Il y a 150 ans : l’année 1859

Auteur(s) : FONDATION NAPOLÉON
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Quelques dates explicitées, mêlant la petite à la grande histoire... Cette chronologie sera enrichie tout au long de l'année 2009.

Janvier 1859

Vers la guerre en Italie…
Le 10 janvier 1859, le roi du Piémont Victor Emmanuel II prononce un discours au Parlement, préalablement soumis à Napoléon III, dans lequel il ne cache ni ses espoirs ni le soutien dont il bénéficie : « Notre pays, petit par son territoire, a grandi en crédit dans les conseils de l'Europe, parce qu'il est grand par les idées qu'il représente et par les sympathies qu'il inspire… Si nous respectons les traités nous ne sommes pas insensibles au cri de douleur qui, de tant de parties de l'Italie, s'élève vers nous… » (cit. par Roland Conilleau, L'Entrevue de Plombières).
Rappelons que l'entrevue secrète entre Cavour et Napoléon III à Plombières-les- bains du 21 juillet 1858 avait débouché sur une alliance militaire contre l'Autriche et une réorganisation des territoires de la botte. Le Piémont s'agrandirait de la Lombardie, la Vénétie et les Duchés de Parme et de Modène. Le Pape ne conserverait que Rome et le Latium, tandis que le reste de ses Etats, réunis à la Toscane, constitueraient un royaume d'Italie centrale dont la couronne reviendrait au Prince Napoléon(Plon-Plon) qui doit épouser la fille aînée de Victor-Emmanuel II, la princesse Clotilde de Savoie. [Le contenu des accords secrets de Plombières ont été mis par écrit dans un rapport de Cavour à Victor-Emmanuel rendu dans les jours qui suivirent l'entrevue. Une copie manuscrite de ce rapport est conservée aux Archives du Piémont, à Turin. Edité en 1884, ce rapport a été depuis rapporté dans de nombreux ouvrages sur la question italienne)
En janvier 1859, les choses semblent donc bien avancées. Le 13 janvier, Plon-Plon, accompagné du général Niel, se rend à Turin pour rencontrer sa future épouse, et visiter les ports, les arsenaux et les fortifications, en compagnie du ministre sarde de la guerre.
[A lire la notice « Italie (unité) » de Jean Ganiage dans le Dictionnaire du Second Empire, Fayard, 1995; Pappalardo (M.A. et A.), Le Plonplonismo, SDE, 2003]
 
Sciences
Le 10 janvier 1859, le médecin Claude Bernard, considéré comme le fondateur de la médecine expérimentale, fait une communication, à l'Académie des Sciences, montrant le rôle glycogénique du placenta. Jusqu'alors, on croyait que le placenta remplissait seulement un rôle analogue à celui du poumon. Par la suite, Bernard démontrera le rôle trophique, protecteur et hormonal du placenta.
(« Sur une nouvelle fonction du placenta », ADS, XLVIII t. XLVIII, 1859, pp. 77-86)
 
La communauté internationale face à l'imminence de la guerre en Italie
Le traité signé secrètement à Plombières entre Napoléon III et Victor Emmanuel II le 10 décembre 1858, et l'organisation du mariage entre le Prince Napoléon et la fille de Victor Emmanuel II, Clothilde, avaient renforcé les relations franco-piémontaises. Par ailleurs Napoléon III s'employa à s'assurer la neutralité des puissances les plus significatives de la communauté internationale dans le conflit à venir. La guerre dans le Nord de l'Italie n'impliquait pas seulement l'Autriche, et il était inconcevable pour la France de s'engager dans la guerre avec une quelconque menace sur ses arrières. Dans une lettre du 19 janvier 1859, Napoléon III faisait part au Prince Napoléon du succès des négociations avec le Tsar, conduites par le capitaine La Roncière Le Noury : « La Roncière a très bien rempli sa mission. On a tout ce qu'on pouvait espérer. L'Empereur lui a dit en partant qu'il me donnait sa parole d'honneur de faire tout ce qu'il pourrait en ma faveur, mais qu'il fallait le laisser juge des moyens et du temps. » (Correspondante inédite entre Napoléon III et le Prince Napoléon, publiée par d'Hauterive, 1925, p.127) La neutralité russe (et le contrôle de la Prusse) était donc assurée, au prix d'une attitude complaisante envers les aspirations russes en Pologne et dans la Mer Noire. La position anglaise était partagée. Le bouleversement de l'ordre européen issu du Congrès de Vienne de 1815, conséquence de l'alliance de la France au Piémont, provoquait l'indignation de la reine Victoria, encouragée par son époux, prussophile. Mais dans le même temps, l'opinion publique britannique était révoltée par la « tyrannie » autrichienne. Dans une déclaration du 30 janvier 1859, l'influent homme politique Palmerston exprima bien cette dualité : « je suis pro-autrichien pour ce qui concerne la région au Nord des Alpes, et anti-autrichien pour la région au Sud des Alpes. »
La scène était prête à accueillir le dénouement.

