La formation de la troisième coalition : un grand succès de la diplomatie anglaise

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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La campagne d'Austerlitz fut l'aboutissement militaire d'une lente et inéluctable dégradation des relations interétatiques en Europe, formellement engagé avec la rupture de la paix d'Amiens et accéléré par la proclamation de l'Empire, le développement de la domination française en Italie et en Allemagne et les menées hégémoniques de Napoléon en Hollande. Cette géopolitique complexe était un casus belli suffisant mais il fallait une étincelle pour mettre le feu aux poudres. L'Angleterre se chargea de la faire jaillir parce qu'elle en avait un besoin vital : le projet d'invasion par l'armée du camp de Boulogne était des plus sérieux et il lui fallait créer une diversion, obliger l'Empereur à diviser ses forces ou, mieux encore, à renoncer à sa descente.
 
Mais ces causes directes de la guerre de 1805 ne doivent pas non plus faire oublier les facteurs plus anciens et traditionnels de la diplomatie européenne, les ambitions des uns, les craintes des autres qui ne se résumaient pas à vouloir à tout prix faire la guerre à la France révolutionnaire ou napoléonienne, tant il est vrai que l'on ne doit pas se laisser aveugler par l'idée que la guerre européenne – même en 1792 – n'était qu'idéologique. En d'autres termes, l'alliance des puissances du centre de l'Europe avec l'Angleterre n'était pas « naturelle ». Elle ne se fit ni sans difficultés, ni sans arrière-pensées. Dans la séquence des guerres continentales de 1792 à 1815, le refus des idées nouvelles puis la lutte contre la prépondérance française se mêlèrent à des données anciennes, voire permanentes : nécessité pour la Russie de se positionner dans le concert européen, pour la Prusse d'asseoir sa place dans l'ensemble germanique, pour l'Autriche de l'en empêcher, etc. On rappellera aussi que l'épisode napoléonien s'inscrivit dans une seconde « guerre de Cent Ans » entre la France et l'Angleterre, commencée sous Louis XIV et achevée à Waterloo : affrontement entre « l'équilibre » (l'Europe est constituée de puissances moyennes qui se neutralisent, laissant à l'Angleterre, en l'espèce pas moins tentée par l'hégémonie que la France, la maîtrise du large et du commerce) et le « système » (l'Europe s'organise autour d'une ou deux puissances majeures), mais aussi affrontement économique entre les deux grandes nations commerciales du temps. Les enjeux étaient donc à la fois essentiels pour l'Europe et ne se résumaient pas à être pour ou contre Napoléon.

L’Angleterre : nécessité et moyens d’ouvrir un front continental

Depuis la rupture de la paix d'Amiens, Napoléon était décidé à en découdre directement avec son adversaire anglais et à aller « chercher la paix à Londres ». Cette opération dépendait essentiellement de la capacité de la flotte française, appuyée par les escadres espagnoles, à éloigner de la Manche les croisières britanniques, le temps pour la flottille de débarquement de traverser le détroit et de déverser sur les côtes anglaises des dizaines de milliers d'hommes qui n'auraient aucun mal à bousculer les uniformes rouges. Le gouvernement de William Pitt le Jeune (revenu au pouvoir le 10 mai 1804) comptait certes sur sa flotte pour sauver l'Angleterre. Mais il savait grand le risque de voir le projet napoléonien se réaliser. Il lui fallait donc ouvrir un front continental qui obligerait l'Empereur des Français à aller guerroyer ailleurs que sur les côtes de la Manche. C'est à quoi la diplomatie anglaise se consacrait depuis la rupture de la paix, jouant aussi bien sur l'hostilité des vieilles monarchies à l'égard de la France « révolutionnaire » que des vieilles ambitions de chaque puissance. Pour ouvrir ce second front (en espérant d'ailleurs qu'il devienne le seul front chaud de la guerre), l'Angleterre était prête à dépenser les sommes immenses que le crédit dont elle jouissait dans le monde entier lui procurait. Les diplomates anglais étaient déjà au travail, contactant chaque puissance ayant une raison d'être hostile aux Français… ce qui ne manquait pas dans l'Europe du temps. Ce qu'il fallait d'huile fut lancé sur le feu des grands dossiers européens : en Allemagne, en Hollande et en Italie. Rappelons les grandes lignes de chacun de ces cas.

