Spectaculaire ! L'exposition du Grand Palais consacrée jusqu'au 17 février 2012 aux chefs-d'oeuvre de la collection des plans-reliefs de Louis XIV à Napoléon III l'est dans tous les sens du terme. D'abord par le gigantisme des plans présentés – Cherbourg avec ses 160 m², Brest avec ses 130 m², Strasbourg avec ses 72 m². Ensuite par sa dimension ludique qui réjouit le visiteur de 7 à 107 ans. La France en relief est en effet une exposition-spectacle. Elle est organisée par l'Association de préfiguration de la Maison de l'histoire de France – dont c'est la première manifestation publique -, avec le concours de la RMN-Grand Palais et le partenariat scientifique du musée des Plans-reliefs.
Pour débuter la visite, souvenons-nous qu'au XVIIIe siècle, visiter la collection des plans-reliefs du roi, alors présentée dans la Grande Galerie du Louvre, n'était réservé qu'à quelques étrangers de marque. Le roi se plaisait à offrir au regard de son illustre visiteur une représentation de son royaume en miniature. Encore s'abstenait-il de montrer à un souverain potentiellement ennemi des maquettes représentant des places-fortes chargées de protéger la France contre ses troupes !
Des seize maquettes que le public découvre dans la majestueuse nef du Grand Palais, celle de Brest est probablement la plus émouvante. C'est, on le sait, la deuxième par ses dimensions. Mais c'est surtout un précieux et remarquable témoignage de ce qu'était la ville et ses environs sous le Premier Empire, puisque l'essentiel de ses constructions a disparu, d'abord dans les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, ensuite sous la pioche furieusement moderniste des architectes des années 1950.
Découvrant la maquette de la ville de Brest dans la Galerie des plans-reliefs, le 6 mars 1813, Napoléon se serait exclamé : Voilà un beau, un magnifique ouvrage ! C'est beau, c'est très beau ! Allez chercher l'impératrice, dites-lui qu'elle n'a jamais rien vu de comparable ! Il ne fut pas démenti par les visiteurs qui, deux siècles plus tard, la découvrirent pour la première fois dans son entier à l'hiver 2001-2002 lors de l'exposition Brest au temps de l'Académie de Marine à l'abbaye de Daoulas, dans le Finistère.
L'histoire de sa confection est aussi celle de tous les autres plans. En 1806 et 1807, les frères Martin et Joseph-Toussaint Boitard, ingénieurs géographes, se rendent à Brest pour effectuer des levés cotés de toutes les constructions. Ils n'oublient même pas les arbres qui bordent les places et les routes de campagne ! De retour à Paris avec leurs plans cotés, ils s'adjoignent les services des artistes modeleurs Pivot et Barby. Le travail, effectué sous la direction de Bonnet, conservateur des reliefs, est achevé le 1er juin 1811. Pour l'anecdote, les 48 tables en chêne des Vosges proviennent d'un marchand de la rue Seine et de la démolition d'une maison de la rue de Buci à Paris ! Bois, carton, sable, feutre, soie, armatures métalliques concourent à donner une stupéfiante impression de vérité au plan réalisé à l'échelle de 1/600. Ce travail titanesque coûta 43000 francs d'alors, un record. Mais il offre à nos contemporains, à commencer par les historiens, un témoignage unique sur la physionomie d'une ville dont la rive gauche – « Brest même » – disparut pendant la Seconde Guerre mondiale.
En raison de son gigantisme – 16,45 mètres de long sur 7,93 mètres de large – le plan-relief de Brest ne peut être exposé au regard du public au musée des Plans-reliefs, ouvert depuis 1943 sous les combles de l'hôtel des Invalides. Le contempler sous la verrière du Grand Palais est donc un privilège rare. Mais on regrettera tout de même qu'aucun lieu approprié n'ait encore pu être trouvé pour montrer les plus vastes des plans, ordinairement remisés en caisses dans les réserves des Invalides. L'aménagement inachevé du musée interdit en effet de présenter l'ensemble de la collection et conduit à n'exposer de façon permanente que vingt-huit plans des frontières Sud et Ouest de la France. Les plans du Nord de la France, des Flandres et de la Hollande actuelles sont pour leur part présentés au musée des Beaux-Arts de Lille depuis les années 1980.
La France construisit de 1668 à 1873 260 plans-reliefs, représentant 150 sites fortifiés aux limites du territoire. On se rendra facilement compte que les seize plans choisis par les commissaires de l'exposition le sont pour leurs qualités esthétiques et leur sens historique. Ils invitent ainsi à un voyage, amenant à s'interroger sur les notions de territoire et de frontière. La crête des Alpes est représentée par les plans-reliefs de Fort-Barraux, Montmélian (les deux plus anciens plans présentés, puisqu'ils furent fabriqués en 1693), Exilles, Fenestrelle – le plus petit avec ses 6,53 m² et assurément l'un des plus pittoresques – Mont-Dauphin, Embrun, Grenoble et Briançon. L'Est raconte l'histoire mouvementée de deux régions, l'Alsace et la Franche-Comté, avec Besançon, Neuf-Brisach, Strasbourg. A noter que le plan de la capitale de l'Alsace que l'on voit ici est celui réalisé entre 1830 et 1836 par l'ingénieur Boitard pour compenser la perte d'un premier plan construit entre 1725 et 1728. Celui-ci avait été emporté par les Prussiens en 1815 avant de retrouver Strasbourg à l'époque du Reichsland. C'est ce plan XVIIIe qui est aujourd'hui présenté et mis en valeur au musée d'histoire de la ville de Strasbourg par une scénographie des plus intelligentes. Le Nord a toujours offert une frontière fluctuante. Les plans présentés figurent donc parfois des villes qui ne sont plus françaises : à côté de Saint-Omer, on découvrira Luxembourg et Berg-op-Zoom (Brabant Septentrional des Pays-Bas).
Datent du Premier Empire les plans de Luxembourg, construit entre 1802 et 1805, Brest, donc, et Cherbourg, construit de 1813 à 1819. Ce dernier a la particularité d'avoir été actualisé de 1863 à 1872 : on ne s'étonnera pas d'y voir la gare. Même démarche pour le plan de Strasbourg, réalisé sous Louis-Philippe et actualisé entre 1852 et 1863. Rien d'étonnant, non plus, que des villes à l'importance stratégique comme Grenoble, dont le plan a été construit tardivement, entre 1839 et 1848, ou bien Briançon et Besançon, mises en maquette au XVIIIe siècle, aient vu leurs plans actualisés sous le Second Empire.
La France en relief
Auteur(s) : CALVÈS Bruno