Histoire du franc : quelques points de repère

Auteur(s) : DELAGE Irène
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La naissance du « franc » : l’ordonnance du 5 décembre 1360

C’est le 5 décembre 1360 qu’une ordonnance de Jean II Le Bon créa le « premier » franc : représentant le roi à cheval, c’était un denier d’or (3,885 grammes de 24 carats), frappé pour payer la rançon du roi, prisonnier du roi d’Angleterre Edouard III après la défaite de Poitiers le 19 septembre 1356.
Le nom de « franc » trouve son origine dans les raisons même de sa création : « Nous avons été délivré à plein de prison et sommes franc et délivré à toujours », disait le roi dans son ordonnance.

Jusqu’à la Révolution, plusieurs ordonnances instituèrent de nouvelle pièces : Charles V, par exemple, en 1365, créa le « franc à pied », le représentant debout l’épée à la main ; Charles VII en 1422, un « franc à cheval » de 3,059 grammes, dernière pièce d’or effectivement battue à s’appeler « franc ».
Par une ordonnance du 31 mai 1575, Henri III crée le « franc d’argent » (1575-1586 puis 1591-1594). Henri IV fit frapper des quarts de francs et des demi-francs, à son effigie comme tous les régnants depuis Jean II Le Bon en avait pris l’habitude.

L’Ancien Régime et la Révolution : la loi du 15 août 1795

Les guerres menées par Louis XIV laissèrent un pays exsangue tant d’un point de vue économique que financier. La pénurie de métaux précieux entraîna une raréfaction des pièces en circulation et limita la possibilité d’en frapper de nouvelles.

C’est dans ce contexte que le régent Philippe d’Orléans nomma l’écossais Law, Contrôleur Général des Finances. Ce dernier créa la Banque générale privée (1716), qui développa l’utilisation du papier-monnaie, puis la Compagnie des Indes (23 mai 1719) avec le monopole du commerce sur l’ensemble des mers. S’appuyant sur la spéculation des actions de la Compagnie des Indes et l’inflation, le système ne pouvait que s’effondrer, ce qui arriva à la fin de 1720, lorsque les adversaires du financier convertirent en masse leurs billets.

L’échec du système entraîna une refonte générale des monnaies en 1726, et des louis d’or de 20 et 24 livres furent frappés. Mais si la France connut une certaine stabilité monétaire durant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, il n’en fut pas de même pour la budget, la dette de l’Etat étant multipliée par 3 durant le règne de Louis XVI. La nécessité de trouver des moyens d’éviter la banqueroute, et la convocation des Etats Généraux, précipitèrent la France dans la tourmente révolutionnaire et provoquèrent la chute de la monarchie capétienne.

Aux abois, l’Assemblée constituante reprit le principe du papier-monnaie en lançant les assignats en décembre 1789. leur production augmenta de manière telle que leur dévaluation fut tout aussi rapide : en mai 1791, 100 livres-papier ne valaient plus que 73 livres espèces, et un an plus tard, leur valeur avait diminué de 50 à 70 %. Ils furent supprimés le 18 mars 1796, et démonétisés le 4 février 1797.

Parallèlement, la monnaie connut également des réformes : la loi du 15 août 1795 affirmait que « l’unité monétaire porterait désormais le nom de franc. […] Le titre de la monnaie d’argent sera de 9 parties de ce métal pur et d’une partie d’alliage ; la pièce d’un franc sera à la taille de 5 grammes. »

Le franc « moderne » était né.

Deux ans auparavant, la Convention avait imposé le système décimal à l’ensemble de la France le 1er août 1793, et décrété le 24 août que « la livre numéraire sera[it] divisée en dix parties appelées décimes [et que] le décime sera[it] divisé en dix parties appelées centimes ».

Le Consulat et le franc germinal : la loi du 7 germinal an XI

Pas moins de sept textes législatifs sur la monnaie furent discutés, votés et promulgués entre le 18 ventôse (9 mars 1803) et le 5 messidor (24 juin 1803).
Mais c’est la loi du 7 germinal an XI (28 mars 1803) qui apparaît comme la plus importante. Cette loi bénéficia d’un contexte politique, économique et social favorable, d’un climat de confiance né de la Paix d’Amiens en mars 1802.

Pourtant elle ne faisait que confirmer les dispositions prises par la loi du 15 août 1795.
En effet, la situation monétaire était assez anarchique sous le Directoire : dégradation de la monnaie par rognage, par triage et remise en circulation de pièces affaiblies (c’est-à-dire de monnaies n’ayant plus cours), par la contrefaçon, mais aussi libre circulation de monnaies étrangères (shillings, monnaies du Piémont, de Suisse), excès de la monnaie de cuivre toujours en circulation.

La loi de germinal définissait des pièces d’argent (un quart de franc, un demi-franc, trois-quarts de franc, un franc, deux francs et cinq francs) et d’or (20 francs et 40 francs). Avec l’établissement d’un poids fixe de métal, la monnaie de compte correspondait totalement à la monnaie réelle. De même, le rapport entre l’or et l’argent fut défini, de 15,5. Certains historiens estiment que la double référence à l’or et à l’argent fondait de fait un système bimétalliste, d’autres (G. Thuillier) estiment au contraire que l’argent devenait la mesure étalon, et que l’or lui étant subordonné cette loi est bien plutôt monométalliste.

Première pièce de 1 franc jamais fabriquée selon les lois du 18 germinal an III (7 avril 1795) et du 28 thermidor an III (15 août 1795), c’est la première fois depuis plus de dix ans qu’apparaissait sur une monnaie l’effigie du détenteur du pouvoir, le Premier Consul. Le 18 germinal an IX, les derniers écus de 5 Francs au type de Dupré furent frappés à Paris. Et dès le 26, soit 8 jours plus tard (16 avril 1803), les premières pièces de 5 Francs au type du Premier Consul étaient fabriquées.

