Edition de la Correspondance générale de Napoléon Ier : 1er état des lieux du projet de la Fondation Napoléon, septembre 2002

Auteur(s) : BARTHET Emilie
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Un peu plus de six mois après le lancement de l'aventure " historienne " que constitue le projet de publication intégrale et critique de la correspondance de Napoléon, le moment est venu de faire le point. Disons tout de suite que le dossier avance bien, notamment grâce à la participation de plusieurs institutions d'archives, et à la mobilisation de nombreux collaborateurs extérieurs qui ont consacré beaucoup de temps et d'énergie au projet.

Un bref état des lieux

La Correspondance de Napoléon, en tant qu'objet de publication, a un long passé derrière elle.

Dès 1858, Napoléon III donne ordre d'éditer la Correspondance officielle de Napoléon 1er (projet initié en 1854 par la création de la commission chargée de recueillir, coordonner et publier cette correspondance). Les 28 volumes qui seront publiés à l'issue de 11 ans de travaux, ne comprennent pas la totalité des lettres. Les 22 000 numéros de cette Correspondance, regroupant aussi les ordres, les bulletins, les décrets, laissent à penser qu'il existe entre 30 et 35 000 lettres proprement dites.
Une première commission s'attela au projet et fit connaître la grande majorité des lettres datées d'octobre 1793 à août 1807. Elle s'était « scrupuleusement interdit, dans la reproduction des lettres de l'empereur, toute altération, tout retranchement, toute modification des textes. » (1)  
Le 3 février 1864, Napoléon III casse la première commission et en nomme une seconde, sous la présidence de son cousin, le prince Napoléon ( » Plon-Plon « ). Cette dernière, moins scrupuleuse à l'égard du texte, procéda à des suppressions et à des remaniements quasi systématiques. La déclaration de la Commission publiée en tête du tome XVI de la Correspondance à ce sujet est connue : « En général, nous avons pris pour guide cette idée bien simple, à savoir que nous étions appelées à publier ce que l'Empereur aurait livré à la publicité si, se survivant à lui-même et devançant la justice des âges, il avait voulu montrer à la postérité sa personne et son système. » (2)
 
Face à ce parti-pris de la seconde commission, qui mena à son terme la publication, nombre d'historiens, dès le dernier quart du XIXème siècle, ont publié des recueils de lettres inédites. Léon Lecestre et Léonce de Brotonne en ont publié la plus grande quantité, soit un peu plus de 4 500.

Au début de années 80, le professeur Jean Tulard, se donna pour mission de procéder à la publication de la Correspondance générale de Napoléon. Ce projet ne put être mené à bien, en raison de changements politiques, de coupes budgétaires et de problèmes de personnel.
 
A ce jour, les historiens sont donc réduits à utiliser les recueils cités plus haut, ou, des rééditions récentes sans appareil critique de la  » vieille  » Correspondance du Second Empire.
 
C'est dans ce contexte que le conseil d'administration de la Fondation Napoléon a décidé de relancer le projet, tâche complexe et délicate. Viser l'exhaustivité des sources devient alors une gageur nécessaire au développement et au renouveau des études napoléoniennes. Et viser à l'exhaustivité dans la collecte de documents anciens de deux siècles dont l'estimation quantitative est de plusieurs dizaines de milliers, invite à développer une organisation à plusieurs mains : il s'agit là d'un projet autant  » scientifique  » qu'  » industriel « , en raison de la masse d'archives ou de papiers à collecter, à traiter, à commenter et à publier.

Les acteurs

A) Le Comité officiel
 
La Fondation Napoléon a décidé de créer un  » Comité pour l'Edition de la Correspondance de Napoléon 1er « . Le Comité est présidé par le baron Gourgaud, président de la Fondation Napoléon, les vice-présidents en sont Mme Martine de Boisdeffre, conseiller d'Etat et directrice des Archives de France, et le professeur Jean Tulard, membre de l'Institut. Le secrétaire en est Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon.
Le conseil d'administration de la Fondation Napoléon s'est constitué en Commission d'orientation du projet, tandis que deux commissions se chargent du travail scientifique et éditorial : la commission historique, présidée par le professeur Jacques-Olivier Boudon, de l'université de Rouen, président de l'Institut Napoléon, et la commission éditoriale, présidée par le comte Florian Walewski, vice-président de la Fondation.