1°) La Hollande

Au printemps 1805, la France prit définitivement le contrôle de la République batave, avec la complicité de l'ex-ambassadeur hollandais à Paris, Roger-Jean Schimmelpenninck : épuration de la régence d'État (c'est-à-dire du gouvernement), rédaction et entrée en vigueur d'une nouvelle constitution en mars 1805 par laquelle l'intéressé devenait « grand pensionnaire » avec la plénitude du pouvoir. La satellisation de la Hollande était achevée, l'annexion pure et simple se profilait, ce qui constituait une nouvelle pomme de discorde, et pas seulement avec Londres qui avait un besoin vital des ports de la mer du Nord pour déverser ses produits sur le continent. La Prusse voyait aussi d'un mauvais oeil les Français s'installer sur l'ensemble de la rive gauche du Rhin. L'Autriche y voyait un renforcement du projet allemand de Napoléon. La Russie, de plus en plus exclue des affaires, voyait son rêve de devenir une puissance « occidentale » qui compte en Europe s'éloigner en raison de la formidable force de l'Empire français. L'Angleterre venait de perdre une manche importante dans sa lutte contre l'hégémonie française mais pouvait prendre son mal en patience : les affaires de Hollande resserraient les rangs des ennemis de la France.

2°) L’Allemagne

Les questions allemandes concernaient elles aussi toutes les puissances du continent, de l'Autriche à la Prusse bien sûr, mais aussi l'Angleterre (dont les souverains possédaient le Hanovre) et la Russie (qui se considérait comme le protecteur des États signataires en 1779 du traité de Teschen qui avait vu l'Autriche renoncer provisoirement à l'annexion de la Bavière). Ce sont bien sûr les intérêts de l'Autriche qui étaient le plus directement menacés : après l'annexion de la rive gauche du Rhin (reconnue au traité de Lunéville du 9 février 1801), l'Empereur germanique (c'est-à-dire l'archiduc d'Autriche) avait dû accepter sans broncher le recès de Ratisbonne du 25 février 1803 par lequel la carte allemande avait été profondément remaniée. Son influence en avait souffert, avec la modification de la composition de la Diète germanique (on était passé de huit à dix électeurs, dont six étaient protestants donc à priori plus proches de la Prusse) et la disparition de nombre de ses alliés, absorbés dans le cadre des fameuses « médiatisations ». François II ne régnait plus sur l'Allemagne. C'est pourquoi il avait désormais doublé sa titulature de celle d'empereur d'Autriche, sous le nom de François 1er et avait tant tardé à reconnaître la création de l'Empire français. Il était le premier candidat à l'entrée dans une nouvelle coalition anti-française, matérialisée dès novembre 1804 par la signature d'un accord avec la Russie… visant à agir de concert pour obtenir des subsides de Londres.
Plus au nord, la Prusse ne voyait pas non plus avec plaisir l'installation des Français, directement ou par alliés interposés, dans son champ d'action, si près de ses frontières et de ses possibilités d'agrandissement. De cet imbroglio allemand pouvait sortir une gamme presque infinie de conflits : entre la France et l'Autriche, entre l'Autriche et son rival germanique du nord la Prusse, entre la Prusse et l'Angleterre au sujet du Hanovre, entre la Russie et la France sur les questions relevant du « protectorat » du tsar et de ses liens familiaux avec de nombreux souverains d'Allemagne du centre. Cela, nul ne l'ignorait : les affaires germaniques furent donc au coeur des manoeuvres diplomatiques pendant les deux ans qui précédèrent la création d'une nouvelle coalition. La diplomatie anglaise eut l'habileté de faire passer le « danger » français avant les autres sujets, même si les hommes de Talleyrand ne furent pas en-dessous de leur réputation, comme on le verra.

3°) L’Italie

Napoléon s'était facilement laissé « convaincre » de transformer la République italienne en royaume. Après les refus de Joseph et Louis de ceindre la couronne de fer, il l'avait acceptée pour lui-même. Le couronnement de Milan eut lieu le 26 mai 1805. Même si François d'Autriche fit mine d'accepter les « nouveaux arrangements » (sic) italiens, il est clair qu'il ne pouvait accepter, en plus de celles d'Allemagne, ces avancées là. Comme on l'imagine, ce ne fut pas la création des principautés de Lucques et Piombino, confiées à Élisa Bonaparte, qui rassura Vienne qui prépara dès lors son entrée en guerre.

