La bataille de Raab, 14 juin 1809

Auteur(s) : BRUN Jean-François
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La manoeuvre de Landshut, la sanglante bataille d'Essling ou la belle victoire de Wagram sont des épisodes bien connus de la campagne d'Autriche de 1809. Par contre, l'action d'Eugène de Beauharnais en Italie et en Hongrie est souvent oubliée. Pourtant, le Prince, qui commande une armée pour la première fois, obtient un beau succès à Raab le 14 juin. Cette victoire est rapidement surnommée « la petite fille de Marengo et Friedland » en raison bien sûr de la date du combat.

Les forces en présence…

Au début de l'année 1809, le plan de campagne autrichien prévoit une grande offensive en Bavière menée par l'archiduc Charles tandis que l'armée de l'archiduc Jean doit s'avancer au Tyrol afin de neutraliser les forces françaises d'Italie et de Dalmatie. Mais la nature impulsive et la soif de revanche du commandant autrichien le pousse à transformer sa mission. Celle-ci, de nature plutôt défensive, devient pour lui une véritable attaque de toute l'Italie destinée à chasser les Français. Il dispose pour cela d'une armée imposante de 100.000 hommes. Mais la moitié de ces troupes seulement se compose de troupes régulières allemandes ou hongroises. Le reste est constitué par des soldats de la « Landwehr », récemment levés en Carinthie, Carniole et Istrie. Ce sont souvent des paysans sans aucune instruction militaire et peu entrainés aux marches militaires. Face à l'attaque autrichienne, Napoléon dispose lui aussi de deux armées : l'une, la principale, sous son autorité, se trouve en Allemagne tandis que l'autre est placée sous le commandement d'Eugène de Beauharnais et se rassemble en Italie.

Le Prince concentre en effet des troupes éparpillées en Dalmatie (IXème corps de Marmont) à Rome, et à Naples pour former l'Armée d'Italie forte d'environ 70.000 fantassins et 6.000 cavaliers. Mais contrairement aux Autrichiens, ce sont pour la plupart de vieux soldats rompus aux marches et aux manoeuvres.

Les débuts de la campagne…

Les Autrichiens prennent l'offensive le 10 avril et occupent rapidement Udine le 12. Les premiers engagements tournent à leur avantage et les avant-postes franco-italiens sont bousculés. Eugène tente de regrouper ses forces encore très disséminées et se replie derrière le Tagliamento. Il décide de faire face le 16 avril à Sacile contre l'avis de son état-major. Il déploie environ 37.000 hommes sur la rive gauche de la Livenza. La division du général Grenier forme le centre de son dispositif sur les hauteurs de la ville. La droite est tenue par la division Séras au village de Bruguera et la gauche par celle de Broussier à Polcenizo. Les Français de Barbou et les Italiens de Severoli forment une seconde ligne. 

Après une tentative de débordement, les Français subissent l'assaut des 45.000 hommes de l'archiduc autrichien. Au centre, le 102ème de ligne de la division Grenier supporte l'essentiel des assauts. Après plus de cinq heures de combat, les franco-italiens sont contraints de se replier. Les pertes sont lourdes pour l'Armée d'Italie : 3.000 tués, 3.500 blessé et près de 6.000 prisonniers. Paradoxalement, celles des vainqueurs sont également élevés ; les Autrichiens comptent 3.600 tués et blessés. Mais pour l'archiduc Jean, la victoire est surtout d'ordre psychologique. Pour la première fois, les Français connaissent la défaite face à ses troupes. Eugène fait reculer son armée derrière la Piave le 19 avril, en prenant soin de détruire les ponts. Le 27 avril, il parvient à rassembler son armée autour de Caldiero. Encore une fois, les Autrichiens poursuivent très lentement leurs adversaires et ne profitent pas ainsi de leur avantage. De plus, ils doivent laisser de nombreuses garnisons d'arrière garde si bien que Jean ne dispose plus que de 30.000 hommes environ lorsqu'il arrive au contact de ses ennemis. Eugène a tout le temps de réorganiser son armée et de préparer une contre-offensive. Il est de plus renforcé par l'arrivée de nouvelles troupes qui ne l'avaient pas encore rejoint au début de la campagne.
 
