La Cour Impériale (3ème partie) : Le Grand aumonier

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Il est bien évident que le Grand aumônier occupe une place à part parmi les Grands Officiers de la Couronne. On ne le voit à la Cour que dans l'exercice de ses fonctions sacerdotales. Il en est l'évêque, où qu'elle se trouve, et le surintendant de tout ce qui concerne le service divin. C'est lui qui administre les sacrements à l'Empereur et aux enfants de la Famille impériale ; il les baptise et les marie en présence de l'Empereur.
Il baptise aussi les enfants dont l'Empereur est parrain, et donne à l'Empereur et à sa Cour la dispense de l'abstinence : accompagne l'Empereur aux offices de l'Eglise et lui présente son livre d'heures, assiste à ses prières et peut se trouver à son lever et à son coucher.
Il prend les ordres de l'Empereur pour l'office divin, règle la dépense de la chapelle, nomme les prédicateurs à la Cour impériale, présente au serment de fidélité qu ils doivent à l'Empereur, les cardinaux, archevêques et évêques ; nomme les aumôniers de l'armée de terre et de mer, des Invalides et de toute autre maison militaire, et règle tout ce qui concerne le culte et le service.
Il est assisté d'un vicaire général, et remplacé, le cas échéant, par un Premier aumônier. Des aumôniers ordinaires remplacent, en leur absence, le Grand et le Premier aumônier. L'aumônier de jour doit se trouver à toutes les prières de l'Empereur, au grand couvert et à tous les offices auxquels il assiste. Les aumôniers ordinaires assistent à l'office les jours de grande solennité, servent en qualité de diacre et de sous-diacre, le Grand ou le Premier aumônier, et célèbrent, les dimanches et jours de fête, la messe à laquelle assiste l'Empereur.
Des chapelains remplacent les aumôniers ordinaires en leur absence. Ils célèbrent tous les jours leurs messes dans la chapelle de l'Empereur, aux heures indiquées par le Règlement intérieur de la chapelle et par l'ordre du jour indiqué par le Grand aumonier ; ils assistent à tous les offices de la chapelle et servent à l'autel les aumôniers ordinaires ou celui d'entre eux qui les remplace.
Un maître des cérémonies va prendre les ordres du Grand aumônier ou de celui qui le remplace pour l'heure et l'ordre de l'office ; il en prévient les princes, les Grands dignitaires, les Grands officiers du Palais, les ministres et les Grands officiers de l'Empire. Il est le supérieur des clercs de la chapelle, célèbre la messe dans la chapelle et partage le service des bureaux de la Grande aumônerie avec les chapelains.
Les clercs de la chapelle qui servent les messes basses sont choisis annuellement par le Grand aumônier dans les séminaires métropolitains, sont logés au séminaire de Paris, et en suivent le règlement. Le sacristain doit être prêtre ; il a la garde des vases sacrés, ornements, linge et de tout ce qui regarde la chapelle ; il dit la première messe, les dimanches et fêtes, pour les gens du service de la Cour. Le sommier, le bedeau et le valet de pied sont sous les ordres du maître des cérémonies et du sacristain, chacun en ce qui le concerne.
Un secrétaire, nommé par le Grand aumônier, assiste le vicaire général ; il nomme les commis dont il a besoin et ordonnance les dépenses du bureau, conformément au budget.
L'Impératrice a, pour sa chapelle, un Premier aumônier et deux chapelains ; ces derniers disent, tous les jours, la messe aux personnes de la maison de l'Impératrice.
Les princes ont un Premier aumônier évêque et deux chapelains.