Les ambitions et les rêves du tsar

Paradoxalement, ce n'est pas à Vienne que l'Angleterre trouva les oreilles les plus rapidement attentives, mais à Saint-Pétersbourg. Depuis Pierre le Grand et plus encore depuis Catherine II, la Russie se rêvait puissance européenne et tentait de pousser ses pions toujours plus à l'ouest, en Allemagne par le protectorat et les alliances matrimoniales, en Pologne par le dépeçage et des appétits jamais assouvis sur les parties prussienne et autrichienne du vieux royaume, dans les Balkans par la guerre quasi-permanente contre l'Empire ottoman. L'accès à la Méditerranée était devenu une obsession russe. Toutes les autres puissances européennes s'étaient d'une façon ou d'une autre opposées à ces projets. Mais, nécessité faisant foi, le « tabou » était tombé lorsque les soldats du tsar avaient été invités à participer à la guerre contre les Français jusqu'en Italie et en Suisse. Plus tard, Napoléon lui-même avait en quelque sorte encouragé les Russes pendant la brève lune de miel qu'il avait vécue, par courriers dithyrambiques interposés, avec Paul Ier, le tsar assassiné par le parti anglophile et francophobe, avec la complicité avérée de l'ambassadeur d'Angleterre.
Alexandre Ier n'avait pas changé de projet politique général, à cela près que, pour satisfaire la faction qui l'avait prématurément porté au pouvoir, il ne voulait plus être l'allié avec lequel la France partagerait la domination continentale. Même si Napoléon lui avait octroyé quelques avantages (dont des pourboires aux princes allemands apparentés aux Romanov après le recès de Ratisbonne), il n'était pas prêt à lui reconnaître le rôle « d'arbitre » de l'Europe, pas plus en lui laissant Malte qu'en lui confiant les territoires italiens non-occupés par les Français à titre de garantie. Ce jeu qui ne dupait personne à Saint-Pétersbourg finit par renforcer le « parti de la guerre » autour du souverain.
Mais comme pour nous prouver que la géopolitique, même napoléonienne, est une science compliquée, on relèvera que Vienne et Berlin se réjouirent sans pouvoir le dire de la résistance française aux prétentions du tsar.
La question de l'entrée de la Russie dans le concert occidental était un sujet d'intérêt commun : nul ne voulait en entendre parler. Les diplomates russes en déduisirent logiquement que, pour être européen, pour jouer enfin un rôle dans les affaires du continent, leur pays devait entrer en conflit avec la France, sorte d'ennemi de tous, ce qui rendrait tolérable leur intervention et leur permettrait, après la victoire, de mieux négocier leur place dans la nouvelle Europe.
Du côté russe aussi, la marche à la guerre était enclenchée. En juillet 1804, le chargé d'affaires russe à Paris, Oubril, transmit un message de son gouvernement qui exigeait l'abandon de toute prétention française en Orient et l'évacuation des ports napolitains occupés. La réponse de Talleyrand fut un « non » ferme, tout juste poli. Oubril fut rappelé à Saint-Pétersbourg, tandis que Novossiltzov partait pour Londres proposer une alliance. Comme il n'y avait plus d'ambassadeur de France en Russie depuis le départ d'Hédouville au moment de l'affaire du duc d'Enghien (la cour avait pris le deuil et avait mis le représentant de Napoléon en quarantaine), il n'y avait plus de dialogue direct non plus. Les éléments de fait devant conduire à la guerre étaient désormais réunis. Restait pour les Russes à négocier le prix de leur engagement et, conformément à l'accord de novembre, celui de la partie autrichienne. Les discussions entre l'envoyé du tsar et le gouvernement britannique ne traînèrent pas. On s'entendit presque sans peine sur la nécessité de détruire la puissance continentale de la France en la faisant rentrer dans ses anciennes limites. Le sujet du futur gouvernement français fut abordé mais non tranché : on hésitait entre laisser Napoléon régner sur un Empire réduit et surveillé de près, le retour des Bourbons peu appréciés des Russes en dépit de l'exil qui leur était accordé à Mittau et une troisième solution par laquelle un homme comme Moreau serait placé à la tête d'un gouvernement républicain modéré. Et comme Pitt voulait que son alliance avec le tsar permette de régler d'un coup toutes les questions pendantes, il amena ses interlocuteurs à admettre que l'Italie serait confédérée avec une forte présence autrichienne et le renforcement de la puissance piémontaise et que l'Allemagne, elle aussi confédérée, serait placée sous la double domination prussienne (au nord et à l'ouest) et autrichienne (au sud et à l'est). En revanche, on ne parvint à un accord ni sur l'avenir de Malte, ni sur celui de l'Empire ottoman, ni sur la création d'un code international de commerce réclamé par le tsar et sèchement rejeté par Londres. Dès 1805, les grandes lignes du congrès de Vienne étaient ainsi tracées par les diplomates britanniques.
Enfin, on mit au point un scénario : la Russie offrirait sa médiation dans le conflit anglo-français, sur les bases ci-dessus énoncées ; si Napoléon refusait (et comment pourrait-il accepter ?), ce serait la guerre. L'Autriche, la Prusse, la Suède, Naples et les États allemands seraient invités à adhérer au traité, l'Angleterre débloquant une somme de 5,5 millions de livres sterling pour les aider à s'équiper.
Le traité, destiné « à rendre à l'Europe la paix, l'indépendance et le bonheur dont elle est privée par l'ambition démesurée du gouvernement français », fut signé le 11 avril 1805. L'échange des ratifications eut lieu à Saint-Pétersbourg, le 16 juillet suivant.