L'importance de l'opinion publique dans le conflit international
Le 26 janvier 1859, Napoléon III écrivait à son cousin, le Prince Napoléon, pour le féliciter de la façon dont il avait conduit les négociations pour son mariage. Ce courrier comportait également des informations très importantes sur la façon dont Napoléon III voulait que l'opinion publique en France, et plus généralement en Europe, envisagea la guerre à venir : « Quant à la question en elle-même, je répéterai toujours la même chose. Il faut redoubler de soin pour que l'Europe nous donne raison. Les indiscrétions ont été telles que je reçois, de Rome et d'Autriche, des nouvelles qui disent que le duc de Modène sachant que le Piémont veut susciter une insurrection dans ses Etats, il s'est entendu avec l'Autriche et la Toscane  pour se réfugier le cas échéant avec ses troupes en Toscane et en appeler aux grandes puissances. La difficulté principale est donc toujours la même et je la formule en quelques mots : si le Piémont a l'air de chercher à l'Autriche une mauvaise querelle, si de mon côté j'ai l'air d'approuver sa conduite dans mon désir de la guerre, l'opinion publique en France comme en Europe m'abandonne et je risque d'avoir toute l'Europe sur les bras. Si, au contraire, le Piémont paraît être une victime en revendiquant son droit, tout le monde, moi le soutenant, restera neutre. On m'approuvera. Qu'y a-t-il donc à faire ? C'est de poser la question sur un fait de droit, incontestable, quelque petit qu'il soit. Si, par exemple, le Piémont (ayant fait ses préparatifs) a le droit de réclamer contre l'occupation et la fortification de Plaisance et qu'il pousse cette question à outrance, je crois qu'il se poserait peut-être sur le meilleur terrain possible. Enfin, c'est dans ce sens qu'il faut travailler. Je crains que les autres moyens soient éventés et que, dès qu'on verra une insurrection à Massa Carrara, on va dire : « Voici le complot qui se déroule. » On m'a déjà envoyé de Florence des proclamations faites à Massa Carrara. »
Napoléon III et le Prince Napoléon, Correspondance inédite, publiée par E. d'Hauterive, 1925, p. 131 et suiv.

1-15 février 1859

17 janvier – 5 février 1859 : la Valachie et la Moldavie élisent un seul homme à leur tête : une union de fait, promesse de la constitution de la Roumanie
Les enjeux européens
Au milieu du XIXe siècle, la Moldavie et la Valachie étaient deux principautés situées sur la rive gauche du Danube, placées sous la suzeraineté du sultan de l'Empire ottoman. Si elles payaient un tribut annuel à la Sublime Porte, elles conservaient la maîtrise de leur administration (tandis que la Serbie et de la Bulgarie, situées sur la rive droite du Danube, étaient assujetties à la Sublime Porte). Après plusieurs conflits, les traités d'Ackermann en 1826, et d'Andrinople en 1829, instaurèrent une sorte de « condominium » entre la Turquie et la Russie, cette dernière cherchant à renforcer son influence dans cette région comme elle possédait la Bessarabie depuis 1812. L'Autriche s'inquiétait également de la constitution d'une nouvelle entité politique qui pourrait provoquer des bouleversements dans les états sous son autorité, comme la Transylvanie (limitrophe avec la Moldavie et la Valachie). Par ailleurs, le Danube traversait ces régions, et bien qu'il ne fût pas navigable sur l'ensemble de son cours, il représentait un enjeu économique.
Les tensions bouleversaient sans cesse cette région centrale de l'Europe. Le statu quo soutenu par la Turquie, la Russie et l'Autriche était loin de satisfaire les aspirations nationales des populations moldaves et valaques. Leurs élites avaient par ailleurs reçu une éducation et une culture françaises, souvent séjourné à Paris et goûté aux idées romantiques de la Révolution française. La récente renaissance de la Grèce exacerba le désir « nationaliste » roumain. La révolution tentée en 1848 fut fortement et conjointement réprimée par la Turquie et la Russie, mais le mouvement unioniste roumain s'en trouva renforcé.
 
