La Prusse, nouvelle puissance hégémonique ?
Disposant d’une armée moderne aussi qu’expérimentée, la Prusse du roi Guillaume Ier tend de plus en plus à s’affirmer comme une puissance hégémonique en Europe à l’aube de l’année 1870. Deux ans après sa victoire lors de la guerre des Duchés en 1864, elle remporte la guerre contre l’Autriche, défaite à Sadowa (3 juillet), et obtient, avec le traité de Prague signé le 23 août 1866, la dissolution de la Confédération germanique au profit d’une nouvelle Confédération d’Allemagne du Nord, dont Guillaume Ier est le président permanent, et son ministre-président Bismarck, le chancelier. Cette entité marque la réorganisation de l’Allemagne à l’issue de la défaite de l’empire multi-ethnique des Habsbourg, l’Autriche perd son statut de puissance dominante en Allemagne, de même qu’elle est contrainte de créer l’Empire austro-hongrois et de concentrer ses intérêts à l’Est. Le champ de l’unification allemande est donc libre pour le royaume de Prusse, d’autant plus que les seuls États du sud qui présentent encore d’importantes réticences à l’unification dépendent totalement du Nord, tant au niveau économique que militaire.
Dans le même temps, l’Empire français connaît un renouveau constitutionnel et institutionnel. L’opposition républicaine gagne du crédit et n’obtient qu’une défaite face aux Bonapartistes lors des élections législatives de mai 1869. Napoléon III -qui a perdu pour la première l’appui de l’électorat ouvrier- décide par le sénatus-consulte du 8 septembre 1869 de transformer le Corps législatif et le Sénat. Le premier reçoit l’initiative des lois ainsi que le droit d’interpellation sans restriction tandis que le second devient une réelle chambre législative. Ce sénatus-consulte introduit également la responsabilité du gouvernement devant l’Empereur. À ces difficultés politiques s’ajoutent les préoccupations militaires. Difficilement vainqueur en Italie en 1859 -pays nouvellement allié à la Prusse-, humilié par le fiasco mexicain en 1867, préoccupé par la montée en puissance prussienne, l’Empereur cherche à réformer son armée qui, en dépit d’une réputation flatteuse, n’est en réalité que l’ombre d’elle-même.
Un prince prussien pour le trône espagnol
Bien que confronté à de sérieux problèmes financiers, l’Empire semble être la dernière puissance en mesure de stopper la progression prussienne. Les tensions déjà considérables entre la Prusse et la France sont exacerbées lorsque Napoléon III apprend la candidature de Leopold von Hohenzollern-Sigmaringen (1835-1905), lointain cousin du roi Guillaume Ier, au trône d’Espagne. En effet, le gouvernement espagnol lui propose la couronne après l’abdication de la reine Isabelle II en 1868. Pressé d’accepter par le chancelier prussien, le prince Leopold se retrouve placé sous la pression de Napoléon III -qui ne peut concevoir d’être encerclé par deux Hohenzollern- et de Guillaume Ier -qui ne voulait pas envenimer davantage les relations avec la France pour le moment. Malgré la renonciation publique du prince Leopold, ni Bismarck, ni Napoléon III ne veulent en rester là : le ministre-président cherche à pousser la France à la guerre, sûr de ses forces et convaincu qu’il pourrait enfin unifier toute l’Allemagne, tandis que l’Empereur craint qu’en dépit de l’abandon officiel, les Hohenzollern ne soient malgré tout décidés à s’emparer de la couronne délaissée.
