La crise polonaise de 1862-1864, cause de friction entre les puissances d’Europe

Auteur(s) : DE BRUCHARD Marie
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Au début de l’année 1863, un conflit auquel la France de Napoléon III ne participa pas directement prit de l’ampleur en Europe centrale.

L’insurrection d’une partie des Polonais contre les états qui avaient la tutelle du territoire de la Pologne (Russie – principalement -, Autriche, Prusse), endémique depuis les années 1840,  connut en effet une recrudescence à partir de juin 1862 et prit une tournure internationale quand la Russie réprima de plus en plus sévèrement les manifestations polonaises. Le tsar alla jusqu’à s’allier avec le roi de Prusse pour mater la révolte (par la convention d’Alvensleben), chaque puissance envoyant des troupes de part et d’autre du territoire polonais, depuis leurs frontières communes avec le royaume créé en 1815 à l’issue du congrès de Vienne.

La presse et le Parlement en Grande-Bretagne prirent fait et cause en faveur des insurgés polonais, soucieux du sort des indépendantistes autant qu’inquiets de la recrudescence d’hégémonie de la part des puissances russe et prussienne.
En France, Napoléon III était favorable à des mesures diplomatiques défavorables pour la Russie mais voulait rester mesuré vis-à-vis de la Prusse (il appréciait la constitution d’un état fort pour faire tampon avec la Russie et l’Autriche). Il proposa au roi Guillaume Ier et à son tout nouveau ministre-président (et ancien ambassadeur de Prusse en France) Otto von Bismarck une médiation, cherchant à entraîner dans son sillage Grande-Bretagne et Autriche. Cette offre ne trouva grâce auprès d’aucun des états européens.

L’empereur des Français estima que conserver de bonnes relations avec la Prusse primait sur les aspirations nationalistes et indépendantistes de ces slaves d’Europe centrale. La question polonaise fut finalement surtout suivie de loin par les Français dans le Moniteur universel

L’article ci-dessous est issu de la compilation de la rubrique « Il y a 150 ans » de la Lettre d’information de napoleon.org.

La crise polonaise de 1862-1864, cause de friction entre les puissances d’Europe
Pologne 1863, allégorie de Jan Matejko, 1864 © Musée national de Cracovie

La description du conflit dans les parutions de février 1863 du Moniteur universel

Le Moniteur du 12 février 1863 revint sur les insurrections polonaises qui semblaient s’étendre au-delà des frontières du pays depuis janvier 1863, dans les régions limitrophes sous la coupe de l’Empire russe, telles que la Volhynie et la Lituanie où l’état de siège avait été officialisé par l’Empereur Alexandre II le 7 février. Comme plus tôt dans leur histoire en 1794, sous la direction de Kosciuszko, les Polonais aspiraient depuis deux ans à plus de libertés : fin du servage, démocratisation et participation des élites locales aux pouvoirs décisionnels, droits étendus pour les juifs. Ces révoltes récurrentes avaient déjà entraîné une répression sanglante de la part des troupes russes mais Le Moniteur notait qu’en ce début d’année 1863 « les défaites des insurgés ne font qu’exciter davantage les esprits. […] Toutes les classes à l’exception des paysans ont embrassé avec ardeur la cause des insurgés, notamment les femmes et les ecclésiastes ». Le quotidien complétait les informations suivantes du côté russe : « Les rapports russes deviennent de plus en plus rares et courts. » La loi martiale contre les gens armés et l’infiltration d’agents russes au sein des mouvements indépendantistes allaient finir par miner les révoltes polonaises moins d’un an plus tard.

Les insurrections polonaises contre les Russes prenaient un tour européen fin février 1863Le Moniteur s’en faisait l’écho en résumant une partie des séances parlementaires prussiennes sur la question polonaise, autour du 27 de ce mois. Le président du Conseil Bismarck avait signé une convention avec les Russes peu de temps avant. Son opposition, progressiste comme modérée, lui reprochait de permettre officieusement aux soldats russes de poursuivre sur les territoires frontaliers prussiens les fugitifs polonais. Le Moniteur se faisait également l’écho des débats parlementaires britanniques sur le sujet. La Grande-Bretagne soutenait l’insurrection polonaise mais discrètement, afin de ne pas froisser le Tsar. Aucune motion condamnant l’action des Russes sur le territoire polonais qu’ils occupaient ne parvenait alors à passer.

