Incroyable : nous avons retrouvé le corps de Napoléon !

Auteur(s) : MACÉ Jacques
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Le texte que l'on va lire ci-dessous est une fiction. Préparée par Jacques Macé, elle vise à montrer qu'avec une documentation et des connaissances historiques exploitées dans un certain but, tout est possible. Chaque acteur, chaque fait, chaque date de ce texte sont vrais. Seule la mise en scène générale et, bien sûr, la conclusion sont fausses. On pourrait sous-titrer cet essai « thèse multi-substitutionniste ».

Retournons donc à Sainte-Hélène au mois de mars 1821. Après le décès de son maître d'hôtel Cipriani en février 1818, Napoléon avait demandé à son oncle le cardinal Fesch et à sa mère de lui envoyer un aumônier catholique. En septembre 1819, arrivèrent non pas un mais deux prêtres corses, les abbés Buonavita et Vignali, afin qu'ils puissent se confesser l'un à l'autre en cas de péché mortel et continuer à célébrer l'office. Alors que Vignali était un jeune homme récemment ordonné, Buonavita était un ancien missionnaire âgé de 67 ans. Il ne put supporter le climat humide de Longwood et, atteint des maux endémiques à Sainte-Hélène, ne tarda pas à tomber gravement malade. Début mars 1821, il semblait si proche de sa fin que le grand-maréchal Bertrand le prit en pitié et négocia avec le lieutenant-colonel Reade, adjoint de Lowe, le rapatriement de l'abbé en Europe. Craignant l'effet que ferait à Londres un nouveau décès dans l'entourage du général Bonaparte, le gouverneur accorda l'embarquement de l'abbé Buonavita sur un navire de commerce appareillant le 17 mars.
Napoléon ne s'était pas rasé depuis le début du mois de mars. Le voyant ainsi, le général Montholon se dit qu'un grimage suffirait à lui donner l'apparence de l'abbé et, avec l'imagination fertile dont il avait donné de multiples preuves au cours de sa carrière, se convainquit de la possibilité d'une permutation des deux hommes. Au cours d'une longue conversation dans la chambre de l'Empereur, il lui exposa son plan et lui démontra que c'était l'ultime solution qui lui permettrait d'échapper au destin fatal qui le menaçait depuis l'échec des tentatives de Gourgaud en faveur de son rapatriement, durant le Congrès d'Aix-la-Chapelle. Il se montra si persuasif que Napoléon, qui s'était jusque-là toujours déclaré opposé à une évasion, se laissa convaincre. L'abbé Buonavita fut convoqué et, tant par fidélité impériale que par solidarité corse, accepta de se sacrifier, sachant d'ailleurs qu'il avait plus de chance de finir jeté mort aux requins que d'arriver vivant en Angleterre.
La permutation eut lieu dans la nuit du 15 au 16 mars. L'Empereur ne put faire autrement que d'en informer son valet de chambre Marchand en lui promettant de ne pas l'oublier et, qu'à son retour en Europe, il le ferait comte et lui assurerait un beau mariage. Marchand, dont le rêve était seulement d'être nommé baron, promit sa complicité. Montholon ne jugea pas utile d'informer Bertrand qui n'habitait pas à Longwood House même et dont la vivacité d'esprit était loin d'être l'une des qualités premières. Il suffirait désormais que « Napoléon » le reçoive au lit et dans la pénombre, volets fermés, pour que le grand-maréchal n'y voit que du feu. Buonavita, quant à lui, confia le secret à l'abbé Vignali sous le sceau de la confession. Il semble cependant que le docteur Antommarchi fut un peu plus tard mis dans la confidence par Vignali qui fit appel à son sens corse de l'honneur. Le docteur savait ce qu'il en coûtait de ne pas respecter l'omerta.
 