LA MESSE

Tel est l'essentiel des fonctions et attributions du Grand aumônier et de ses assistants. Dans le Palais impérial, c'est la chapelle qui sert de cadre à leurs activités. Chaque jour, à huit heures du matin, le sacristain dit une messe pour les gens du service. Une seconde messe y est dite à midi pour le service de la Cour par un chapelain. clerc ou maître des cérémonies. Les dimanches et fêtes, cette seconde messe doit être dite deux heures avant celle à laquelle assistera l'Empereur.
C'est en cortège que l'Impératrice se rend à la chapelle. S.M. est précédée par ses pages, les écuyers et chambellans des princesses, ses écuyers et ses chambellans, et suivie par les princesses, les dames d'atours et du Palais. Le Premier écuyer et le Premier aumônier de l'Impératrice marchent à sa droite, un peu en arrière : la dame d'honneur à sa gauche.
Quelques minutes plus tard, voici le cortège de l'Empereur. En tête marchent les pages et leur gouverneur, l'aide et le maître des cérémonies de service, les écuyers, préfets du Palais et chambellans ; ensuite viennent le gouverneur du Palais, le chambellan et l'écuyer de jour et l'aide de camp de service. Le GrandMaître des cérémonies, le Grand veneur, le Grand écuyer, le Grand chambellan et le Grand maréchal du Palais précèdent directement l'Empereur, que suivent le colonel-général de la Garde de service, le Grand aumônier. et les princes de la Famille impériale et de l'Empire.
Viennent ensuite les colonels-généraux de la Garde et les aides de camp qui ne sont pas de service. le Premier aumônier et les officiers des princes ferment le cortège.
Les ministres et les autres Grands officiers militaires restent dans les appartements ou suivent pêlemêle, s'ils veulent aller dans la pièce près de la chapelle.
Un roulement de tambour annonce que LL.MM. arrivent dans la chapelle. Le célébrant, précédé du maître des cérémonies et suivi de ses officiers, sort de la sacristie pour se rendre à l'autel qu'il salue avant de se tourner pour saluer LL.MM. La messe commence de suite.
L'Empereur et l'Impératrice sont placés au centre ; devant l'Impératrice, un prie-Dieu ; à sa gauche sont les princesses ; derrière elle, son Premier écuyer, ayant à sa droite son Premier aumônier et à sa gauche, son Premier chambellan. En arrière, et toujours à sa gauche, la dame d'honneur, la dame d'atours et les dames du Palais de service. Les autres dames sont dans les travées latérales de la chapelle, du côté de l'Impératrice.
A la droite de l'Empereur sont les princes de la Famille impériale et de l'Empire ; derrière lui, le colonel-général de service, ayant à sa gauche le Grand chambellan. à sa droite le Grand aumônier, lequel dispose d'un pliant. Derrière les princes sont le Grand maréchal, le Grand écuyer, le Grand veneur, le GrandMaître des cérémonies, le Secrétaire d'Etat, le ministre des Cultes. Les Grands officiers de l'Empire et les autres ministres se placent dans les tribunes latérales.
Le vicaire général remet le livre de prières au Grand aumônier qui le présente à l'Empereur. Après la postcommunion, la musique ayant chanté le Domine salvum fac Imperatorem, le célébrant chante l'oraison. La messe finie, le célébrant et ses assistants saluent l'autel, puis l'Empereur, et regagnent la sacristie dans leur ordre d'arrivée.
Le tambour fait alors entendre un second roulement, et la chapelle se vide.
Plus évocatrices que le cérémonial décrit par l'Etiquette du Palais impérial, sont les relations des témoins oculaires.
Le comte de Mérode-Westerloo a vu, un dimanche matin, dans la chapelle des Tuileries, « Joséphine à genoux sur un prie-Dieu garni de velours cramoisi et de crépines d'or… dans une attitude très-recueillie, la tête penchée sur son livre de prières. Elle portait une robe à queue à la Grecque, à taille et manches courtes, la coiffure grecque ornée d'un diadème. A côté d'elle, un peu en arrière, se tenait l'Empereur, en attitude militaire de messe, c'est-à-dire debout, les bras croisés et la vue errante ça et là. Derrière lui, les chambellans et les aides de camp de service; derrière l'Impératrice, les dames du Palais. A chaque instant, Napoléon parlait à l'Impératrice, qui ne se prêtait à toutes ces allocutions que pour le strict nécessaire et reprenait aussitôt qu'elle pouvait, une attitude attentive et recueillie. Une très-belle musique se faisait entendre pendant cette messe qui dura environ vingt minutes ». Ceci se passait au printemps de 1806 et l'Empereur était en uniforme. Mais les choses vont bien changer, et la pompe sera plus grande dans la nouvelle chapelle que Percier et Fontaine ont reçu l'ordre de construire aux Tuileries.
Le 8 mars 1812, la comtesse de Kielmannsegge assiste à la messe avec toute la Cour. « Cette cérémonie d'une demi-heure, écrit-elle, eut pour moi un caractère de solennité et de très grand intérêt et ce souvenir d'avoir vu l'Empereur à une messe basse s'ajoute à tous ceux que je garde de lui. Il resta presque toujours assis. lisant dans son livre d'heures. Parfois, il levait les yeux. Son Grand aumônier lui rappelait quand il était temps de s'agenouiller ou de se lever ».
Elle le revoit à nouveau le lendemain de son retour de Russie, le 20 décembre 1812. « Il avait l'air fatigué et soucieux. Il portait un vêtement rouge à broderies, une toque noire ornée de plumes et de diamants. Les hommes de sa suite étaient vêtus d'une façon analogue. L'Impératrice avait mis une robe de Cour brodée de zibeline. Le corsage et les manches étaient garnis de broderies à diamants ».
Quelques jours plus tard, on fête le premier jour de la nouvelle année. C'est un vendredi – et l'année est 1813. Les superstitieux y voient un présage funeste. Mme de Kielmannsegge est dans la chapelle. « A côté des deux Majestés se trouvait la reine Hortense. Bien que l'Empereur ait engraissé, il a mauvaise mine et semble vieilli. Il portait sa tunique de velours écarlate, une toque avec plumes et toutes les décorations en diamants. On devine son caractère à la manière dont il tourmente sa toque, qu'il plie et chiffonne nerveusement entre ses doigts et sans ménagements ».
L'inventaire pour les années 1809-1810, du mobilier de la chapelle des Tuileries, que Madame LedouxLebard a eu l'extrême obligeance de me communiquer, permet de compléter les souvenirs de la comtesse de Kielmannsegge. Dans la tribune impériale se trouvaient alors « douze pliants en bois sculpté et doré réchampi en blanc, pieds à griffes, couverts en damas cramoisi, dessin raisin et feuilles de vigne, franges à torsades or faux et garnis en plumes » ; ainsi que « huit petites banquettes en bois recouvertes d'une housse de velours cramoisi ». Nulle mention de prie-Dieu mais, en revanche, un coussin de laine sous le tapis de velours de soie cramoisi. Il apparaît donc qu'à partir de 1809, l'Empereur, l'Impératrice et leur suite pouvaient s'asseoir pendant l'office divin.
En s'agenouillant sur le tapis rembourré, le couple impérial avait en outre la possibilité de s'appuyer sur la balustrade, également couverte en velours de soie cramoisi. Dans la tribune latérale, dix banquettes longues chacune de quatre pieds, permettaient aux dames, aux Grands officiers de l'Empire et aux ministres de s'asseoir, eux aussi. Sur les murs, une tenture de velours de soie cramoisi, drapée à l'antique et bordée d'un galon en lamé or ; sur le sol, une moquette à fond noir semé d'étoiles aurore, donnaient à cette tribune l'aspect d'un salon somptueux.