La commission historique est composée du professeur André Palluel-Guillard, professeur à l'Université de Savoie, de M. Bernard Chevallier, directeur des Musées de Malmaison et Bois-Préau, de Mme Marie-Paule Arnauld, directrice du Centre Historique des Archives Nationales, de Mme Christine Nougaret, conservateur en chef aux Archives Nationales, du Lieutenant-Colonel Gilbert Bodinier, représentant du Service Historique de l'Armée de Terre, de Mme Monique Constant, adjointe au Directeur des Archives du ministère des Affaires Etrangères, de M. Jacques Jourquin, directeur-rédacteur en chef de la Revue du Souvenir Napoléonien, de M. Jacques Garnier, membre de la Société française d'Histoire militaire., de Mme Sylvie Pélissier-Rocard, déléguée générale de la Fondation La Poste, de M. Yves Bruley, agrégé d'Histoire mis à disposition et du professeur Peter Hicks, web-éditeur à la Fondation Napoléon.

La commission éditoriale est composée de Denis Maraval, directeur littéraire chez Fayard, de Mme Sylvie Pélissier-Rocard, déléguée générale de la Fondation La Poste et d'un représentant des Archives nationales et de Madame Irène Delage, responsable du service documentation de la Fondation Napoléon.
 
La Fondation La Poste, présidée par M. Jean-Paul Bailly, a accordé un important mécénat à cette opération.
 
 
B) Le concours des institutions françaises : la mobilisation des Archives de France et des Archives du Quai d'Orsay
 
 De prestigieuses institutions sont au côté de la Fondation pour mener à bien ce projet.

En amont, Mme Martine de Boisdeffre, directrice des Archives de France, a adressé une note à tous les services d'archives de son cercle de responsabilité (départementales, municipales …) afin de les informer de notre projet.
Mme Marie-Paule Arnauld, directrice du Centre historique des Archives nationales, et ses services facilitent nos recherches en identifiant les lettres de Napoléon qui passent en vente, en localisant les lettres intégrées aux Archives privées.
Pour ce qui est des documents primaires, les Archives nationales ont mis à la disposition de la Fondation un tirage papier de l'ensemble des microfilms des archives de la seconde Commission Historique du Second Empire (400 AP), qui comprend l'ensemble des copies des lettres disponibles sous forme de minutes et, informations précieuses, les annotations des membres de la commission précisant les raisons d'exclusion de certaines lettres.

Les Archives du Ministère des Affaires étrangères nous ont communiqué le tirage papier de l'ensemble des lettres signées Bonaparte ou Napoléon conservées dans leurs fonds, soit plus de vingt volumes. Ces centaines de documents sont tous des expéditions et ont donc une grande valeur historique. Leur publication enrichira considérablement la connaissance historique. En effet, une lettre originale peut avoir deux formes : minute ou expédition. La minute est l'exemplaire conservé par le secrétaire qui a rédigé la lettre, tandis que l'expédition est celle effectivement envoyée, et le plus souvent reçue, par le destinataire. Des différences peuvent exister entre les deux types de textes dans la mesure où la minute fait figure de « brouillon », alors que l'expédition est la forme achevée. La confrontation de ces deux types d'originaux peut être riche d'enseignements.
 
D'autres institutions, comme les Archives de l'Ecole Polytechnique, les musées ou des organisations, dont nombre de sociétés savantes, nous aident à pousser plus loin nos investigations.
 
 
C) L'appel aux institutions étrangères : 25 centres d'archives étrangers contactés
 
Peter Hicks, de la Fondation Napoléon, se charge des contacts internationaux. 25 centres d'archives ou bibliothèques étrangers ont été contactés à ce jour, en Allemagne, Autriche, Canada, Etats-Unis, Italie, Royaume-Uni, Suède. Nous avons déjà obtenu de leurs services 191 copies de lettres expédiées.
 
 
D) Les collaborations volontaires
 
Les institutions contactées, l'implication de particuliers dans ce projet est essentiel à plusieurs titres : sensibiliser les possesseurs de lettres à l'intérêt de notre publication, encourager les passionnés ou les simples intéressés à venir dépouiller les archives, à être actifs en province et à l'étranger pour affiner notre collecte de documents.
 
1) Les collectionneurs participent
Moins connue et moins accessible, l'autre source de lettres est la collection privée. Or plus d'une dizaine de vendeurs d'autographes ont été sollicités pour nous permettre de diffuser notre projet auprès de leur clientèle, à Paris en particulier mais aussi à Londres et aux Etats-Unis.
Des collectionneurs ont spontanément adressé à la Fondation des copies de leurs lettres, animés par le désir de faire avancer la connaissance de l'histoire. D'autres collections, bien identifiées à ce jour, restent imperméables aux arguments scientifiques, mais nous ne désespérons pas.
 