Tout se déroula comme il avait été prévu. Napoléon, habillé en abbé et grimé, fut descendu à Jamestown sur un brancard et embarqué le soir même. Il se retira dans sa cabine  pour ne plus apparaître sur le pont de tout le voyage. A Longwood, le capitaine Lutyens, officier d'ordonnance, après avoir vérifié que l'Empereur reposait dans sa chambre, donna le signal autorisant l'appareillage en ce matin du 17 mars. Dès lors, Montholon organisa l'affaire avec un talent hors du commun. Pour préparer l'avenir, il écrivit à son épouse Albine – lettre dont il savait qu'elle serait lue par les Anglais – que l'état de santé de son maître lui inspirait les plus vives inquiétudes et qu'il craignait qu'il ne puisse vivre longtemps. Buonavita, au plus mal, restait au lit et ne recevait Bertrand que très brièvement. Mieux, Montholon avec la complicité d'Antommarchi, organisa une consultation médicale par le docteur Arnott. Celui-ci qui n'a jamais préalablement vu l'Empereur pourrait de ce moment témoigner de la dégradation de son état. Montholon et Marchand se succédèrent toute la nuit pour veiller au chevet de l'Empereur. On arriva ainsi jusqu'au 11 avril.
Le 12 avril, alors que Buonavita était inconscient, Montholon s'enferma dans la chambre impériale et rédigea ce qui allait constituer l'un des faux les plus parfaits de l'histoire – le testament de Napoléon -, inventant des formules extraordinaires, telles que « Je désire que mes cendres reposent au bord de la Seine au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé ». Il en profita pour s'attribuer la majeure partie des fonds disponibles, n'oubliant pas son complice Marchand mais ne concédant qu'une portion congrue au grand-maréchal Bertrand. Encore fallait-il, pour être légal, que ce testament soit autographe. Or, Saint-Denis, ou si l'on préfère le mamelouk Ali, bibliothécaire de Longwood, était bien connu pour son aptitude à  relire et imiter l'illisible écriture de Napoléon. Montholon demanda donc à Saint-Denis, comme une marque de confiance de l'Empereur trop faible pour tenir lui-même la plume, de recopier le brouillon du testament en plagiant son écriture. Flatté de l'honneur qui lui était fait, le brave mamelouk tomba dans le piège, s'exécuta. Le testament scellé fut remis au grand-maréchal.
 
Buonavita n'avait plus qu'à mourir, ce qu'il fit le 5 mai à 5 h. 49 du soir. Antommarchi procéda à une autopsie et, pour éviter de se compromettre, rédigea successivement deux comptes rendus se contredisant. Les Anglais rédigèrent le leur. Alors que le corps commençait à se décomposer, Antommarchi prit ensuite un masque mortuaire si horrible qu'il s'empressa de le dissimuler pour lui substituer celui pris sur le visage de Cipriani en 1818.
Dès le 7 mai en fin d'après-midi, le corps de Buonavita fut déposé dans un triple cercueil de fer blanc, de bois d'acajou et de plomb. Ce pauvre Marchand, troublé de participer à une telle machination et chargé d'établir le procès-verbal officiel, se trompa et écrivit : « de fer blanc, de plomb et de bois d'acajou ». Bertrand signa sans rien remarquer, à son habitude. Montholon s'aperçut de l'erreur mais se garda bien de la signaler, se disant que si jamais une vérification était faite dans le futur, cet imbroglio ne pourrait que rendre plus difficile l'explication de la supercherie. Le 9 mai, l'abbé Buonavita reposait sous trois mètres de ciment et de terre dans le Val du Géranium.
De son côté, Buonavita-Napoléon n'arriva en Angleterre qu'à la mi-mai. Il obtint l'autorisation de se rendre à Rome auprès de Madame Mère. Il y arriva début juillet. Le cardinal Fesch et Madame Mère ne furent guère surpris de son arrivée puisqu'une voyante les avait persuadés que l'Empereur s'était enfui de Sainte-Hélène sur les ailes d'un aigle. « L'abbé Buonavita » reprit son service d'aumônier auprès de Madame Mère alors que la princesse Pauline Borghèse avait du mal à cacher sa joie du retour de son frère préféré. Le 10 juillet, Napoléon apprit qu'il était officiellement décédé le 5 mai ce qui compliqua considérablement sa situation. Trois semaines plus tard, il fut informé du retour à Londres de ses compagnons et découvrit le contenu de « son » testament. Sa colère contre Montholon qui avait si bien su abuser de la situation fut terrible, mais que pouvait-il faire ?  La meilleure solution n'était-elle pas de maintenir le statu quo et d'attendre un retournement de la situation ?
 