Le vice-roi donne le commandement de son aile droite à Macdonald avec les divisions Broussier et Lamarque et la brigade de dragons du général Guérin. Au centre, Grenier dirige les divisions Abbé et Séras ainsi que les hussards du 6ème régiment. L'aile gauche de Baraguey d'Hilliers se trouve devant Vérone et comprend les divisions italiennes des généraux Severoli, Fontanelli et Rusca. Au total, ce sont maintenant 77 bataillons d'infanterie soit environ 46.000 fantassins, et 47 escadrons soit environ 10.000 cavaliers, qui peuvent désormais affronter les Autrichiens. Eugène décide d'attaquer le 2 mai et envisage de prendre en tenaille les troupes ennemies. Mais son mouvement est interrompu en raison de la retraite précipitée de l'armée autrichienne. En effet, l'Empereur d'Autriche vient d'informer son frère par un courrier en date du 29 avril des défaites de Charles. C'est la fameuse « manoeuvre de Landshut » qui permet à Napoléon de stopper l'offensive ennemie en Bavière. En 5 jours, du 19 au 23 avril, par les victoires de Tengen, Abensberg, Landshut, Eckmühl et Ratisbonne, les Français forcent les soldats de Charles à se replier en direction de la Bohême. La vallée du Danube et Vienne, la capitale, sont ainsi laissées sans défense. Jean doit donc apporter son soutien à son frère et il commence son mouvement de repli vers le Nord-Est dans la nuit du 1er au 2 mai. Il charge le feld-maréchal Frimont de former une arrière-garde destinée à retarder l'armée française. Eugène poursuit l'ennemi et le rejoint finalement sur la Piave les 6 et 7 mai. Sur la rive opposée, l'armée autrichienne fait front mais elle ne compte qu'environ 30.000 hommes contre les 50.000 franco-italiens. Le 8 au matin, couverts par un feu roulant d'une artillerie bien positionnée, les troupes légères françaises franchissent à gué la rivière et établissent une tête de pont. Vers trois heures de l'après-midi, la presque totalité de l'armée se trouve sur la rive gauche. Macdonald peut conduire l'assaut principal sur le centre autrichien. L'ennemi est submergé et s'enfuit vers Conegliano et Sacile. L'archiduc perd encore 5.000 tués et blessés.

Les combats de Papa…

La retraite autrichienne se transforme vite en déroute. Jean comprend qu'il lui faut abandonner le Tyrol le plus vite possible et rejoindre Charles pour tenter de lui prêter main forte. Le 14 mai, il se trouve à Villach près de Klagenfurth sur la route de Graz. Les Français sont toujours sur les talons des Autrichiens et remportent plusieurs combats d'arrière-garde. Le 3 juin, Charles prévient l'Empereur que Jean doit se retirer en direction de Presbourg (Bratislava) afin de faire jonction avec l'armée principale. Début juin, l'archiduc Jean se retire donc vers la ville de Pàpa, entre Vienne et Budapest. Le 8, Eugène atteint Szombathely avec 18.000 hommes.
 
Il pense, à juste titre, que les Autrichiens vont prendre position autour de Pàpa pour tenter de l'arrêter. Aussi, il prend ses dispositions ; la cavalerie de Grouchy doit contourner le village par l'est, Montbrun se prépare à attaquer le front ennemi tandis que Lauriston se poste à droite et la division Pacthod à gauche. Les autres divisions sont en marche pour rejoindre. Eugène rend compte de ses mouvements à l'Empereur et lui écrit : « Sire, je m'empresse d'avoir l'honneur de rendre compte à Votre Majesté de mon arrivée à Pàpa. Le général Grenier s'y est porté hier par la route de Karaco avec deux divisions, et le général Grouchy qui avait sous ses ordres la division de cavalerie légère Sahuc et la brigade Colbert. Je suis parti, ce matin, du pont de la Marcsal avec le corps de Baraguey d'Hilliers, la division Montbrun, les Badois, la garde royale et la division de dragons. Le rendez-vous avec le général Grenier était à la hauteur du village de Nyarad pour 10 heures du matin ; tous les renseignements nous annonçaient que l'ennemi était réuni à Pàpa ».

Le 12 juin, dans l'après midi, les charges des brigades Jacquinot et Pajol, soutenues par 15.000 fantassins, repoussent l'ennemi. Eugène peut s'installer à Pàpa. La ville est soumise au pillage pendant près de deux heures. Après ce combat, l'archiduc Jean continue de se retirer et atteint Gyarmat vers huit heures du soir. Son armée rejoint à cet endroit l'armée de l'insurrection hongroise du général Mecsery qui compte 20.000 fantassins,  4.000 cavaliers et 32 canons.