Une marche difficile vers l'union et l'indépendance : première étape, la double élection
Napoléon III et la diplomatie française étaient favorables à l'union de la Moldavie et de la Valachie pour former la Roumanie. Mais en 1856, voyant les différentes puissances partagées sur la question roumaine, Napoléon III préféra obtenir du Congrès de Paris d'ajourner sa décision sur l'indépendance et la réunion de la Moldavie et la Valachie.
Des élections furent organisées pour désigner deux assemblées (ou divans). Voyant les élections truquées par les autorités en place, les unionistes se mobilisèrent. Conscient de la faiblesse de sa position, et inquiet de l'entente anglo-russe, Napoléon III rencontra la reine Victoria, en août 1857, à Osborne.  Le résultat fut mitigé, l'Angleterre acceptait de soutenir l'indépendance mais la France se voyait obligée de revenir sur la réunion de la Moldavie et de la Valachie.
Du 22 mai au 19 août 1858, une conférence européenne reconnut l'indépendance des « Deux principautés-Unies de Moldavie et de Valachie », qui n'étaient en fait unies que par leur nom. Les pouvoirs politiques et l'administration restaient séparés. Des élections furent organisées alors pour choisir deux hospodars (sorte de prince-régent). Mais rien n'interdisait que la même personne fut élue hospodar de Moldavie et hospodar de Valachie…
Le 17 janvier 1859, le divan moldave choisissait Alexandre Ion Cuza, petit boyard et obscur colonel de Moldavie, qui fut également élu le 5 février par le divan Valaque. Cette double élection, d'un personnage peu connu sur la scène politique, surprit les puissances européennes. Cette double élection ouvrait le chemin vers l'union et la constitution de la Roumanie.

7 février 1859, le bilan diplomatique de Napoléon III
Le 7 février, le Moniteur publiait une édition spéciale reprenant le discours de l'Empereur lors d'une session du Corps législatif, discours faisant le point de la situation diplomatique de la France vis-à-vis de ses voisins européens. Les relations avec l'Angleterre s'étaient renforcées : « Quant à l'alliance de la France et de l'Angleterre, j'ai mis tout ma persévérance à la consolider, et j'ai trouvé, de l'autre côté du détroit, une heureuse réciprocité de sentiments de la part de la Reine de la Grande-Bretagne » et de ses ministres. Les relations avec la Russie s'étaient également améliorées : « Depuis la conclusion de la paix [après la guerre de Crimée, ndlr] mes rapports avec l'Empereur de Russie ont pris de caractère de la plus franche cordialité, parce que nous avons été d'accord sur tous les points en litige ». On songe surtout à la mission diplomatique du Capitaine La Roncière le Noury (voir Lettre 481) pour s'assurer de la neutralité de la Russie en cas de guerre entre la France et l'Autriche.
En revanche, les relations franco-autrichiennes s'étaient dégradées : « Le cabinet de Vienne et le mien au contraire […] se sont trouvés souvent en dissidence sur les questions principales […]. Ainsi, par exemple, la reconstitution des Principautés Danubiennes n'a pu se terminer qu'après de nombreuses difficultés qui ont nui à la pleine satisfaction de leurs désirs les plus légitimes. […] Dans cet état des choses, il n'y avait rien d'extraordinaire que la France se rapprochât d'avantage du Piémont. […] Depuis quelque temps, l'état d'Italie et sa situation anormale où l'ordre ne peut être maintenu que par les troupes étrangères, inquiètent justement la diplomatie. » Napoléon III tenait à défendre le soutien de la France envers le Piémont (en prévision du conflit inévitable en Italie, le refus de Napoléon III (à la fin de son discours) d'une guerre doit bien être compris comme son contraire !). Le soutien aux principautés danubiennes était également rappelé, pour deux raisons : affirmer le soutien de la France aux aspirations des nations souhaitant leur indépendance (comme le Piémont), mais aussi pour enfoncer le clou dans son opposition à l'Autriche. L'influence de la question roumaine sur les relations franco-autrichiennes intéressait toute l'Europe, ainsi des débats sur ce sujet animèrent la chambre des Lords britannique à plusieurs occasions.

