Dufour : un compagnon de route des Bonaparte

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Le Général Dufour, commémoré cette année en Suisse 150 ans après sa mort, était devenu Français à l’insu de son plein gré en 1798 suite à l’annexion de la République de Genève par le Directoire. Charles Louis Napoléon Bonaparte a acquis la citoyenneté suisse à sa demande et au mérite en 1832. Qu’est-ce qui peut le mieux effacer la distance géographique séparant les cantons de Genève et de Thurgovie, aux antipodes du territoire de la Confédération, sinon l’Histoire ?

Dufour : un compagnon de route des Bonaparte
Le général Guillaume Henri Dufour, par Carl Friedrich Irminger

Capitaine français sous Napoléon Ier

Le hasard et la nécessité feront bon ménage pour permettre la rencontre de deux personnalités hors du commun, Guillaume Henri Dufour et Napoléon III. La nécessité réside dans la naissance de Dufour à Constance en 1787, dans l’archiduché d’Autriche, ville où sa famille victime de ses idées révolutionnaires a fui Genève. A quelques encablures d’Arenenberg dans le Canton souverain de Thurgovie, futur domicile fixe pour de nombreuses années de Charles Louis Napoléon Bonaparte et de sa mère, Hortense de Beauharnais, épouse de son père Louis Napoléon Bonaparte, ex-roi de Hollande.

Le hasard sera le petit Corse. En 1798, la République de Genève venait à peine de quitter son statut de Ville libre du Saint Empire romain germanique, comme en témoigne encore aujourd’hui l’Aigle impérial sur ses emblèmes officiels. Genève n’avait pas davantage de lien institutionnel avec la Confédération des XIII Cantons de l’Ancien Régime, qui formaient ce que l’on appelait communément et par défaut, le Corps helvétique, si ce n’est des alliances militaires défensives avec les Cantons de Berne et de Zurich. Lorsque survint abruptement l’occupation de tout le pays par la France, alors même que l’ancienne République de Genève s’était liée pendant des siècles à ces deux puissants Cantons, pour précisément éloigner toutes velléités annexionnistes venues incidemment de France comme aussi du Royaume de Piémont Sardaigne installé en Savoie.

Le rattachement en cette année 1798 de la toute jeune Ville-Etat à la République française Une et Indivisible allait faire d’elle le chef-lieu du département du Léman. Mais bien plus, ces bouleversements politiques ouvriront au désormais franco-genevois Guillaume Henri Dufour les portes de l’École polytechnique impériale à Paris et bientôt celles de la Grande Armée de Napoléon Ier. Dufour servira sa seconde patrie avec une ferveur personnelle entièrement acquise à son Empereur avec le grade de capitaine du génie et témoignera d’une admirable bravoure, notamment au large de Corfou, où il faillit perdre la vie, après la conquête de l’île par la France.

Genève ne fera donc son entrée dans la Confédération helvétique qu’avec le Pacte fédéral de 1815, en qualité de République et Canton souverain comme les 21 autres. Qu’attendra alors pendant deux ans le capitaine Dufour, demi-solde de la Grande Armée, avant de revenir à Genève ? Peut être, comme beaucoup de ses semblables, un éventuel nouveau retour de Napoléon le Grand. Une première occasion se présentera aussi à lui avec la proposition de la reine Hortense de Beauharnais de devenir le précepteur d’un jeune et nonchalant Charles Louis, une offre à laquelle il finira par renoncer.

Il s’en suivra une impressionnante carrière au service de la collectivité nationale. Comme bâtisseur de ponts, de quais, de topographe, la carte Dufour servira pendant un siècle, d’homme politique au Conseil municipal puis au Grand Conseil genevois, enfin au Conseil national et à celui des Etats/Sénat. Et tout cela, qui plus est, en gravissant tous les échelons à l’armée. C’est dès lors en sa qualité d’officier-instructeur dans le génie à l’École militaire centrale fédérale à Thoune, qu’il dirigera, que le colonel Dufour fera plus ample connaissance du futur capitaine d’artillerie des milices bernoises, Charles Louis Napoléon Bonaparte, ci-devant bourgeois de Salenstein en Thurgovie depuis 1832, qui gratifiera en retour sa seconde patrie d’un Manuel d’Artillerie à l’usage des officiers d’artillerie de l’Armée suisse, qui recueillera un succès certain.