Le temps passa.
Napoléon fut profondément marqué par le décès en juin 1825 de sa soeur Pauline, survenant cinq ans après celui d'Elisa. Quel pouvait être maintenant son avenir dans cette Europe du Congrès de Vienne, si différente de celle qu'il avait imaginée durant son règne ? Il n'était pas loin de partager l'opinion de Chateaubriand qui allait bientôt écrire, évoquant la captivité de Sainte-Hélène : « Ores donc que, détaché de son temps, son histoire est finie et que son épopée commence, allons le voir mourir. Quittons l'Europe, suivons-le sous le ciel de son apothéose ». Il voulait complètement oublier son épouse Marie-Louise qui avait donné deux enfants à Neipperg avant même d'être « veuve ». Mais il souhaitait vivement entrer en contact avec son fils, prisonnier à Vienne.
C'est alors qu'un nommé Rabeaud refit surface et demanda à être reçu par le cardinal Fesch. Qui était ce Rabeaud ? Son existence nous fut révélée en 1848 par un certain Leglu, ancien agent de Fouché : en 1808 le ministre de la Police générale lui avait fait rechercher un sosie de l'Empereur. Le choix s'était porté sur un cavalier du 3e Voltigeurs, nommé Narcisse-Eugène Rabeaud – natif de Baleycourt dans la Meuse – dont la ressemblance parfaite avec le souverain tant dans sa physionomie que ses manières, avait été remarquée par ses camarades. A la nuit tombée, quand Napoléon était fatigué, il lui arrivait de se faire remplacer par Rabeaud. Ainsi, c'était Rabeaud qui se trouvait à cheval au bord du Niémen le 23 juin 1812 lorsqu'un lièvre passa entre les pattes de sa monture et le fit chuter. Les généraux de l'Etat-major, connaissant l'esprit superstitieux de l'Empereur, se gardèrent bien de lui conter la scène, craignant qu'il ne renonce à son plan d'invasion de la Russie. Le 28 janvier 1814, tandis que Napoléon s'attardait au château de Brienne, évoquant des souvenirs de sa jeunesse, le colonel Gourgaud abattit à bout portant le cosaque qui allait transpercer Rabeaud de sa lance. Napoléon était donc parfaitement sincère lorsqu'à Sainte-Hélène il affirmait à Gourgaud ne pas se souvenir de cette scène. On avait ensuite perdu la trace de Rabeaud que, sous la Restauration, sa famille fit activement rechercher, jusqu'à ce qu'il réapparaisse à Rome en 1827.
Le cardinal Fesch et l'Empereur décidèrent donc de l'envoyer en mission à Vienne pour enquêter sur l'état d'esprit du duc de Reichstadt et tenter de le rencontrer. La suite est relatée par le procureur impérial Karl Friedrich von Arstein, en fonction à Schönbrunn, rapportant les événements de la nuit du 4 au 5 septembre 1827 : « Un homme a tenté de pénétrer par escalade dans le parc à la faveur de la nuit. Comme il n'avait pas répondu au « Wer da ? » de la sentinelle, celle-ci a tiré sur lui. Mortellement blessé, il n'a pu subir son interrogatoire et a expiré dans la salle basse du château après quelques minutes d'agonie, en murmurant : «  Duc de Reichstadt  . . . Roi .. . . Fils . . . ». Aucun papier ne nous a permis de fixer son identité mais il doit être français, car l'ambassade de ce pays a envoyé aujourd'hui deux attachés chercher le corps ».
L'échec de la mission Rabeaud décida Napoléon à quitter définitivement l'Europe. Comme tout un chacun, il avait entendu parler du charme paradisiaque des îles tropicales et se souvint de son désappointement quand il apprit que les Anglais avaient décidé de l'exiler sur la pire d'entre elles, Sainte-Hélène. Eh bien, il décida de repartir aux îles, sous sa défroque de missionnaire, mais dans l'une des plus enchanteresses, l'île de France, redevenue l'île Maurice où le manque de prêtres catholiques était unanimement regretté. Pour justifier son départ, il écrivit au général Bertrand qu'il s'était brouillé avec Madame Mère parce que celle-ci avait interrompu le versement de sa pension. Le grand-maréchal goba cette histoire comme le reste.
 
C'est donc l'abbé Antonio Buonavita, ancien aumônier de Napoléon à Sainte-Hélène, qui débarqua en décembre 1828 à l'île Maurice, où on lui donna du Monseigneur puisqu'il avait été élevé à la dignité de protonotaire par le pape. L'évêque le nomma vicaire de la cathédrale de Port-Louis. Il fut si satisfait de son sort que lorsqu'il apprit qu'en juillet 1830 les Parisiens avaient encore fait une révolution, il se contenta de souhaiter bien du plaisir au roi Louis-Philippe. Deux ans plus tard cependant, il avait été profondément troublé en apprenant le décès de son fils à Schönbrunn. Il apprit cependant qu'un fils de son frère Louis s'agitait beaucoup en Italie et ailleurs, mais il ne crut plus en l'avenir de sa dynastie et commença à perdre la raison. Vingt ans plus tard, les pêcheurs de la Pointe des Canonniers racontaient encore l'histoire du vieil abbé qui, chausses retroussées, courrait dans les vagues en bord de plage, poursuivant une jolie Créole en criant : «  Joséphine . . . Joséphine », se souvenant de ses batifolages sur les plages de la côte basque lors de son séjour à Bayonne en 1808.
Souffrant, « l'abbé Buonavita » se retira chez une vieille demoiselle demeurant dans la jolie commune de Pamplemousses au nord de l'île. Il y décéda le 2 novembre 1833 et son corps repose depuis dans le calme cimetière de Pamplemousses, sous une petite pyramide de blocs de basalte devant laquelle les touristes férus d'histoire viennent se recueillir.
 