La loi du 24 germinal (14 avril 1803) accorda pour quinze ans à la Banque de France, le monopole de l’émission du papier-monnaie. Il restait réservé cependant aux transactions importantes, le souvenir du désastre de Law et de celui des assignats étant encore vivace : aussi la valeur de la plus petite coupure fut définie à hauteur de 500 francs. Cette loi permettait également de réformer la vérification des monnaies en circulation afin de faire disparaître les contrefaçons, les pièces rognées, etc.

En 1806, le ministre des Finances Gaudin demanda que des canons pris lors de la bataille d’Austerlitz soient fondus pour construire les machines nécessaires à la fabrication du franc germinal : Napoléon accepta et ces machines servirent plus de 150 ans : y figurait l’inscription Cuivre pris à Austerlitz sur l’ennemi.

Le franc au XIXe siècle

La chute de l’Empire, puis des régimes monarchiques dans la première moitié du XIXe, la crise économique de 1847, n’affaiblirent pas la position du franc, ni le rôle de la Banque de France.

Tandis que certaines des nouvelles personnalités politiques françaises étaient issues du monde de la banque et de la finance, comme le banquier Laffite, des pays européens s’inspiraient fortement de la France pour redéfinir leur monnaie et leur système financier : le franc belge fut ainsi créé le 5 juin 1832, le franc suisse le 7 mai 1850.

Un décret du 15 mars 1848 instituait le monopole de la Banque de Franque pour l’émission des billets de banque de la toute nouvelle IInde République, et suspendait la convertibilité des billets afin d’endiguer la ruée sur le numéraire.

L’essor économique de la France sous le Second Empire fut certainement favorisé par la stabilité du système monétaire défini pendant la Convention, établi et consolidé sous le Consulat. Le système bancaire se modernisa considérablement, les banques se regroupèrent et des succursales apparurent dans les grandes villes de province. La Banque de France devint ainsi une vraie banque nationale. En 1857, des coupures d’un montant de 50 francs apparurent.

Vers 1850, d’importantes mines d’or furent découvertes en Californie et en Australie. Le stock d’argent restant stable, le système bimétallique de germinal se trouva perturbé. Plusieurs pays abaissèrent le titre de leurs pièces d’argent de 900/1000 à 835/1000, ce qui entraîna l’exportation des pièces françaises au titre inchangé. Pour pallier cette situation, l’Union monétaire latine fut créée en décembre 1856 sous l’impulsion de Napoléon III : elle regroupait la France, la Belgique, l’Italie et la Suisse et avait pour objectif d’unifier, dans cet « espace européen » le poids, le titre et les cours des espèces d’or et d’argent, chaque monnaie gardant leur nom (franc français, franc suisse, lire,…) et leur symbole national. En 1868, la Grèce rejoignait l’Union latine.

La défaite de Sedan qui entraîna la chute du Second Empire ne remit pas en cause le système monétaire de la France plus éprouvé par les déboires du bimétallisme que par les changements politiques.
Cependant la monnaie connut des « altérations non officielles ». Certaines pièces se mirent à circuler, avec le portrait de l’empereur, parfois renommé « vampire de la France », coiffé d’un casque à pointe quand il n’était pas transformé en tête de cochon.

La stabilité du franc germinal se maintiendra jusqu’en 1914. Mais après la Grande Guerre, affecté par les emprunts de la France à l’étranger et le refus des États-Unis d’éponger les dettes de guerre, le franc germinal perdra 80% de sa valeur en six ans, de 1918 à 1924. Nommé à la tête du gouvernement en juillet 1926, Poincaré prit plusieurs mesures finacières et budgétaires, qui permirent au franc, dit alors Poincaré, de remonter sur le marché des changes.

Éléments bibliographiques

À lire sur le site napoleon.org :

Pièce de 5 francs, Napoléon Empereur, 1806, par Karine Huguenaud

L’administration des monnaies. Une institution dirigée sous le Consulat et l’Empire, par Jean-Marie Darnis

La Banque de France, une des grandes institutions napoléoniennes, par Alain Plessis

Martin Garat (1748-1830), directeur de la Banque de France, par Marc Allégret

Martin-Michel-Charles Gaudin (1756-1841), ministre des Finances, par Marc Allégret

Jacques Laffitte (1767-1844), banquier, par Marc Allégret

Sur d’autres sites :

Création du Franc germinal (7-24 germinal an XI / 7-14 avril 1803), par Evelyne Cohen, conservatrice chargée du Musée de la Monnaie de Paris

Le Franc germinal : la révolution monétaire, par Laurent Schmidt

Ouvrages et articles :

La création du franc germinal, 28 mars 1803 / Thierry Lentz, Revue Napoléon, n° 13, janv-mars 2003, p. 47-52

Histoire du franc / éd. Jacques Demougin, Paris : Ed. du Layeur, : Trésor du Patrimoine, 2003, 156 p.

La grande inflation : la monnaie en France de Louis XVI à Napoléon / François Crouzet ; préf. de Jacques de Larosière,… – [Paris] : Fayard, 1993, 608 p.

La monnaie de Paris : sa création et son histoire du Consulat et de l’Empire à la Restauration, 1795-1826 / Jean-Marie Darnis,… ; avant-propos de Patrice Cahart,… ; préface de Jean Tulard,… – Levallois : Centre d’Etudes Napoléoniennes, 1988, 313 p. – (Mémoire de la société de sauvegarde du château impérial de Pont de Briques ; 2, 1988)

 

Site internet : la Monnaie de Paris

Pour les collectionneurs :

http://www.lefranc.net/

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