Jean retire son armée jusqu'aux abords de Raab. Le 14 juin l'armée autrichienne prend position. L'aile gauche est tenue par les 40 escadrons de cavalerie du feld marschall Mecsery, environ 6.000 hommes. Le centre est formé d'infanterie sous le commandant de Colloredo. Elle occupe le petit village de Kismegyer et s'est retranchée notamment autour et à l'intérieur de la métairie, d'un grenier et d'écuries. A chaque fenêtre des trois étages de la métairie se positionnent plusieurs tireurs. Tous ces bâtiments sont bien protégés par un ruisseau, le Pandzsa, qui coule juste devant, large de 4 à 7 mètres et d'une profondeur pouvant atteindre 1 mètre 50. Il s'agit de la position « clef » du dispositif autrichien. Si les Français parviennent à s'emparer du village, la bataille sera gagnée. La droite ennemie enfin, de la métairie à Raab, se compose de 26 escadrons de cavalerie sous les ordres du feld marschall Frimont.

Le 14 juin au matin, Eugène et son état-major prennent position dans le village de Csanak pour observer le déploiement des troupes franco-italiennes. Le général Grenier commande le VIème corps et dirige la division Durutte sur le cimetière de Szabadhegy. A sa droite, la division Séras prend la direction de l'église et de la métairie. Derrière se tiennent en réserve la division italienne de Severoli et le IIème corps de Baraguey d'Hilliers avec la division Pacthod. A gauche, la cavalerie de Sahuc est chargée d'empêcher une intervention de la cavalerie de Frimont. A gauche, la cavalerie de Montbrun et de Grouchy fait face à celle de Mecsery.

Les forces françaises sont estimées à 40.000 fantassins et 13.500 cavaliers contre environ 23.900 fantassins et 8.700 cavaliers autrichiens. De plus, les troupes d'Eugène disposent d'une soixantaine de pièces d'artillerie (1) contre 26 pour l'ennemi.

La bataille de Raab…

Vers midi, Eugène donne l'ordre de prendre l'offensive. Les divisions Séras et Durutte s'avancent ainsi que la cavalerie à l'aile droite et à l'aile gauche. La division Sahuc progresse difficilement en raison du terrain marécageux. L'artillerie commence également à pilonner les positions ennemies. Vers 13 heures, la métairie et l'église de Kismegyer sont violemment attaquées, mais les Autrichiens repoussent tous les assauts. Sur l'aile droite française, les brigades Colbert et Jacquinot chargent la cavalerie hongroise mais le feu provenant de la métairie les force à se replier.

Vers 13 heures 30, les bataillons de la division Seras reprennent l'attaque de la métairie, 8.000 hommes soutenus par 18 canons parviennent à franchir le Pandza vers 14 heures. Ils sont suivis par les hommes de la division Durutte qui repartent à l'assaut de l'église et du cimetière. Vers 15 heures, les combats font rage et les pertes sont importantes des deux côtés. A 15 heures 45, les hommes de Séras pénètrent dans la métairie mais les Autrichiens de Colloredo et Jellachich les rejettent encore une fois. Une contre-attaque menée par le régiment d'Alvinczy parvient même à repousser la division Durutte au-delà du Pandza. La division italienne de Severoli stoppe la retraite française et reprend l'offensive. A ce moment là, les brigades Pajol et Jacquinot culbutent la cavalerie hongroise et attaquent à leur tour la métairie. Une partie du bâtiment prend feu et la panique s'empare des défenseurs. A 16 heures 15, les hommes de Durutte s'emparent du cimetière et de l'église et peuvent attaquer la métairie par le nord. Les régiments de la Landwehr retraitent et entrainent avec elle la brigade Eckhardt. Après 16 heures 30, la brigade du général Abbé du IIème corps repousse une tentative de contre-attaque des hommes de Jellachich. A gauche, la cavalerie de Sahuc repousse celle de Frimont sans difficulté. Vers 17 heures, les divisions ennemies de Frimont, Jellachich et Colloredo reculent ensemble laissant seuls et sans soutien les derniers défenseurs de la métairie et du grenier fortifié. A 18 heures, les fantassins de Séras s'emparent des deux bâtiments qui sont presqu'entièrement la proie des flammes. Des 900 hommes qui défendaient la métairie et ses abords, une centaine seulement se rend. Dans ses mémoires, Eugène raconte : « Le général, ralliant alors sur la droite les troupes du général Roussel, rassembla toutes les troupes disponibles de sa division et les lança comme un torrent sur la ferme. Les portes sont enfoncées à coups de hache et on y pénètre enfin, en passant au fil de l'épée tout ce qui ose encore résister ; puis les grenadiers du 106ème y mettent le feu, et tout ce qui n'est pas tué devint la proie des flammes… ». Cette fois, la victoire est acquise. Les pertes autrichiennes s'élèvent à 7.000 tués ou blessés.