Naples et la Suède adhèrent à la coalition anglo-russe

Quelques mots doivent être consacrés au cas napolitain, puisque le royaume de Ferdinand IV finit par adhérer à la coalition anti-française. Arrière-petit-fils de Louis XIV et frère du roi d'Espagne (Charles IV), le roi de Naples était marié à Marie-Caroline de Habsbourg-Lorraine, soeur de Marie-Antoinette. Plusieurs fois en guerre contre la France révolutionnaire, il avait pratiquement toujours été battu et ses territoires souvent occupés. Depuis la campagne de 1800, une franche hostilité et une méfiance absolue caractérisaient les rapports franco-napolitains, sans parler de la haine de la reine Marie-Caroline à l'égard de Napoléon et de celle de son époux à l'égard de tout ce qui pouvait être considéré comme une idée nouvelle. À partir de 1801, plusieurs ports napolitains avaient été occupés par les Français, ce qui avait achevé de rapprocher Ferdinand IV de l'Angleterre. Une convention secrète avait été signée en juillet 1803, prévoyant une entrée en guerre contre la France au moment le plus opportun et le libre usage des ports à la Royal Navy. Dès lors, le souverain de Naples avait multiplié les mauvaises manières : il n'envoya pas l'ordre de Saint-Ferdinand à Napoléon qui lui avait, comme il était d'usage entre souverains, fait parvenir la Légion d'honneur, ne trouva aucun diplomate pour le représenter au Sacre, tandis que son épouse écrivait à un de ses correspondants : « Je suis curieuse de savoir si quelque antiquaire trouvera la Sainte Ampoule ou si quelque hibou descendra du ciel apporter l'huile pour consacrer son confrère ». Ce n'était pas de la haute diplomatie, mais cela avait le mérite d'être clair… Si la guerre reprenait sur le continent, il ne faisait aucun doute que Naples se rangerait du côté des ennemis de la France, en dépit de ses faibles moyens militaires, mais grâce aux illusions entretenues sur l'aide que pourraient apporter les Anglais. Côté français, les choses étaient claires et Napoléon avait prévenu ses interlocuteurs napolitains : si la guerre éclatait et que Naples fût vaincue, les Bourbons pourraient dire adieu à leur trône.
Autre puissance prête à rejoindre la coalition, la Suède signa un traité avec l'Angleterre et la Russie en mars 1805 et adhéra au texte du 11 avril, moyennant 80 000 livres par an pour la mise à disposition de ses ports. L'affaire ne s'était pas conclue sans difficultés. Bien que francophobe, irrité par les transformations imposées au Saint-Empire (dont la Suède faisait partie en raison de sa présence en Poméranie) et scandalisé par l'affaire du duc d'Enghien (qui était son ami personnel), Gustave IV Adolphe avait hésité avant de choisir. Il avait finalement préféré éviter une autre guerre contre la Russie qui lorgnait sur la Finlande (dont elle allait s'emparer après Tilsit). Si la guerre n'allait être officiellement déclarée que le 31 octobre 1805, la Suède avait choisi son camp dès le printemps.