2) Les boursiers travaillent
 Jeunes chercheurs que la Fondation Napoléon a soutenus dans leurs travaux, les boursiers de la Fondation, appelés à dépouiller les archives de la Commission historique, ont contribué avec beaucoup d'application à réaliser un premier travail de comparaison entre archives et documents imprimés dans la Correspondance du Second Empire. De quoi traiter l'ensemble des documents fournis par les Archives nationales, en un été !
 
3) Les « membres correspondants » sont formidables
La volonté de la Fondation Napoléon de faire partager son enthousiasme pour ce projet et le grand nombre de réactions positives qu'elle a reçues à ce sujet, l'ont encouragée à concevoir le terme de « membre correspondant » : toute personne qui se porte volontaire pour nous aider de quelque manière que ce soit. La Fondation est fière de pouvoir en compter plus de 70 à ce jour.

Le relais des médias nous a permis de diffuser notre projet auprès du grand public. La Lettre d'information du site napoleon.org, a invité les abonnés à nous rejoindre, et en cet été 2002 la Une du site rappelait l'avancement de nos travaux. Les journaux spécialisés ou non, ont également diffusé des articles sur le projet. En août, le mensuel Sciences et Avenir a pris l'initiative d'insérer, en très bonne place, l'annonce que nous avions publiée sur une liste de discussion de bibliothécaires-documentalistes ! Preuve que ce projet suscite l'intérêt bien au-delà du monde de l'histoire napoléonienne.

Pour l'heure, les membres correspondants viennent travailler dans nos locaux au dépouillement des archives, ou font des recherches en province, en se déplaçant dans leur centre d'archives départementales ou en éclairant des points d'histoire locale. D'autres membres correspondants nous aident également à contacter des services d'archives, etc., dans certains pays tels que l'Espagne et les Pays-Bas de langue néerlandaise.
 
4) Les annotateurs se préparent
Enfin la Fondation Napoléon a invité la commission scientifique à réfléchir aux historiens les plus compétents dans chacun des domaines spécifiques de l'histoire de la période.

La mise en place d’un système informatique

Nous l'avons dit plus haut, l'histoire et la science sont une chose. La gestion de plusieurs tonnes de papier en est une autre. Des outils spécifiques ont été mis au point.
 

A) Etablissement d'un processus de traitement des lettres
 
1) La définition du champs d'investigation
La première interrogation qui se pose, qui peut paraître une évidence mais qui est tout le contraire, est de savoir ce qu'est une lettre.
Le comité a défini l'unité de publication (la lettre) comme un document rédigé, dans son ensemble, à la première personne, sous la dictée ou de la main de Napoléon, envoyée à un destinataire ou à un ensemble de destinataires et signée, de préférence.
De cette définition découle l'exclusion de la publication des ordres, des décisions, des bulletins, des déclarations, des arrêts, des notes (sauf si elles sont en annexe d'une lettre), etc.
 
Ainsi définies, le recensement des sources imprimées a pu être mené. Il a consisté en la rédaction de la bibliographie la plus précise et complète possible des textes contenant des lettres publiées. Les ouvrages de la Bibliothèque Martial Lapeyre, nous ont permis de rassembler les 4/5ème des ouvrages utiles. Une partie de ce qui nous faisait défaut nous a été très aimablement prêté par la bibliothèque Paul Marmottan, ou par des particuliers. Le Centre historique des Archives nationales met également des ouvrages à notre disposition.
Le repérage systématique des lettres publiées dans des revues ou dans des catalogues de vente est un vaste travail qui a débuté, mais qui est à lui seul une mission de longue haleine : les volontaires sont bienvenus.
 
2) L'établissement d'une fiche signalétique
Le travail qui a été mené principalement jusqu'à présent, est un travail d'établissement du texte à publication. Il consiste à repérer dans un lot de documents d'archives manuscrits, les lettres qui auraient été publiées dans les cinq ouvrages dits « de référence » qui rassemblent à eux seuls la très grande partie des lettres éditées, à savoir : La Correspondance publiée par ordre de Napoléon III, Léon Lecestre : Lettres Inédites vol. 1 et 2, Léonce de Brotonne : Dernières Lettres Inédites vol. 1 et 2, Léonce de Brotonne Lettres Inédites et Jean Tulard Lettres d'amour à Joséphine.
Pour rassembler les multiples informations tirées de l'étude et de la comparaison des textes originaux et imprimés, une « fiche signalétique » a été conçue. Elle vise à rassembler les informations qui identifient chaque lettre parmi l'ensemble des documents, et les renseignements de premier ordre, dont l'annotateur aura besoin pour rédiger l'apparat critique. Cette fiche propose aussi de réaliser une indexation thématique des lettres, qui permettra de les confier par spécialité aux annotateurs, mais apporte aussi une information sur le type de contenu des lettres. Les fiches complétées, selon des consignes précises, sont insérées avec le document d'archives dans des classeurs chronologiques.
 