Au soir du 14 juin, Eugène écrit à l'Empereur :
« Sire, je m'empresse d'informer Votre Majesté que j'ai livré bataille aujourd'hui au prince Jean et que j'ai eu le bonheur de la gagner. C'était l'anniversaire d'un trop beau jour, pour qu'il pût nous arriver malheur. Les positions de l'ennemi ont été enlevées après avoir été perdues et reprises sept fois. L'armée autrichienne a eu 2.000 tués ou blessés et 1.500 prisonniers. Nous avons pris, en outre, 2 canons et 2 drapeaux. J'adresse ces derniers à Votre Majesté par le général Caffarelli, qui est arrivé, il est vrai dans la soirée ; mais j'envoie avec lui le colonel Rambourg qui a été témoin de toute l'action.
Voici, depuis quatre jours, trois combats et une bataille, et toutes ces affaires ont été extrêmement glorieuses pour les armes de Votre Majesté.
J'aurai l'honneur de lui adresser demain le rapport détaillé de cette journée. Notre perte peut s'évaluer à 4.500 tués ou blessés. L'ennemi se retire sur Komorn. Je le fais pousser demain par la cavalerie, et pendant que nous rétablissons nos munitions […] je ferai tâter les faubourgs de Raab et sommer la ville. Elle m'a cependant paru à l'abri d'un coup de main.
Après demain, je poursuivrai l'ennemi… »

La division Macdonald (environ 6.000 hommes) atteint Raab vers 16 heures, trop tard pour participer à la bataille. De plus, les hommes sont épuisés,  ils viennent de parcourir 150 km en 4 jours.

La retraite autrichienne…

Vers 17 heures, l'armée de l'archiduc Jean a déjà entamé sa retraite vers Acs et Komorn. Sur l'aile droite, elle est constamment harcelée par la cavalerie de Montbrun. La route d'Acs est bientôt encombrée de fuyards, de blessés et de voitures. Les Autrichiens parviennent à Acs vers 1 heure du matin toujours poursuivis par les hommes de Montbrun qui, au combat depuis le matin, sont épuisés. Les vaincus rejoignent Komorn le 15 et enfin Presbourg le 23.

Berthier peut écrire au journal de campagne l'ordre du jour suivant : « Schönnbrunn, le 16 juin. L'anniversaire de la bataille de Marengo a été célébré par la brillante victoire de Raab, en Hongrie, que la droite de l'armée, commandée par le Vice-Roi d'Italie, a remporté le 14 juin sur les corps réunis de l'Archiduc et de l'Archiduc Palatin. Les deux armées qui occupaient une position splendide près de Raab, ont été attaquées par une marche foudroyante et réduites à fuir… »

La défaite de Sacile est, cette fois, bel et bien effacée. L'Empereur, qui avait été plutôt sévère envers son beau-fils après ce début de campagne, revient sur son jugement et donnera de nouveaux commandements au vice-roi d'Italie. 

La victoire d'Eugène permet la prise de la ville de Raab le 23 juin. L'occupation de ce secteur est un élément essentiel dans le dispositif stratégique de Napoléon.  Il ordonne d'ailleurs de fortifier la ville et de travailler à l'approvisionnement. Le comte de Narbonne est nommé commandant des lieux. L'idée de l'Empereur est de se ménager une possibilité de retraite en cas de défaite face à l'armée autrichienne.

Napoléon envoie un peu plus tard le baron Lejeune en Hongrie pour reconnaître la région de Presbourg à Komorn. Le 1er juillet, Eugène quitte Raab avec son armée et peut rejoindre Napoléon  à Kaiser-Ebersdorf. Il peut désormais prêter main forte à l'armée d'Allemagne qui se prépare à reprendre l'offensive au Nord du Danube depuis l'île Lobau. Ses forces seront bientôt engagées dans la bataille décisive de Wagram.

 

Notes

(1) Les chiffres sont assez contradictoires sur ce point

 
-Bibliographie :
-J.TRANIE et J.C CARMIGNANI, Napoléon et l'Autriche, Copernic. Paris 1979.
-A.THIERS, Histoire du Consulat et de l'Empire, Furne. Paris 1845
-A. DU CASSE, Mémoires et correspondances du Prince Eugène, Paris. 1859.
-J.AUTIN, Eugène de Beauharnais, Perrin. 1989.
Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
479
Mois de publication :
Avril-juin
Année de publication :
2009
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