Le 2 juillet 1870, Bismarck fait une déclaration publique dans laquelle il annonce à nouveau la candidature du prince Leopold. Cette nouvelle suscite un véritable tollé en France et toute la presse s’embrase. Le gouvernement d’Émile Ollivier ne peut rester longtemps sans réponse, et le ministre des Affaires étrangères Agénor de Gramont réplique à travers un discours belliciste que la presse française soutient -quasi- unanimement. Le 9 juillet, sur ordre de l’ambassadeur de l’Empire français en Prusse, le diplomate Vincent Benedetti est envoyé à Ems où se trouve le roi Guillaume Ier. Au terme de l’audience, le roi accepte de retirer officiellement la candidature de son cousin le prince Leopold. Néanmoins, se méfiant d’un énième calcul politique des Prussiens, Gramont prie le comte Benedetti d’exiger formellement un engagement écrit du souverain, lequel refuse catégoriquement une telle demande.
La dépêche d’Ems
L’histoire prend une tournure dramatique. Au soir de l’entrevue avec Benedetti, Guillaume Ier écrit un télégramme à son ministre-président Bismarck pour lui rapporter les nouvelles exigences des Français. Flairant l’opportunité « d’exciter le taureau gaulois » et de le pousser à commettre une erreur lourde de conséquences, Bismarck prend le loisir de reformuler la dépêche de manière provocante et outrageuse, et de la publier sous le nom de « Dépêche d’Ems » dans les journaux allemands. Certains journaux français titrant le recul de la Prusse devant les pressions françaises, le ministre-président rédige une seconde version, « condensée », de la dépêche qu’il transmet à tous les ambassadeurs : de cette manière, toutes les parties concernant la renonciation à la couronne sont volontairement omises. Dernier coup de maître de Bismarck, l’utilisation -subtile- d’un faux-ami, la dépêche précisant que le roi, en dépit de l’insistance de l’ambassadeur, refusa de recevoir l’ambassadeur et qu’il manda un Adjutant pour le lui dire.
Bismarck utilise en effet le mot spécifique Adjutant qui correspond à un officier d’État-major en allemand et qui a été traduit par le terme français d’aide de camp de service, grade de sous-officier en France. L’orgueil français est dès lors piqué au vif, ce qui génère de nombreuses publications et manifestations nationalistes, non seulement en France mais également en Prusse, où la population ne manque pas de répondre à des Français toujours plus belliqueux. La situation se détériore très rapidement, les réservistes sont rappelés tandis que l’ambassade de Prusse est prise à partie par des manifestants. Pourtant, le Conseil des ministres décide de ne pas aller plus loin, et ce même si le roi Guillaume Ier ne souhaite pas s’engager pour l’avenir du trône d’Espagne : cette initiative n’est pas diffusée dans la presse et les foules des deux pays continuent leur marche vers la guerre, une marche qui semble désormais inéluctable.
L’entrée en guerre, 19 juillet 1870
Malgré l’opposition virulente de certains parlementaires, Adolphe Thiers en tête, arguant que les armées ne sont pas prêtes à entrer dans un conflit direct avec la Prusse et ses alliés, la mobilisation est signée le 14 juillet 1870 et le lendemain les parlementaires votent majoritairement les crédits de guerre. Le 19 juillet, la guerre est déclarée. À cette nouvelle, les Parisiens se réunissent spontanément devant les Tuileries, et tandis que l’armée se tient sur le pied de guerre -celle-ci étant « prête, archi-prête » selon le ministre de la Guerre Le Bœuf-, les Prussiens et leurs alliés, deux fois plus nombreux que l’armée impériale, marchent sur la rive gauche du Rhin et s’apprêtent à faire des plaines de l’Est, le tombeau de l’Empire français.
Juillet 2019
Sources :
Bismarck, Briefe, Reden, Erinnerungen, Berichte und Anekdoten, W. Langewiesche-Brandt, Ebenhausen bei München, 1915
Der deutsch-französische Krieg 1870/71. Vorgeschichte-Verlauf-Folgen, J. Ganschow, O. Haselhorst, M. Ohnezeit, Ares-Verlag, 1909
Napoléon III, un Saint-Simon à cheval, E. Anceau, Tallandier, 2008
Napoléon III, P. Milza, Perrin, 2006