16-28 février 1859

Le 17 février 1859, les Français prennent le port de Saigon. 
Au milieu du XIXe siècle, les Anglais possédaient un empire colonial étendu, notamment en Inde. Les Français tentèrent de se développer alors en Asie du Sud et notamment en Cochinchine, région de l'actuel Vietnam. En 1787, le roi Louis XVI s'était engagé, contre des avantages commerciaux, à soutenir le prétendant au trône d'Amman, Nguyên Anh. Ses successeurs renièrent les engagements et se mirent à persécuter les missionnaires d'évangélisation catholique. En 1832, une loi autorisa le massacre des prêtres. En 1857, le supplice du jésuite R. P. Diaz, mobilisa la presse catholique qui informa la population du sort des missionnaires français en Cochinchine. Le gouvernement prit prétexte de cet émoi pour demander à l'amiral Rigault de Genouilly d'intervenir, de négocier la liberté de culte avec Tu Duc, à la tête du Vietnam depuis 1847, mais surtout de garantir les intérêts économiques de la France dans cette région. Après la prise de Tourane le 31 août, Rigault abandonna le projet de prendre la capitale Huê, inattaquable, et décida de prendre le port de Saigon, qui tomba le 17 février 1859. Rigault et sa flotte devant repartir pour la Chine, un bataillon fut chargé de tenir la place, jusqu'au retour des Français en février 1861. En avril 1863, Tu Duc signait le traité de Hué, cédant trois provinces à la France, et accordant la liberté de culte. Cette première implantation dans la région allait permettre à la France d'étendre son influence, par exemple avec l'instauration d'un protectorat français au Cambodge en août 1863.
 
Napoléon III et le Prince Napoléon, des relations « difficiles »…
Les cercles mondains parisiens bruissaient de petites phrases, sur le comportement de plus en plus « difficile » du Prince Napoléon, dit « Plon-Plon ». Dans ses mémoires, Viel-Castels racontait deux événements qui se déroulèrent les 24 et 28 février 1859.
Le 24, le Sénat devait examiner une proposition d'allouer huit cent mille francs au Prince Napoléon pour couvrir les frais de son mariage. Le général de Castelbajac proposa alors une formulation telle que la somme devait être remise à l'Empereur, qui la remettrait à son tour à son cousin. Cet amendement était un véritable vote de méfiance envers le Prince Napoléon, amendement que Napoléon III ne souhaita pas voir adopté. Malgré Castelbajac et quelques sénateurs de son avis, la proposition ne fut pas adoptée. Comme une augmentation de dotation en faveur du Prince Napoléon était envisagée, la Princesse Mathilde eut une vive conversation avec l'Empereur à qui elle déclara : « Vous ne savez donc pas que Napoléon est votre ennemi le plus acharné, vous ignorez donc ce qui se dit chez lui ? Napoléon s'exprime tout haut entre ses intimes de la façon la plus factieuse.  » Enfin, dit-il, je crois ma position bonne, je suis en mesure et s'il arrivait malheur à l'Empereur, ce ne serait certes pas cette niaise Impératrice ou ce bambin de Prince Impérial qu'on irait chercher !  » » L'Empereur ne parut pas étonné, mais réfléchi…
Le 28 février, la Princesse Mathilde confiait à Viel-Castel, toujours sur le Prince Napoléon : « c'est un être impossible, et Franconnière lui-même, son aide de camp, commence à être révolté. Vous ne pourriez imaginer comment il traite sa pauvre femme, comment et avec quelle brusquerie il lui parle. Enfin, hier, aux Tuileries, voyant qu'elle prenait plaisir à danser, il l'a emmenée avant onze heures, et lorsque j'ai voulu lui faire une observation, il m'a répondu :  » Chez moi, où je m'amuse, je vais me coucher à onze heures, il m'est donc bien permis de m'en aller d'ici où je m'embête, à la même heure.  »  Sa jeune femme est encore dans la stupéfaction de ses allures ; il ne veut pas déjeuner avec elle, et ne la voit pas de la journée. Il lui a défendu de venir le trouver, et si elle a quelque chose à lui dire, il faut qu'elle lui écrive. » 
 

A suivre…

 

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