Après un été de répression passé relativement sous silence, Le Moniteur relaie la tribune d’un prince polonais

Le 22 septembre 1863, alors que l’insurrection polonaise anti-russe durait depuis des mois, Le Moniteur fit paraître une longue et virulente lettre, avec, pour contexte, la seule information qu’elle avait été « publiée par plusieurs journaux français et à l’Étranger ». Datée du 15 août, et adressée à un prince non identifié, elle était signée d’une grande figure de cette révolte polonaise, le Prince Czartoryski. Cette date de publication n’était pas fortuite ; la veille, Le Moniteur avait publié deux lettres cinglantes, adressées à la France et à la Grande-Bretagne, de la part du Tsar via son ministre des Affaires étrangères Gortchakov. Elles avaient mis en garde les puissances européennes contre toute ingérence dans le soulèvement polonais.
Héritier d’une grande famille princière polonaise, fils de l’ancien ministre d’Alexandre Ier de Russie devenu l’un des meneurs des insurrections contre la Russie en 1830, petit-fils du maréchal de la diète polonaise nommé par Napoléon Ier, Czartoryski fustigeait depuis Varsovie les positions soutenues par le Tsar sur l’interprétation des traités internationaux de 1815 qui régissaient le statut de la Pologne et donc les droits russes à intervenir dans les régions orientales polonaises. En faisant publier coup sur coup ces lettres russes et polonaise, Napoléon III donnait un « droit de réponse » des insurgés aux Russes : le besoin de lois polonaises propres, d’autodétermination et de libre circulation.
« Ce respect n’a jamais été le partage de l’autorité russe en Pologne […]. Fondé sur l’usurpation, et la violation des traités les plus solennels, c’est par le meurtre de nos illustres citoyens, par la déportation des dignitaires de l’Église et de l’État », disait Czartoryski, que la Russie prolongeait en 1863 ses exactions qui avaient poussé aux soulèvements polonais de 1793 et 1830.
« Autant vaut ne point conclure de traité du tout », notait Czartoryski et d’ajouter avec amertume que les seuls renforts étrangers sur le terrain étaient du côté des Russes (désignant  sans les nommer les Prussiens par là) : « Nous avons les sympathies de l’Europe, la Russie en a seule l’assistance. »
Czartoryski rappelait certes les efforts de médiation de la Grande-Bretagne, de l’Autriche ou de la France (le ministre des Affaires étrangères français Drouyn de Lhuys avait évoqué avec émotion le triste sort des anciennes provinces polonaises, ce qui ne pouvait laisser indifférent le prince à titre familial, comme une partie de l’élite polonaise restée francophile en souvenir de la Révolution et de Napoléon). Mais ce faisant, il montrait combien ces tentatives de médiation étaient vaines :  la Grande-Bretagne et la France étaient réduites à rendre publiques ces lettres dans leurs presses officielles respectives mais étaient incapables (ou réticentes à l’idée) d’intervenir réellement auprès d’une Russie sourde à toute négociation.

Un des derniers échos à l’insurrection dans le quotidien officiel du Second Empire

Dans la lignée de sa publication de la lettre d’indignation du prince Czartoryski, Le Moniteur continuait le 12 octobre 1863 à souligner la situation sulfureuse que représentait l’insurrection polonaise qui courait depuis un an, en rapportant la tentative secrète de la Grande-Bretagne d’aide aux insurgés polonais contre la Russie. À Danzig (Gdansk actuellement) le 9 octobre, un navire britannique avait été ainsi placé sous séquestre dans le port de Neufahrwasser par la Prusse. La goélette, nommée Bessie, était commandée par le capitaine Barnessen et transportait officiellement 92 tonnes de kaolin… dans lesquelles étaient cachées des armes illégales à destination des résistants polonais. Chaque tonne d’argile contenait 20 à 25 fusils de fabrication anglaise. La même semaine, le jeudi 15 octobre, Le Moniteur confirmait la montée de la tension sur une autre partie de la côte en citant La Gazette de la Baltique, du 9 octobre : l’armée russe, qui saturait tellement la frontière qu’elle en était pratiquement physiquement fermée, avait réprimé une fois de plus les insurgés polonais…

En février 1864, après d’ultimes combats de guérilla, la question polonaise était « résolue » au profit de la Russie et de la Prusse jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, qui verra la création d’un véritable état polonais.
Si les pertes humaines sont difficilement quantifiables encore aujourd’hui, le nombre de 10 000 à 20 000 morts directes côté insurgés, et de 10 000 morts du côté russe est indiqué par les sources d’une célèbre encyclopédie en ligne…

Pour aller plus loin

Lire l’article Napoléon et Bismarck en Pologne, d’Émile Ollivier, paru dans La Revue des deux mondes en 1901

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février
Année de publication :
2020
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