La Prusse reste à l’écart et l’Autriche entre dans la coalition

L'activité diplomatique en vue de constituer une nouvelle coalition fut intense pendant les six premiers mois de 1805. N'oublions pas que, de son côté, Napoléon réussit lui aussi à mettre sur pied une contre-coalition avec la Hollande, l'Italie, l'Espagne et plusieurs États allemands (Bade, Bavière, Wurtemberg…). Les envoyés russes, anglais, autrichiens et français visitèrent toutes les cours européennes. Chaque souverain y alla aussi de ses grandes déclarations pacifiques. Mais, au fond, qui alors ne voulait pas la guerre ? Elle serait, comme on l'a fait dire à Clausewitz, la continuation de la diplomatie par d'autres moyens et, au final, permettrait d'y voir plus clair.
Le fait que la Prusse décida finalement de se tenir à l'écart de la coalition fut un grand succès pour la diplomatie française. À Berlin, en effet, on estima dès les premières avances anglaises et russes qu'il fallait rester en dehors du conflit… et tenter d'en tirer parti le moment venu et quel que soit le vainqueur. Frédéric-Guillaume III était coutumier de cette diplomatie de marchandage, un de ses objectifs ayant toujours été, comme au vieux temps du grand Frédéric, d'agrandir son territoire. Il était décidé à le faire au moindre coût, en laissant les autres travailler « pour le roi de Prusse » en quelque sorte. La Prusse aurait eu pourtant de bonnes raisons d'affronter la France dont la politique allemande la confinait au nord de l'espace germanique. Elle avait par ailleurs signé avec le tsar une déclaration conjointe, ferme résolution d'intervenir si Napoléon entreprenait quoi que ce fût sur la rive droite de la Weser (24 mai 1804). Mais d'un autre côté, on se méfiait encore plus à Berlin des visées russes sur la partie prussienne de la Pologne, incarnées par Adam Czartoryski, ministre et ami du tsar qui rêvait d'un grand royaume dont la couronne serait placée sur la tête du Romanov. Enfin, on entendait bien monnayer les droits de passages sur les possessions prussiennes des troupes en marche vers les théâtres d'opération : les Russes vers le Hanovre, les Français de Bernadotte vers la Bavière. C'est Napoléon qui se montra le mieux-disant : il proposa de remettre le Hanovre en garde à la Prusse jusqu'à la paix (ce qui la coupait de l'Angleterre et aboutit effectivement à un état de guerre entre les deux pays) et de l'élever au rang de médiateur du conflit. La manoeuvre réussit puisqu'en août 1805, au moment où on s'approchait du début des hostilités, le conseil des ministres proclama la neutralité de la Prusse, décision confortée par l'entrée des troupes russes en Pologne et l'occupation de Varsovie. Frédéric-Guillaume ménageait ainsi l'avenir et jouait sur plusieurs tableaux. Nul ne se faisait d'illusions sur ce point à Paris, mais l'important était que les forces prussiennes restassent en dehors du conflit. On verrait bien par la suite.
Comme prévu, l'Autriche adhéra au traité anglo-russe du 11 avril, le 9 août suivant. François II n'avait pas été difficile à convaincre, eu égards aux différends qui l'opposaient à la France. Dès le 22 avril, n'écoutant pas les conseils de prudence de l'archiduc Charles, il avait pris ses premières décisions militaires, confiant au général Mack le commandement de ses troupes devant attaquer en Allemagne du Sud, pendant qu'une seconde force avancerait sur l'Italie. À Vienne aussi, on se méfiait des lubies du tsar, mais on comptait sur une victoire de Mack avant l'arrivée des forces de Koutousov puis sur l'entremise et la sagesse de l'Angleterre pour que les utopies pétersbourgeoises ne viennent pas trop interférer dans la construction d'une Europe nouvelle, débarrassée de l'hégémonie française en Allemagne et en Italie.
 
Au milieu de l'été 1805, tout était donc en place pour une nouvelle grande guerre européenne. Deux blocs se faisaient face et allaient s'affronter, comme l'avait souhaité l'Angleterre, au centre du continent, loin des côtes de la Manche où, pourtant, tout semblait prêt pour la grande descente, programmée pour la mi-août 1805. En envahissant la Bavière, dans les premiers jours de septembre 1805, l'Autriche allait au-devant d'une sévère correction militaire. Mais en même temps, elle sauva l'Angleterre de l'invasion. Un mois plus tard, Nelson envoyait une importante flotte franco-espagnole par le fond à Trafalgar. Malgré Austerlitz, l'automne 1805 avait été très favorable à la perfide Albion.

Titre de revue :
Revue du Souvenir Napoléonien
Numéro de la revue :
459
Numéro de page :
7-12
Mois de publication :
juillet-août
Année de publication :
2005
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