3) Du papier au logiciel
Si le travail scientifique est humain, le travail de gestion, de tri, de statistiques, de numérotation chronologique automatique peut être relégué à la machine. L'ordinateur permet également de rechercher un ensemble de lettres ou une lettre particulière dans un volume de 35 000 en quelques secondes. C'est pourquoi la Fondation Napoléon a conçu et fait développer par la Junior Entreprise de l'Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications, un logiciel de gestion de la Correspondance Napoléon, surnommé « Emily », reprenant les éléments de la fiche signalétique de chaque lettre traitée.

 
B) Numérisation du fonds de lettres : un choix innovant

En parallèle, une vaste campagne de numérisation du contenu est menée afin d'éviter un travail de ressaisie manuelle du texte des lettres.
 
1) La numérisation en XML (Extensive Markup Langage) : liberté de la forme
En collaboration avec le groupe AIS-Berger-Levrault, 5 326 lettres sont numérisées à ce jour. La Fondation a opté pour un choix innovant avec le format XML. Ce format permet de donner au contenu d'un texte dont on aura fait apparaître la structure logique, la forme que l'on souhaite.
Les textes numérisés seront disponibles, à terme sur le site napoleonica.org, et dans un futur plus proche sous forme de CD-ROM.

2) La mise en forme éditoriale
De plus, la Fondation remettra à l'éditeur Fayard des fichiers informatiques contenant le texte de la lettre et celui des annotations. La numérisation des lettres, rendues lisibles par un logiciel de traitement de texte courant, permettra aux chercheurs d'ajouter leurs annotations directement à la suite du texte.
En collaboration avec Fayard, la Fondation Napoléon a rédigé les consignes de rédaction des notes qui doivent être simples, courtes et utiles à la compréhension du texte.
Sont déjà prévus une vingtaine de volumes, des index thématiques, des chronologies, l'insertion de cartes et de fac-similés. Les deux premiers volumes devraient sortir en 2004.

Quelques chiffres

A) Combien de lettres traitées, dans quels fonds d'archives ?

A ce jour, 1 400 lettres ont été traitées sur archives. Il faut y ajouter plus de 5 000 lettres issues des recueils de Lecestre, Brotonne et Tulard, dont la qualité est avérée et qui ne feront pas l'objet, en principe, d'une vérification systématique.
Le travail sur le fonds des Archives nationales est sur le point d'être achevé. Un tiers du fonds des archives du Ministère des Affaires étrangères est également traité. Ce qui signifie que les lettres ont fait l'objet d'une fiche signalétique, que le texte en est établi d'après l'original (minute ou expédition ou les deux), et que des recherches élémentaires sur leur contenu ont été faites.
 

B) Combien de personnes participent ?

Plus de 70 ainsi réparties : 12 boursiers, 35 membres correspondants, 13 informateurs, 16 collectionneurs, sans compter les membres des deux commissions et le personnel de la Fondation Napoléon.


C) Combien de lettres inédites ont été recensées, par rapport à la Correspondance du Second Empire et combien sont totalement inédites ?

30 % des lettres traitées ne figurent dans aucun des ouvrages de références, à savoir la Correspondance du Second Empire, les Lettres inédites, et Dernières lettres inédites de Léonce de Brotonne, les Lettres inédites de Léon Lecestre et les Lettres d'amour à Joséphine de Jean Tulard.
Une cinquantaine de documents sont totalement inédits dont une lettre d'amour inconnue de Bonaparte, en cours d'expertise.

Conclusion

Le vaste projet de la Correspondance Napoléon s'engage véritablement sur la bonne voie. Ce premier bilan est positif pour plusieurs raisons :

— la mise au point complexe et progressive des processus de travail commence à porter ses fruits,

— une importante quantité de documents peu ou pas connus des historiens ont été découverts,
 
— l'enthousiasme et la motivation des premières semaines se confirment chaque jours et s'incarnent dans la bonne coopération des services d'archives internationaux et dans la révélation d'un réseau d'érudits-passionnés napoléoniens à travers le monde.

L'objectif de publication des deux premiers volumes à l'automne 2004 devrait être atteint.
 

Un dernier mot : rejoignez-nous !

Notes

(1) : Rapport de la Commission à Napoléon III en date du 20 janvier 1858, cité par Léon Lecestre dans Lettres inédites de Napoléon 1er, Paris, Plon, 1897.
(2) : Ibidem.
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