Général au côté de Charles Louis Napoléon Bonaparte

Guillaume Henri Dufour sera élu généralissime en 1847, 1849, 1856 et 1859. A ce titre, il jouera un rôle majeur dans la naissance de la Suisse moderne en 1848 par sa victoire en novembre 1847 dans la guerre civile contre le Sonderbund/Alliance séparée, à la tête des troupes des cantons protestants libéraux unionistes contre sept cantons catholiques conservateurs et confédéralistes. Au même moment, où la France proclamait la République et élisait au suffrage universel direct un capitaine d’artillerie bernois, son élève, à la Présidence de la République. Mais c’est pendant le cours de toute une vie qu’il accompagnera Napoléon III et cela jusqu’à la triste fin de son règne. Par esprit de corps sans doute, par amitié filiale réciproque, peut-être.

Mais aussi au service de la politique du gouvernement suisse, en se rendant à Paris en soutien de notre ambassadeur, le Thurgovien Johann Konrad Kern, un ami d’enfance du nouvel Empereur. Cela sera le cas, avec succès, lors de l’affrontement contre la Prusse à propos du rattachement définitif du Canton de Neuchâtel, redevenu Principauté prussienne au Congrès de Vienne, à la toute jeune Confédération, ce qui sera réglé par le Traité de Paris de 1857. Il sera moins heureux sur la question de la Savoie, tranchée en faveur de la France par voie de référendum, un produit d’exportation dont on reconnaîtra la marque de fabrique séculaire. Mais les deux compagnons de route se retrouveront avec bonheur en faveur de la création d’une improbable Croix Rouge internationale, voulue par Henry Dunant et dont Dufour prendra la présidence. Dans les affaires sur le tard enfin, celui-ci siégera notamment dans une société genevoise investie en France et implantée en Algérie, dans la wilaya de Sétif, par l’auteur de Un Souvenir de Solférino.

Guillaume Henri Dufour, à la fois héros national et plus fidèle ami suisse de Napoléon III, qui décédera en janvier 1873, suivra son élève dans la mort, le 14 juillet 1875, encore un hasard ou pas, du calendrier, pour aller reposer au cimetière des Rois à Genève, tombe no 701. Ils auront donc pu, à distance, se féliciter du sauvetage par une Croix Rouge naissante, de l’armée des 87 000 Bourbakis réfugiés en Suisse en janvier/février 1871 pour échapper aux Prussiens. Croisé des temps modernes, il aura traversé un XIXe siècle insaisissable, brandissant tour à tour le sabre et la croix, des campagnes napoléoniennes sur mer et sur terre à la refondation de la Confédération Helvétique puis à la naissance et à la présidence de la Croix Rouge internationale d’Henry Dunant. Celle-ci choisira comme insigne les couleurs inversées du drapeau suisse, dont le dessin avait été finalement adopté quelques années plus tôt d’un commun accord avec notre Général.

Dérogeant à la tradition, le Conseil fédéral fera de lui le plus éminent des Suisses, en dénommant le plus haut sommet du pays, 4634 mètres, la Pointe Dufour, dont il avait personnellement, il est vrai, mesuré l’altitude. Lui-même aura pu, en maintes occasions, s’appuyer dans la durée sur un compatriote venu de Thurgovie, certes pas tout à fait comme les autres, et le lui aura bien souvent rendu. Aussi aura-t-il amplement mérité les insignes de grand officier de la Légion d’honneur et, plus chère encore, sans doute, à son cœur la médaille de Sainte-Hélène.

Source : « Napoléon III Un Empereur venu de Suisse », Georges Assima, Préface de Charles Bonaparte, Infolio, Gollion/Suisse, 2023, Salons Dufour, Genève.

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