L'affaire allait rebondir sept ans plus tard quand Louis-Philippe eut l'idée saugrenue de demander aux Anglais le rapatriement du corps de Napoléon. Montholon, exilé à Londres, y avait retrouvé Hudson Lowe qui lui avait révélé qu'en 1828, à la demande de George IV, il avait substitué au corps de Napoléon (en fait de Buonavita) celui de Cipriani. Exclu de la mission du retour des cendres, Montholon se demandait bien comment Bertrand et Marchand, chargés d'identifier la dépouille, allaient se sortir de cet imbroglio, qui avait déjà fait deux victimes. En effet, l'abbé Vignali avait été abattu en Corse d'une balle entre les deux yeux en juin 1836 et le docteur Antommarchi, qui avait fait fortune en vendant à des centaines d'exemplaires des reproductions du fameux masque mortuaire, avait dû s'exiler à Cuba où il était décédé en avril 1838. Il est encore difficile aujourd'hui d'expliquer les liens entre ces événements. Même Georges Rétif de La Bretonne n'y est pas parvenu.
Le 15 octobre 1840, le corps inhumé dans le val du Géranium fut exhumé et les cercueils ouverts. Bertrand et Marchand, stupéfaits, découvrirent le corps de Cipriani, parfaitement conservé puisque mort d'un empoisonnement aigu à l'arsenic. Le premier s'attendait à retrouver Napoléon et le second Buonavita ! Dans la confusion qui s'ensuivit, le général Gourgaud, étranger à l'affaire puisque parti de Sainte-Hélène en 1818, prit les choses en main avec son autorité coutumière et exigea la fermeture immédiate des cercueils, ce qui fut fait. Tous les témoins de l'exhumation, ne comprenant plus rien à ce qui s'était passé et doutant de leurs propres observations, rédigèrent leurs mémoires comme ils purent, ce qui explique les nombreuses différences qu'on y relève.

L'affaire n'était pas terminée. En 1858, après les décès de Montholon et d'Ali, Marchand était le dernier détenteur du double secret et n'avait toujours pas reçu le titre de comte ou de baron qu'il attendait. Torturé par le remords, il demanda une audience aux Tuileries et se confia à Napoléon III. Le sarcophage des Invalides était pratiquement terminé et n'attendait plus que de recevoir le cercueil déposé depuis 1840 dans la chapelle Saint-Jérôme. Napoléon III ne pouvait ni révéler la supercherie, ni accepter d'honorer ainsi les restes d'un domestique, même corse, ni envoyer récupérer le vrai corps à l'île Maurice, possession anglaise !  Avec son esprit tortueux de conspirateur, il pensa à son oncle Jérôme, ex-roi de Westphalie et gouverneur des Invalides, dont les jours étaient comptés. Ainsi, un Bonaparte reposerait pour l'éternité sous le dôme des Invalides. Jérôme décéda le 24 juin 1860 ; une discrète permutation de cercueils eut lieu nuitamment aux Invalides et, le 2 avril 1861, le sarcophage de porphyre était fermé pour l'éternité.
Il n'est pas impossible que Napoléon III, très attiré par les découvertes scientifiques, ne se soit fait le raisonnement suivant : « Peut-être la science permettra-t-elle un jour de vérifier les filiations sans contestation possible. Eh bien, si on a quelque doute et qu'il faille identifier par ce moyen les restes conservés dans  le sarcophage des Invalides, découvrira-t-on qu'il s'agit bien de ceux d'un fils de Madame Mère ».
 
En résumé, le corps de Buonavita est à Londres, celui de Cipriani aux Invalides dans la chapelle Saint-Jérôme, celui de Jérôme Bonaparte sous le Dôme, et celui de Napoléon à l'île Maurice. Rien de plus simple.

Titre de revue :
Inédit
Mois de publication :
avril
Année de publication :
2009
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