LE CARDINAL FESCH

Frère utérin de la mère de Napoléon, le Grand aumônier Fesch a des ancêtres paternels bâlois ; mais sa mère était Corse et cette origine domine chez lui, malgré son teint clair et ses cheveux blonds. Il était séminariste en Provence ; la Révolution, en interrompant sa carrière sacerdotale, a fait de lui un gardemagasin de l'Armée des Alpes, puis un commissaire des guerres au quartier-général de l'Armée d'Italie. Après Brumaire, il reprend la soutane et participe aux négociations qui aboutissent au Concordat. En 1802, il est archevêque de Lyon et Primat des Gaules, l'année suivante il est cardinal, puis ambassadeur à Rome. Il n'a alors que quarante ans, étant né la même année que Joséphine. En 1804, il devient Grand aumônier de l'Empereur.
Quand le Pape, cédant à son instance, accepte de venir sacrer Napoléon à Paris, Fesch l'accompagne dans son voyage. A la veille de la cérémonie, il marie secrètement Napoléon et Joséphine dont l'union n'était que civile, et retourne à Rome avec le Pape. Rappelé en France en 1805, il se voit offrir par l'Empereur, l'archevêché de Paris, rendu vacant par la mort du cardinal de Belloy. Mais Pie VII ne permet pas que Fesch cumule ce siège avec celui de Lyon, auquel il ne veut pas renoncer. Malgré l'insistance de l'Empereur, Fesch choisit de se soumettre à la volonté du Saint-Siège.
En 1810, le Grand aumônier célèbre, au palais du Louvre, le service religieux du second mariage de Napoléon ; mais en refusant de confirmer la nomination d'évêques non-approuvés par Rome, il portera à nouveau ombrage à l'Empereur. Lors du transfert à Fontainebleau du Pape, Fesch écrit une lettre au Souverain Pontife dont Napoléon a connaissance et qui fait éclater sa colère. La pension de 300 000 francs que Fesch touchait sur l'octroi du Rhin est supprimée. Il connaît alors de grandes difficultés d'argent.
Après le désastre survenu en Russie, le Grand aumônier écrit à Napoléon pour lui conseiller de se réconcilier avec le Pape. La réconciliation aura lieu, mais ne sera que partielle. Pendant l'invasion, Fesch se retire dans son château de Radines où, manquant d'être surpris par l'ennemi, il se déguise en paysan pour regagner Lyon par des chemins secrets. Réfugié à Rome après la première abdication, il reviendra à Paris vers la fin des Cent-Jours et, après Waterloo, s'installera définitivement à Rome, sans jamais vouloir renoncer à l'archevêché de Lyon, ni à son titre de Primat des Gaules.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
299
Numéro de page :
2-5
Mois de publication :
05
Année de publication :
78
Année début :
1804
Année fin :
1815
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