 000 francs. Il a été placé sur un char avec un dais fabriqué exprès. Un poêle mortuaire splendide de pourpre royal avec la couronne et l’aigle impériale, ainsi que la lettre N en or dans chaque coin, recouvrait le tout. Il a coûté 20 000 francs.

Le cortège a quitté la tombe vers 4 heures de l’après-midi lorsque les minute guns (Pendant des funérailles au XIXe siècle dans le monde anglophone on tire des salves de canon chaque minute en signe de deuil et de respect.) ont commencé à tirer depuis High Knoll et ont continué jusqu’à son arrivée sur le quai. Une salve royale a été tirée depuis les lines (Ces tranchées (« lines ») se situaient devant les murs côté mer devant Jamestown.), lorsque le corps a été remis au Prince qui l’attendait. Immédiatement, le sarcophage a été descendu dans le canot.

La frégate et deux autres vaisseaux de guerre français qui, pendant la journée, avaient croisé leurs vergues, les ont alors alignées et ont commencé à tirer des salves d’honneur, et ce, jusqu’à ce que le sarcophage soit presque à côté de la frégate, comme s’ils se réjouissaient de leur prise. L’ensemble du spectacle, tel qu’il était présenté par les Français, était très imposant et il est difficile de décrire la splendeur dont ils ont fait preuve en cette occasion.

Deux jours avant la cérémonie, des avis imprimés invitaient les habitants de qualité à se rendre à l’intérieur du pays en deuil décent ; au moment où la cérémonie allait avoir lieu, on a donné des contre-ordres en privé (au moment où tout le monde s’était rassemblé pour montrer un respect digne) et des militaires ont chassé les habitants arbitrairement des places qui leur avaient été assignées.

Le capitaine Alexander R.[oyal] E.[ngineers], à qui l’on doit de grands éloges pour ses efforts, s’est vu offrir par son Altesse royale une élégante tabatière en or montée de brillants, au centre de laquelle se trouve une image du roi des Français. Du même, l’honorable lieutenant-colonel Trelawney a reçu, pour son hospitalité et son attention envers le prince et sa suite, une magnifique pièce de chasse à double canon avec des accompagnements supérieurs.
[manuscrit déchiré] McKenna, qui est directement sous les ordres du capitaine. [manuscrit déchiré] une grande médaille en argent.

Ma fille aînée, assistée par d’autres jeunes filles, a été chargée de confectionner deux drapeaux tricolores, l’un de 6 mètres de long, qui flottait dans le bateau au-dessus du corps de Napoléon, et un plus petit, pour la poupe du même bateau, où le Prince était assis, ce pour quoi son Altesse royale l’a honorée en lui offrant un beau brassard en or serti de rubis, de perles et d’une émeraude au centre.

Les drapeaux sont en soie, à l’exception du rouge, qui a été remplacé par du crêpe de Chine (il n’y avait pas de soie rouge). Nous avons eu le plaisir de faire la connaissance de plusieurs des Français attachés à la mission, qui semblaient tous repartir de bonne humeur, sinon pour d’autres raisons au moins pour avoir accompli l’objectif pour lequel ils étaient venus.

Une quarantaine de petites médailles en argent ont été distribuées en souvenir de l’occasion. Le gouvernement français a laissé 200 £  pour les ouvriers qui ont sorti le corps de la tombe. En outre, 300 £ ont été versées à des fins caritatives, ce qui, réellement, a été très utile, car l’île n’a jamais été aussi éprouvée par les impôts.

Trad. Peter Hicks
Avril 2022

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