Friedland ou la consécration de Victor

Auteur(s) : TARIN Jean-Pierre
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Le 10 juin 1807, Victor remplace Bernadotte  contraint d'abandonner le commandement du 1er corps à la suite de deux blessures consécutives. L'état de santé de Bernadotte offre donc une opportunité de gloire à Victor.
 

Victor doit contenir la garde russe

L'après-midi du 14 juin, il arrive avec son 1er corps à la suite de Napoléon. Lorsqu'il lui a présenté son unité, ce dernier a constaté que seule la division Dupont est apte au feu, le reste du corps, divisions Lapisse et Villatte, étant trop inexpérimenté. Napoléon assigne logiquement à Victor un rôle de réserve.

Ney et son 6e corps sont chargés de mener l'attaque principale par Sortlack. Quand il est en difficulté, la division Dupont progresse pour le soutenir, précédée de l'artillerie de Sénarmont. Il doit contenir la garde russe venue renforcer le corps de Bagration qui, ainsi, a pu semer le désordre dans les divisions Marchand et Bisson. L'infanterie de Barrois, les dragons de Latour-Maubourg et la brigade légère de Marulaz refoulent les Russes.

Sénarmont a la présence d'esprit géniale de réclamer la concentration de l'artillerie pour frapper un coup décisif. L'audace de l'adjoint de Victor effraie même quelque peu Napoléon qui envoie son aide de camp Mouton sur place. Après avoir entendu son rapport, l'Empereur conclut : « Ce sont de mauvaises têtes. Laissons-les faire ». L'artilleur Bonaparte sent bien que cette initiative hardie va payer. C'est le jour de Victor et de Sénarmont : aujourd'hui ils ont le coup d'oeil et la chance de leur côté, soutenus par des généraux d'une immense bravoure, comme Dupont, et des troupes vaillantes à défaut d'être expérimentées.

Victor a devant lui une masse de plus en plus concentrée de Russes pris dans la nasse et Sénarmont poursuit sa tactique. Quand la cavalerie russe contre-attaque, il fait tourner ses pièces et ouvre d'affreuses brèches parmi les assaillants.

La droite de l'armée française pénètre alors dans Friedland, fonce jusqu'à la rive et coupe la retraite vers les ponts qui s'embrasent bientôt. Les Russes de Gortchakov sont encerclés, d'autres tentent de franchir la rivière au prix de pertes effroyables. Les eaux boueuses débordent de cadavres. Puis le silence retombe peu à peu dans la nuit. La victoire est aux mains de Napoléon. Le mauvais souvenir d'Eylau vient d'être effacé.

Napoléon peut être satisfait de toute son armée et, en particulier, du 1er corps qui a su donner le meilleur de lui-même au moment voulu, qui s'est bien coordonné avec Ney aux moments cruciaux et qui a tenu jusqu'au but final. Le corps de Victor s'est mué en fer de lance et a emporté la décision, grâce à la valeur de ses chefs (1) et à la bravoure de ses hommes.

Napoléon n'est pas un ingrat. Le 30 juin, Victor obtient personnellement une dotation de 50 000 francs de rente annuelle sur le futur grand duché de Varsovie (2). Il reçoit le domaine de Scedecz, dans le département de Posen, en Pologne.

Le bâton de maréchal

Enfin, la consécration suprême arrive : Victor reçoit le bâton de maréchal de l'Empire à 42 ans. Lannes l'a demandé pour son ancien chef d'état-major qu'il apprécie, mais aussi pour l'ami qu'il connaît depuis la campagne d'Italie et avec lequel il a combattu et souffert (3). Le décret de nomination, signé par Napoléon à Königsberg le 13 juillet, dit que c'est « un témoignage éclatant de Notre satisfaction pour les services qu'il nous a rendu [sic] et notamment à la bataille de Friedland ».

Il faut rappeler qu'entre la grande promotion de maréchaux de 1804 et les nominations ultérieures à 1809, Victor est le seul à être ainsi distingué et, de plus, directement à la suite d'un exploit militaire. Il est le quinzième sur la liste des maréchaux en activité.

N'ayant que peu de liens particuliers avec Napoléon, c'est bien la bravoure de Victor que l'Empereur a reconnue, la valeur d'un excellent exécutant, vaillant et déterminé, à défaut d'être un grand stratège.

L'Empereur ne fait que confirmer ce qu'il a écrit à Lannes lorsqu'il a appelé Victor à ses côtés : « Je vois avec plaisir que vous le preniez pour chef d'état-major… C'est un homme solide et en qui j'ai confiance. Je lui en donnerai des preuves aussitôt que les événements me le permettront » (4).

Il est difficile d'imaginer que Napoléon, soucieux des coïncidences et des dates importantes de son ascension, n'ait pas fait le rapprochement entre deux dates auxquelles Victor s'est illustré : le 14 juin 1800, Marengo, le 14 juin 1807, Friedland. Les deux hommes n'ont-ils pas été nommés général de brigade le même jour, à Toulon ? On peut d'autant plus mesurer les conséquences d'une captivité prolongée en Louisiane ou en Prusse, auxquelles Victor a heureusement échappé (5). La chance lui a souri et lui a permis d'arriver au zénith.

Aux honneurs vont bientôt succéder les hautes responsabilités : le 9 août, Victor est nommé gouverneur de Berlin, des environs, des enclaves prussiennes en Saxe et de la Poméranie. Puis, le 27 septembre 1807, c'est une rente annuelle de 11 764 francs sur le Grand Livre, avant celles de 1808 et le titre de duc de Bellune.

Victor, qui a toujours été soucieux de son apparence, n'a plus qu'à se livrer aux pinceaux de Gros pour son portrait officiel en grande tenue de maréchal et à jouir de sa réussite avant les prochaines difficultés qu'il va devoir affronter à la tête du 1er corps (6).

Notes

Notes :
(1) Sénarmont aurait largement mérité le bâton de maréchal pour son génie tactique et sa contribution à la stratégie de l'artillerie, mais il est seulement général de brigade à cette époque. Cependant son coeur entrera au Panthéon le 5 juin 1811.
(2) À chaque dotation les chiffres diffèrent suivant les sources. Dans ce cas précis, les états de service indiquent : 36 175 francs.
(3) Victor est venu au secours de Lannes à Montebello, le 9 juin 1800. Lannes lui a rendu la pareille à Marengo, le 14 juin suivant. Lorsque Lannes deviendra duc de Montebello, il dira à Victor : « Mon ami, je te dois mon nom ! ».
(4) Correspondance de Napoléon Ier, n° 10 961.
(5) Nommé le 10 août 1802 capitaine général de la Louisiane, Victor aurait très bien pu rester prisonnier outre-Atlantique, s'il était parti. Nommé chef du 10e corps le 5 janvier 1807, il fut capturé par des chasseurs prussiens. Heureusement il n'est resté qu'environ un mois prisonnier et a été échangé contre le général Blücher. Ces deux contretemps fâcheux auraient  pu bouleverser sa carrière.
(6) Il ne quittera ce commandement que le 3 avril 1812.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
469
Mois de publication :
mars-avril
Année de publication :
2007
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